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la destruction de l'armée de Cambyse. Observez comme à l'occasion de l'aurore boréale il interprète un phénomène par une fiction ingénieuse et dans le vrai goût de l'antiquité. Nous négligeons un épisode de Thompson que M. Delille a traduit comme il sait traduire. Mais qui pourroit oublier un autre épisode aussi noble que touchant, celui des mines de Florence, de cet asyle souterrain où deux chefs de partis contraires sont réunis, réconciliés et désabu sés de l'ambition l'infortune? Voilà des narrations animées, des tableaux vivans; là M. Delille est tout entier. >> Nous pourrions ajouter à l'indication de ces beaux passages celle d'une infinité d'autres, puisés dans les divers ouvrages de notre poëte; mais, nous le répétons, la liste en seroit beaucoup trop longue et passeroit les bornes de notre travail; contentons-nous donc de rendre hommage avec M. Chénier, « à ce talent inépuisable qui bravant la délicatesse outrée de notre langue poétique, a su vaincre ses dédains et la dompter pour l'enrichir ; dont les défauts brillans sont et seront trop imités, mais dont les beautés presque sans nombre auront trop peu d'imitateurs; à qui nous devons huit poëmes; qui fut célèbre à son début ; qui a écrit pendant cinquante mais qui n'a fatigué que l'envie, et dont le nom restera fameux. »

ans,

DÉMOSTHÈNE (V. p. 33) a laissé dix harangues que l'on a toujours considérées comme des chefsd'œuvre, et sur lesquelles les plus grands rhéteursne

sont pas d'accord lorsqu'il est question de les classer par ordre de mérite, à l'exception cependant de l'oraison pour la Couronne, à laquelle on donne la préférence. C'est, selon Boileau, le chef-d'œuvre de l'esprit humain. Celle de la Chersonnèse est regardée par La Harpe comme la plus belle, tout en convenant cependant que l'on n'y trouve pas les grands tableaux, les grands mouvemens, les développemens vastes de la harangue pour la Couronne, ni cette espèce de lutte si vive et si terrible qui appartient au genre judiciaire où deux athlètes combattent corps à corps. Enfin l'on peut dire que tout ce qui est sorti de la plume de Démosthène, soit Philippiques, soit Olinthiaques, soit discours sur des sujets particuliers, peut servir de modèle, ayant excité l'admiration de tous les siècles.

On ne doit donc pas être surpris d'entendre Cicéron, après avoir payé un juste tribut d'éloges aux célèbres orateurs de la Grèce (Lysias, Hypéride et Eschyne), s'exprimer ainsi sur le compte de Démosthène : « Il réunit, dit-il, la pureté de Lysias, l'esprit et la finesse d'Hypéride, la douceur et l'éclat d'Eschyne ; et quant aux figures de la pensée et aux mouvemens du discours, il est au-dessus de tout: en un mot on ne peut rien imaginer de plus divin. » Cicéron revient souvent sur l'éloge de Démosthène, particulièrement dans son Orator, n.oo 23 et 104, et dans son Brutus seu de claris oratoribus, n.o 35. Fénélon, Lettré sur l'éloquence, et le cardinal Maury, dans son Essai sur l'éloquence de la chaire, ont

aussi parlé dignement de l'orateur athénien; mais je préfère le jugement qu'en a porté La Harpe dans son Cours de Littérature (édition de Dijon, tom. 11,

