Page images
PDF
EPUB

2 JUL 1934

LIBRAT

PRÉFACE.

Da veniam scriptis, quorum non gloria nobis
Causa, sed utilitas, officiumque fuit.

OVIDIUS, Epistolæ ex Ponto, III, 9.

DANS ce siècle, où le goût des recherches est généralement répandu, la Bibliographie proprement dite, cette branche essentielle de l'histoire littéraire, n'a pas été cultivée, en France, avec moins de succès que les autres sciences positives; c'est ce qu'attestent les ouvrages des abbés de Saint-Leger et Rive, du P. Laire, de MM. Van Praet, Chardon de la Rochette, Adry, Barbier, Renouard, etc.; mais malheureusement ces savans n'ont pas étendu leurs travaux au-delà de quelques parties de la Bibliographie; en sorte que les seuls ouvrages composés sur un plan général, que nous ayons, tels que les Abrégés et les Dictionnaires, ont été abandonnés à des compilateurs peu soigneux, qui n'ont fait par eux-mêmes aucune recherche, et se sont tout simplement contentés de copier leurs prédécesseurs, dont ils n'étaient point capables d'apercevoir les défauts. Cependant, malgré leur imperfection, ces livres, d'une forme commode, ont obtenu du succès; ils ont été fréquemment consultés, et même cités comme autorités par des personnes qui, peu versées dans la Bibliographie, ont pu facilement être induites en erreur de là, les fautes sans nombre qui se sont glissées dans nos Dictionnaires historiques, dans nos Biographies, et jusque dans des traités spéciaux de Bibliographie, où elles sont presque impardon

nables.

Ainsi la Bibliographie instructive de Guillaume-François de Bure, publiée de 1763 à 1768, en 7 vol. in-8. est encore le seul livre de son genre qui doive tenir une place dans les bibliothèques, et auquel les amateurs puissent recourir avec quelque confiance. Cependant cet ouvrage lui-même, si justement estimé, et qui suppose dans son auteur une connaissance étendue du sujet qu'il a traité, cet ouvrage, composé depuis près d'un demi-siècle, comme on vient de le voir, n'est pas aujourd'hui au courant de la science; car, sans parler des ouvrages excellens et des éditions magnifiques qui ont paru depuis cette époque, et que par conséquent l'auteur de la Bibliographie n'a pu connaître, combien de découvertes n'a-t-on pas faites depuis 1768; de combien de livres rares et curieux, inconnus à de Bure, n'avons-nous pas la description dans des traités ou dans des catalogues faits avec autant d'exactitude que de méthode, par des savans bibliographes, soit nationaux soit étrangers, et que l'on regrette de ne point trouver dans la

[merged small][ocr errors]

Bibliographie instructive? D'après cela, il était permis de croire qu'un supplément qui, en corrigeant les fautes assez nombreuses qu'on remarque dans cet ouvrage, en eût réparé les omissions, et l'eût conduit jusqu'à l'époque actuelle, pourrait être une entreprise utile. Très-jeune encore, je tentai ce travail, après avoir publié, avec trop de précipitation, un Supplément au Dictionnaire bibliographique qui porte le nom de Cailleau; mais bientôt je l'abandonnai, convaincu que si je voulais donner à cette nouvelle continuation toute l'étendue dont elle était susceptible, je ne devais pas songer à faire moins de 10 à 12 volumes, imprimés comme ceux de de Bure: certes, cette tâche était alors au-dessus de mes forces: mais, l'eussé-je remplie avec l'habileté qu'elle demandait, je n'en pouvais attendre qu'un bien faible succès; car un ouvrage de bibliographie en 18 ou 20 volumes se place seulement dans quelques grandes bibliothèques, et son utilité n'est connue que d'un petit nombre de personnes. D'ailleurs, si un supplément à la Bibliographie de de Bure peut être exécuté, c'est d'une autre main que la mienne que le public est en droit de l'attendre.

