Page images
PDF
EPUB

entrainant, que la passion de l'étude n'avait pu rendre et n'a jamais, d'ailleurs, rendu sévère? Quoi qu'il en soit, il était venu à Chatillon pour un jour, on l'y garda un mois, l'entourant de toutes sortes d'attentions et de prévenances; il en est resté touché toute sa vie; l'affection paternelle que lui témoigna M. de Chatillon a fait l'objet d'une reconnaissance de plus de cinquante ans, exprimée toujours avec un nouvel attendrissement. En parlant, comme il en parlait, de la famille de Chatillon, Claude Gay ne remarquait point qu'indirectement il faisait son propre éloge.

Après avoir pris congé de ses aimables hôtes, le jeune voyageur n'eut d'autre souci que de rentrer au plus vite dans sa famille dont il n'était jamais resté si longtemps éloigné. C'était en décembre; il repassa par Lyon et il fit la plus grande partie de la route à pied. Lorsqu'il arriva à Toulon, il était à bout de forces; il y coucha, mais pour se remettre en route de très bonne heure, car c'était la veille de Noël, et il ne voulait pas manquer au souper traditionnel de famille qu'on appelle lou gros soupa. C'est un usage immémorial dans le Midi qu'à ce repas accourent, comme à un rendez-vous obligé, tous les membres épars de la famille, même ceux qui sont en désaccord, parce que c'est le soir des joies pures et que, sous le regard de l'aïeul, s'opèrent les réconciliations. Pourra-t-il y être à temps, le pauvre jeune homme ? Déjà la nuit est venue, l'heure du repas est proche, et, pendant que dans les autres demeures l'allégresse est complète, dans celle de Claude Gay, si l'on n'est pas tout à fait triste, on n'est pas non plus joyeux. La mère avait préparé les friandises accoutumées; elle était devant l'âtre, tenant en main la poële aux fritures, et, soucieuse, elle disait à ses filles: si au moins nous

avions notre enfant ! Tout à coup, à la porte: ma mère ! fit une voix, et le marteau retentit. La poële tombe sur les tisons, et on se précipite. Quelques secondes après, Claude Gay était dans les bras de tous les siens et, bien qu'exténué, il oubliait la fatigue au cercle de la famille. Il venait de faire, pour assister au souper de Noël, 80 kilomètres en un jour.

Depuis son retour de Savoie, le jeune homme n'avait plus qu'un rêve, aller à Paris, ce véritable foyer de la science. Muni de quelques lettres de recommandation, il s'achemina donc vers la capitale où la protection d'un compatriote, M. Paul de Châteaudouble, député du Var et directeur de la Caisse d'amortissement, lui acquit le poste d'aide-pharmacien à l'hôpital de Saint-Denis et bientôt celui de pharmacien en chef.

[ocr errors]

L'emploi de son temps à Saint-Denis nous est resté noté heure par heure. Nous avons pu nous convaincre par ce journal écrit sans préméditation ni arrière-pensée que, même à vingt-trois ans, il n'y avait de place dans le cœur de Claude Gay que pour ses chères études ou les honnêtes plaisirs des soirées de famille. Nous avons senti alors combien avait raison le célèbre baron Cloquet lorsqu'il nous disait : « j'ai connu votre oncle pendant quarante ans, le perdant parfois de vue, mais je l'ai toujours retrouvé tel que dans les premiers jours de notre liaison, c'est-à-dire profondément honnête et de mœurs pures. Je n'ai jamais entendu sortir de sa bouche une parole malséante, quelle que fût la composition de la société où il se trouvait. »

Nous voulons citer une anecdote de la vie de Claude Gay pendant son séjour à Saint-Denis, afin de montrer combien sa curiosité était vive et son esprit fertile en expédients.

C'était le jour des funérailles de Louis XVIII. Il y avait à SaintDenis une immense affluence de troupes et tout le grand monde de Paris. L'église ne pouvant contenir qu'un certain nombre de personnes, on n'entrait qu'avec des billets de faveur, et ces billets étaient très recherchés. Claude Gay brùlait du désir de voir la solennité, mais quelle prétention, quand on n'y parvenait pas, même en étant un personnage ! La cérémonie allait commencer. Le jeune pharmacien se sépare alors des personnes avec lesquelles il avait assisté jusque là, du haut d'un balcon, au défilé des troupes. Nu tête, une fiole à la main, il se précipite: « la duchesse d'Angoulême se trouve mal », dit-il, en courant; la haie des soldats s'entr'ouvre pour lui ouvrir passage; arrivé à la porte de l'église « la duchesse se trouve mal »>< répète-t-il effaré, et il entre sans résistance. Vers le haut de l'escalier, montait un général en grand uniforme; il le suit lentement, quoique se donnant des airs essoufflés. Aux gardes du corps qui sont à la porte de la tribune par où a passé le général; « où est mon général? » dit-il avec animation; on s'empresse de le lui indiquer, et alors lui, gravement, vient prendre place à côté du dignitaire et, pour continuer à donner le change et prouver qu'en réalité c'est lui qu'il cherche, il se hâte de lui adresser quelques questions banales et reste là, comme un noble pair, assistant à toute cette magnificence des funérailles d'un de nos rois. réussi.