P. 184) où il dit : « Raisonnemens et mouvemens, voilà toute l'éloquence de Démosthène. Jamais homme n'a donné à la raison des armes plus pénétrantes, plus inévitables. La vérité est dans sa main un trait perçant qu'il manie avec autant d'agilité que de force, et dont il redouble sans cesse les atteintes. Il frappe sans donner le temps de respirer; il pousse, presse, renverse, et ce n'est pas un de ces hommes qui laissent à l'adversaire terrassé le moyen de nier sa chute. Son style est austère et robuste, tel qu'il convient à une ame franche et impétueuse. Il s'occupe rarement à parer sa pensée : ce soin semble au-dessous de lui; il ne songe qu'à la porter tout entière au fond de votre cœur. Nul n'a moins employé les figures de diction; nul n'a plus négligé les ornemens; mais dans sa marche rapide il entraîne l'auditeur où il veut ; et ce qui le distingue de tous les orateurs c'est que l'espèce de suffrage qu'il arrache est toujours pour l'objet dont il s'agit, et non pas pour lui. On diroit d'un autre : il parle bien; on dit de Démosthène : il a raison, »>

ANTOINETTE DESHOULIÈRES (n. 1634-m. 1694) a composé beaucoup de poésies parmi lesquelles ses idylles tiennent le premier rang; et entre celles-ci il faut placer en tête l'idylle des Oiseaux et l'idylle des Moutons. Celle des Moutons, la meilleure,

a plus de douceur et de grâce; l'autre est un peu plus poétique. On peut ajouter à ces deux idylles celle de l'Hiver qui est encore fort bonne. Quant à celles du Ruisseau, des Fleurs, du Tombeau et de la Solitude, elles ne peuvent pas entrer en comparaison avec les trois précédentes. L'églogue intitulée Iris, de 1680, mérite aussi d'être distinguée ; il en est de même des vers allégoriques à ses enfans: Dans ces prés fleuris, etc. L'Építre à M. Caze pour le jour de sa fête 1690, est encore fort agréable ; tout le reste à part la stance morale sur le jeu et I celle sur l'amour propre, ainsi qu'un ou deux rondeaux, est très foible et ne se lit plus guère, surtout la longue correspondance de ses chats et de ses chiens, ses Ballades, ses Építres, ses Chansons, ses Odes, etc.

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PHIL.-NÉRICAULT DESTOUCHES (n. 1680—m. 1754) est auteur d'un certain nombre de pièces dont la très grande majorité est entièrement oubliée ; mais il en est quelques-unes que l'on voit au théâtre toujours avec un nouveau plaisir, telles que le Philosophe marié et le Glorieux, les deux meilleures pièces de Destouches et qui marchent après celles de nos grands maîtres. La Fausse Agnès nous fait encore rire, malgré les invraisemblances. L'Irrésolu a du bón, surtout le dernier vers qui est très caractéristique; le Dissipateur est foible; le Tambour nocturne ne fait plus grand bruit, et le Triple Mariage est assez insignifiant ; quant aux quinze autres

pièces de Destouches, il est fort inutile de les nom

mer.

CHARLES DUCLOS (n. 1705-m. 1772). On regarde ses Considérations sur les Mœurs comme le meilleur de ses ouvrages, celui qui lui fait le plus d'honneur et qui a été le plus souvent réimprimé. Le monde y est vu d'un coup d'œil rapide et perçant. Il est rare de trouver réunis dans un cadre aussi ingénieux un plus grand nombre d'idées justes et fines, de leçons utiles et de mots saillans. Louis XV disoit : « C'est l'ouvrage d'un honnéte homme. » Une chose singulière, c'est que dans ce livre qui traite des mœurs, le mot femme n'est pas même prononcé.

CH.-RIVIÈRE DUFRESNY (n. 1648-m. 1724). Ses meilleures pièces sont 1.o L'Esprit de contradiction, dans laquelle le rôle de la femme contrariante est très comique; 2.o le Double veuvage, ой l'on distingue le rôle de la veuve, et 3. le Mariage fait et rompu, dans laquelle de bons rôles sont ceux du président, de la présidente, et du Gascon Glacignac qui est le meilleur de tous les Gascons que l'on ait mis au théâtre. Ces trois pièces sont fort jolies; la composition en est agréable et piquante, le dialogue vif et saillant. On remarque dans la Coquette de village le rôle de la Coquette, et dans la Réconciliation normande celui de Falaise. Quant à ses au

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