Cependant je ne renonçai pas à une étude à laquelle je m'étais d'abord livré par devoir, et qui insensiblement était devenue pour moi un goût dominant. Mes recherches m'avaient déjà procuré de nombreux matériaux, qu'il ne s'agissait plus que de mettre en ordre pour en former un livre plus utile pour le public et pour moi, que ne l'aurait été celui dont je m'étais d'abord occupé. Mais quelle forme devais-je donner à ce nouvel ouvrage? C'est sur quoi je fus quelque temps indécis; car si l'ordre alphabétique me paraissait faciliter les recherches, lorsqu'on veut avoir promptement un renseignement sur un livre dont on connaît ou le titre ou le nom de l'auteur, je ne pouvais me dissimuler que cette méthode n'était pas toujours satisfaisante. En effet, désire-t-on savoir quelles sont les productions qu'il est le plus essentiel de se procurer sur telle ou telle partie des sciences ou de la littérature, il n'est guère présumable qu'on aille consulter un Dictionnaire pour cela, parce qu'on ne voudra point passer son temps à le feuilleter entièrement, au risque d'y chercher inutilement les renseignemens que l'on demande; il sera plus naturel de recourir à un ouvrage dans lequel les titres des livres sont classés méthodiquement, et où l'on pourra trouver avec facilité ce qu'on eût peut-être vainement cherché long-temps dans un Dictionnaire. D'après cela, j'ai pensé qu'un ouvrage qui réunirait, dans un cadre resserré, l'ordre alphabétique à l'arrangement méthodique, pourrait avoir quelque avantage sur ceux qui l'ont précédé, surtout s'il était le résultat de longues recherches et de nombreuses vérifications; en un mot, si, sans être une simple compilation, il offrait la substance de ce que contiennent de meilleur les ouvrages de Bibliographie spéciale les plus accrédités.

C'est dans cette persuasion que j'ai entrepris le Manuel du Libraire et de l'Amateur de livres, que je publie, et dont je vais tâcher d'exposer le plan en peu de mots.

Les trois premiers volumes de ce Manuel contiennent un Diction

naire, dans lequel on trouvera indiqués les livres anciens qui sont à la fois rares et précieux, et un grand nombre d'ouvrages modernes, qui, par leur mérite bien reconnu, leur singularité, la beauté de leur exécution, les gravures dont ils sont ornés, ou par quelques autres particularités, peuvent figurer parmi les livres précieux, et demandent quelques notes explicatives.

suis

f

Ce n'est donc pas une Bibliographie complète que j'ai voulu faire, mais un Dictionnaire composé de livres choisis. D'après cela, je me vu en droit d'écarter de mon ouvrage une foule de livres anciens qui, malgré leur rareté, ne sont recherchés que de très-peu d'amateurs, et, qui ne peuvent guère tenir un rang dans les bibliothèques, ni comme ouvrages utiles, ni même comme objets de curiosité (1). J'ai dû pareillement ne point faire entrer dans ce Dictionnaire les ouvrages modernes qui, quoique bons et recherchés, n'ont qu'une valeur médiocre : j'ai réservé ces sortes de livres pour la Table méthodique, dans laquelle ils doivent nécessairement trouver leur place.

Si je me suis quelquefois écarté de ce plan, ce n'a été que pour compléter les articles de certains auteurs, pour donner la suite des éditions d'un même ouvrage, pour indiquer les traductions des écrits dont je faisais connaître les originaux, pour annoncer quelques recueils volumineux, et enfin, par respect pour certains ouvrages estimables, qui, quoique tombés en discrédit dans le commerce, n'en sont pas moins, recherchés des gens de lettres.

Les livres sont placés dans ce Dictionnaire, ou sous le nom de l'auteur, ou d'après les premiers mots du titre, lorsqu'il s'agit d'ouvrages dont les auteurs ne se sont pas nommés (2); et pour ces derniers, j'ai eu souvent recours à l'excellent Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes de M. Barbier.

Je me suis attaché à donner avec précision les titres, et ne pouvant les copier en entier, j'ai tâché de garder un juste milieu entre un titre trop long et un titre tronqué. Dans les notes que j'y ai jointes, je me suis presque toujours abstenu de porter des jugemens sur le mérite des livres. De quel droit, en effet, me serais-je érigé en censeur universel ? Je me suis seulement permis de dire que tel ouvrage était estimé, que telle édition était préférable à telle autre, parce que ces observations sont, ou le résultat de l'opinion générale, ou celui de la comparaison que j'ai faite de plusieurs éditions entre elles.