Son stratagème avait

De Saint-Denis, Claude Gay allait assez régulièrement suivre les cours publics soit au Muséum soit à la Sorbonne. Souvent il faisait le trajet à pied. Son assiduité, son application, ses connaissances acquises l'avaient fait remarquer des plus illustres

professeurs de l'époque, les Pouillet, les Arago, les de Blainville, les Milne-Edwards, etc. Aussi lorsque le Chili demanda à la France des maîtres capables pour fonder une sorte de collége national à Santiago, Claude Gay fùt-il désigné d'une voix unanime comme professeur de botanique et d'histoire naturelle. On lui en fait la proposition, il accepte avec enthousiasme. N'allait-il pas traverser les mers et voir d'autres continents où tant de richesses scientifiques gisaient encore inconnues et inexplorées ?

D'ailleurs laissons le lui-même nous exprimer son bonheur. Voici ce que nous lisons à la première page de son itinéraire ; « Voué depuis ma plus tendre jeunesse à l'étude des sciences « naturelles et désirant mettre à profit la connaissance que j'en « avais acquise, je choisis la république du Chili comme devant. «me fournir des matériaux extrêmement neufs pour la publica«tion d'une flore et d'une faune de cette contrée. Ce fut en effet

sous ce point de vue que je quittai vers la fin de 1828 la France, ina patrie, et embarqué sur la corvette de guerre l'Adour, nous nous dirigeames d'abord vers le Brésil où nous séjournámes un mois et demi à peu près. Quoique ce séjour n'ait pas été « très long, cependant j'ai eu le temps de visiter la plus grande

[ocr errors]
[ocr errors]

partie des environs de Rio Janeiro. Je ramassai une assez « grand nombre de plantes que mon savant ami de Jussieu a pu<«<bliées dans sa flore du Brésil. Je me procurai aussi un assez « bon nombre de papillons, insectes, etc., et mes collections «devenaient de plus en plus intéressantes lorsqu'elles furent in«terrompues par notre départ pour Montevideo et Buenos-Ayres « où nous restámes à peu près un mois. Pendant cet intervalle,

«

j'eus le temps de ramasser une foule de plantes qui, en géné

ral, étaient nouvelles pour moi et plusieurs même pour la « science. Je rencontrai aussi plusieurs insectes, quoique en petit nombre; mais bien que ces trouvailles me fussent extrėmement agréables, néanmoins je désirais ardemment arriver « dans mon pays de prédilection. Aussi notre départ de Monte« video ne me fut-il pas si pénible que celui de Rio Janeiro, malgré mes souffrances ordinaires du mal de mer. Une allégresse <«< intérieure me transportait vers cette nouvelle contrée; tous les << jours nous en approchions et cependant, comme c'est l'usage « en pareil cas, je devenais tous les jours plus impatient. Je me voyais déjà parcourant ces vastes plaines, escaladant les orgueilleuses Cordillères et ramassant ces intéressants objets qui « font les délices des botanistes. Ces douces illusions me fai<< saient un peu oublier les ennuis d'une mer triste comme celle << du cap Horn et sans cesse épouventablement furieuse. Nous « mimes plus d'un mois à doubler ce malheureux cap, mais enfin « à force de patience, je dirai même de courage, nous parvinmes << au lieu de notre destination. Ce fut le........., jour à jamais « mémorable pour moi. >>

«

Maintenant que le voilà au Chili, nous ne pouvons mieux faire que de nous en rapporter, pour tous les actes de Claude Gay sur cette terre lointaine, à ce que nous en dit son remarquable biographe chilien, M. Vicùna Mackena, gouverneur de Santiago et aussi éminent comme publiciste que comme administrateur.

Le college de Santiago était à peine fondé qu'il fut obligé de fermer ses portes. Les professeurs se dispersèrent et durent chercher péniblement leurs moyens d'existence. Quant à Claude Gay, il fut le mieux partagé. « En cuanto a M. Gay, tuve mejor

« PreviousContinue »