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1784). La plus belle de ses odes est celle qu'il à faite la mort de J.-B. Rousseau. On remarque

sur

dans cette ode deux strophes qui peuvent être placées à côté de ce que Rousseau lui-même a fait de plus majestueux; c'est la première, et surtout celle-ci que l'on ne se lasse jamais de relire :

Le Nil a vu sur ses rivages

Les noirs habitans des déserts
Insulter par des cris sauvages,
l'astre éclatant de l'univers.
Cris impuissans! fureurs bizarres!
Tandis que ces monstres barbares
Poussoient d'insolentes clameurs,
Le dieu, poursuivant sa carrière,
Versoit des torrens de lumière

Sur ces obscurs blasphémateurs.

M. de La Harpe dit qu'il ne connoît point de plus grande idée rendue par une plus grande image, ni de vers d'une harmonie plus imposante (1). Ailleurs il ajoute : « Cette ode et celle de Racine fils sur l'Harmonie, sont les plus beaux morceaux de poésie lyrique qui aient été faits depuis Racine et Rousseau, jusqu'à nos jours, sans exception aucune ni des

(1) Le même M. de La Harpe raconte au sujet de cette strophe une anecdote assez plaisante. Il y avoit vingt ans que l'ode étoit imprimée, et personne n'en parloit, sans doute à cause du ridicule que Voltaire ne cessoit de jeter sur les poésies de M. de Pompignan. Cependant cette ode tomba un jour sous les yeux de La Harpe; la strophe du Nil le frappa tellement, qu'elle se grava de suite dans sa mémoire. Ici je lui cède la plume : « J'en étois tout plein, dit-il, lors de mon premier voyage à Ferney en 1765. Je trouvai bientôt l'occasion d'en parler à Voltaire sans aucun air d'affectation, à table, et en présence de vingt personnes. J'eus

morts ni des vivans. » L'ode de L. Racine, toute belle qu'elle est, n'a ni la verve, ni la chaleur de celle de M. de Pompignan.

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Malgré les épigrammes de Voltaire, les poésies sacrées de M. de Pompignan sont la partie la plus brillante de ses ouvrages, et Voltaire lui-même les admiroit en secret. Elles parurent par intervalle de 1751 à 1755, et furent recueillies dans une édition magnifique en 1762. L'auteur a mieux réussi dans les cantiques et dans les prophéties, que dans les psaumes qui demandent plus de sensibilité et d'onction. Cependant on trouve une très belle strophe dans la traduction du psaume Qui regis Israel, intende, etc. Quant aux prophéties, la traduction du cantique d'Ézéchiel : 0 Tyre, tu dixisti, etc., présente de superbes strophes.

LOUIS POULLE (n. 1702-m. 1781), prédicateur ordinaire du Roi. Ses sermons composés et prononcés vers 1738 sans avoir jamais été écrits, n'ont été dictés par lui que quarante ans après, c'est-à

soin seulement de ne pas nommer l'auteur. Je me défiois un peu de l'homme, et je voulois l'avis du poëte. Il jeta des cris d'admiration; c'étoit sa manière quand il entendoit de beaux vers: jamais il ne les a écoutés froidement. Ah mon Dieu ! que cela est beau! Eh! qui est-ce qui a fait cela ? Je m'amusai quelque temps à le faire deviner; enfin je nommai Pompignan. Ce fut comme un coup de théâtre; les bras lui tombèrent. Tout le monde fit silence et fixa les yeux sur lui. Redites-moi la strophe. Je la répétai; et l'on peut s'imaginer avec quelle sévère attention elle fut écoutée. Il n'y a rien à dire ; la strophe est belle. »

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dire, en 1778, et ils ont été publiés par son neveu la même année, 2 vol in-12: c'est un effort de mé moire prodigieux (1). Les deux meilleurs discours de l'abbé Poulle sont l'exhortation sur l'aumône, prononcée dans la salle d'audience du grand Châtelet, et l'exhortation faite à l'occasion d'une assemblée de charité en faveur des enfans trouvés. Le succès de ces deux discours fut inoui. Ils firent le plus grand bruit tant à Paris qu'à Versailles; le triomphe de l'orateur ne se borna pas à de stériles applaudissemens de la part de ceux qui l'entendirent; il excita dans le moment une telle émulation de charité, que ses auditeurs versèrent l'or et l'ar gent avec abondance; beaucoup de personnes donnèrent tout ce qu'elles avoient sur elles, et c'étoient des sommes. On ne se rappeloit pas avoir jamais rien vu de semblable. La réputation de l'abbé Poulle fut telle qu'on ne craignit pas de le mettre sur la même ligne que Bourdaloue et Massillon; mais il s'en faut qu'il mérite un jugement aussi favorable. Il s'est fait remarquer, il est vrai, par une imagination vive et brillante, par de très beaux mouvemens oratoires, par des tours et des figures qui entraînent dans certains momens ; mais l'art chez lui se laisse aperce