(1) Si j'avais admis indifféremment dans ce Manuel tous les livres difficiles à trouver, il est certain que j'aurais pu y faire entrer facilement plus de cent mille articles, puisque les seules annales typographiques de Panzer, qui ne vont que jusqu'à l'année 1535, m'en auraient fourni au moins quarante mille, auxquels on ne peut pas refuser la qualification de rares.

(2) J'ai pensé qu'il était convenable de placer toutes les éditions de la Bible entière, ou de l'ancien Testament, au mot BIBLIA; et toutes celles du nouveau Testament, au mot TESTAMENT. J'ai placé les romans de chevalerie, qui n'ont point de nom d'auteur, au nom du héros du roman, comme ARTUS, GYRON, Lancelot, etc.

et

du lord Spencer, etc. J'ai aussi fréquemment consulté les Bibliothèques italiennes de Fontanini et d'Haym, la Serie de' testi de M. Gamba, le Répertoire de M. Schoel, le Journal des Savans, l'Esprit des Journaux, le Magasin encyclopédique, le Journal de la Littérature étrangère, plusieurs autres journaux littéraires; je ne dois pas oublier non plus, parmi les ouvrages qui m'ont été utiles, ceux d'Harwood, de M. Dibdin (1), et le Bibliographical Dictionary de M. Clarcke, récemment publié en Angleterre ; enfin je n'ai fait usage que des ouvrages de Bibliographie les plus accrédités, et je me suis toujours tenu en garde contre ces compilations faites sans soin, dans lesquelles je n'aurais pu trouver que des renseignemens inexacts.

Pour me conformer au goût des amateurs et des libraires, j'ai apprécié les livres que j'indique; mais ces appréciations sont basées différemment, selon le genre de livre auquel elles ont rapport. Ainsi, comme il eût été ridicule de vouloir assigner une valeur fixe à des livres qui ne passent que très-rarement dans le commerce, et dont le prix dépend entièrement de la volonté des vendeurs ou de celle des acquéreurs, j'ai cru plus raisonnable d'indiquer les prix auxquels les livres de ce genre ont été portés dans les ventes les plus connues, faites depuis 50 ans, tant en France qu'en Angleterre et en Hollande; par ce moyen, non-seulement je fais voir la variation que ces sortes d'objets peuvent éprouver dans leur prix, mais encore, en citant les catalogues où ils sont indiqués, je donne une garantie de leur existence. Il est certain que si tous ceux qui ont publié des Dictionnaires bibliographiques · avec des prix, avaient suivi cette méthode, ils n'auraient pas apprécié des livres qui n'existent pas, ou qui ne se sont jamais présentés dans le

commerce.

Quant aux livres qui, sans être communs, se rencontrent assez fréquemment pour qu'une longue expérience du commerce et l'habitude des ventes puissent en faire connaître la valeur, je les ai appréciés d'après un terme moyen qui, toutefois, ne peut être regardé que comme approximatif. En faisant cette appréciation, j'ai supposé les livres en bon état, mais sans reliure de luxe, et j'ai dû citer (pour faire voir combien la belle conservation et l'élégance de la reliure d'un livre en augmentent la valeur) quelques exemples de prix excessifs auxquels certains exemplaires, d'une condition extraordinaire, ont quelquefois été portés (2).

Les livres nouvellement publiés ne peuvent point être appréciés de la même manière que les autres ; car n'ayant point encore subi l'épreuve

(1) Je dois à la complaisance de ce dernier l'avantage d'avoir eu la communication des deux premiers volumes de son magnifique Catalogue du lord Spencer, quelques mois avant qu'ils fussent publiés.

(2) D'après cela, il n'y aura pas de ma faute, si l'ou prétend s'autoriser du prix excessif auquel aura été porté un très-bel exemplaire d'un livre rare, pour apprécier tout autre exemplaire ordinaire du même livre: ou si, au contraire, on ne veut attacher à un exemplaire très-bien conservé et magnifiquement relié, d'autre prix que celui d'un exemplaire commun.

« PreviousContinue »