(1) Surtout pour un ouvrage en prose; car pour des vers on les retient beaucoup plus facilement. On sait que Crébillon récitoit son Catilina d'un bout à l'autre saus en avoir écrit un mot; il en étoit de même de J.-B. Rousseau et de l'abbé Delille, pour quelques-uns de leurs poëmes. La Harpe en a fait de même pour sa Mélanie. On pourroit encore citer d'autres exemples.

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voir; il éblouit beaucoup plus qu'il ne persuade; ce n'est pas avec l'esprit seul que Bourdaloue s'est soutenu constamment dans le grand art de la conviction, et Massillon dans celui de la persuasión. Si cependant l'abbé Poulle ne marche pas de front avec ces deux grands orateurs, on ne peut lui refuser une place distinguée parmi les prédicateurs du second ordre. Nous citerons encore de lui ses sermons sur le Ciel et sur l'Enfer, où il y a certainement plus de beautés que de défauts.

S. A. PROPERCE (n. vers 702 de R., 52 av. J.-C. —m. 742 de R., 12 av. J.-C.) a laissé quatre livres d'Élégies, où il célèbre constamment sa chère Cynthie, dont Apulée croit que le vrai nom étoit Hostia ou Hostilia, femme sur laquelle on n'a aucun renseignement. Properce surpasse Tibulle par la vivacité des couleurs et la force des expressions; mais il lui est inférieur sous le rapport de la sensibilité et de la délicatesse. Souvent aussi il renonce entièrement au ton élégiaque pour prendre celui du genre didactique et du genre historique ou mythologique. Alors il s'élève quelquefois au sublime de l'épopée. On regarde comme ses deux chefs-d'œuvre la 3. et la 11. élégies du livre iv; la première est intitulée Arethuse à Lycotas; et la seconde a pour titre Cornélie à Paulus. Ce sont plutôt des héroïdes que des élégies. «Tout ce que la poésie a de grâces, d'élévation et de vraie flamme, dit M. de Longchamps, se trouve réuni dans ces deux pièces au mérite d'une

composition sage, méthodique et bien ordonnée; et c'est au profit de la morale et des mœurs que tant de richesses sont prodiguées. » Parmi les autres élégies proprement dites de Properce, on distingue la 18.e du livre 1, qui est un chef-d'œuvre de sentiment mis en image; la 12.o du livre 11, qui est celle de toutes où il a mis le plus d'esprit, sans qu'on ait à lui en reprocher l'abus. L'une et l'autre sont adressées à Cynthie. La 30. du même livre, adressée à Jupiter sur la maladie de Cynthie, est encore une des plus belles, etc.

PHILIPPE QUINAULT (n. 1635-m. 1688), Atys est un des meilleurs opéra de cet auteur qu'il ne faut pas juger d'après ce qu'en a dit Boileau. Dans Proserpine, également estimé, la versification est plus élevée, surtout dans ce beau morceau, Ces superbes Géans armés, etc., qui sert d'ouverture, et que Voltaire admiroit; c'est en effet, avec le fameux morceau de Persée, j'ai perdu la beauté, etc., ce qu'il y a de plus fortement écrit dans Quinault. Amadis et Roland sont encore deux opéra qui font honneur à sa Muse, surtout le prologue d'Amadis qui est l'un des plus ingénieux selon Voltaire. Mais le plus beau de tous est Armide; c'est là l'éléque gance du style est le plus continue, que les situations ont le plus d'intérêt, qu'il y a le plus d'invention allégorique, le plus de charme dans les détails, etc. Voici comment autrefois on caractérisoit les quatre plus beaux opéra de Quinault : Atys, disoit-on, est

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