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JACQUES DELILLE (n. 1738—m. 1813 ). Si la muse de cet aimable poëte ne se place pas au sommet du Parnasse à côté de nos plus grands maîtres, on peut dire avec vérité qu'elle tient un rang très honorable sur le mont sacré parmi tout ce que l'on connoît de plus brillant, de plus varié, de plus pittoresque et en même temps de plus facile. Ses ouvrages ont un éclat éblouissant qui, surtout dans ses poëmes, rachète par la richesse des détails ce qui peut manquer à ce qu'Horace appelle le ponere totum. Mais ces détails enchanteurs parmi lesquels on distingue de charmans épisodes, sont si multipliés dans les poésies de M. Delille, qu'il seroit difficile d'en faire ici l'énumération. D'ailleurs qui n'a pas lu et relu toutes les productions sorties de sa plume féconde? A peine sa traduction des Géorgiques parutelle, que devenue inséparable de l'original, proclamée originale elle-même, elle fut à l'instant rangée parmi les classiques. Son joli poëme des Jardins eut un succès prodigieux auquel il ne manqua pas même le tribut envenimé de l'envie ; l'Homme des champs eut le même accueil. Quant au poëme de la Pitié, il intéressa vivement toutes les ames sensibles, toutes celles à qui ce sentiment n'avoit point été étranger pendant nos orages politiques; mais il fut jugé bien autrement par certains écrivains....... et il ne parut long-temps en France que déchiré par la critique et mutilé par l'autorité. M. Chénier qui dans son Tableau de la Littérature française rend une justice éclatante aux talens poétiques de M. Delille, fait le

plus grand éloge de sa traduction du Paradis perdu (supérieure à celle de l'Enéide), du poëme de l'Imagination et de celui des trois Règnes de la Na ture. Dans le Paradis perdu, « on distingue, dit-il, de célèbres morceaux rendus avec un talent consommé, le début, par exemple, et cette invocation majestueuse à laquelle on peut assigner le premier rang parmi les invocations épiques, le conseil tenu par

les démons, les énergiques discours de Satan, le chant si pur et si vanté des amours d'Adam et Eve, et la touchante apostrophe du poëte à cette lumière éternelle qui ne brilloit plus pour lui. » Dans le poëme de l'Imagination, les morceaux les plus saillans sont les vers sur J.-J. Rousseau, l'hymne à la Beauté, l'épisode touchant de la Sœur grise, l'épisode si célèbre des Catacombes, et dix morceaux qui portent le cachet de la même supériorité. « Le poëme des trois Règnes de la Nature présente, dit encore M. Chénier, plusieurs morceaux de maître: la charmante description du colibri, par exemple, et dans une manière plus large, les descriptions du chien, du cheval, de l'âne, cet humble et laborieux serviteur, dont le nom ne fut pas dédaigné par la muse héroïque du chantre d'Achille; mais l'auteur ne décrit pas seulement; il est peintre car il est poëte. Il sait rendre les grands effets de la nature, l'éruption d'un yolcan, les désastres causés par un hiver rigoureux, les ravages d'une contagion. Après avoir peint un ouragan, voyez avec quel art il rattache à cette peinture effrayante un épisode qui la fait valoir encore,

la destruction de l'armée de Cambyse. Observez comme à l'occasion de l'aurore boréale il interprète un phénomène par une fiction ingénieuse et dans le vrai goût de l'antiquité. Nous négligeons un épisode de Thompson que M. Delille a traduit comme il sait traduire. Mais qui pourroit oublier un autre épisode aussi noble que touchant, celui des mines de Florence, de cet asyle souterrain où deux chefs de partis contraires sont réunis, réconciliés et désabusés de l'ambition par l'infortune? Voilà des narrations animées, des tableaux vivans; là M. Delille est tout entier. » Nous pourrions ajouter à l'indication de ces beaux passages celle d'une infinité d'autres, puisés dans les divers ouvrages de notre poëte; mais, nous le répétons, la liste en seroit beaucoup trop longue et passeroit les bornes de notre travail; contentons-nous donc de rendre hommage avec M. Chénier, « à ce talent inépuisable qui bravant la délicatesse outrée de notre langue poétique, a su vaincre ses dédains et la dompter pour l'enrichir ; dont les défauts brillans sont et seront trop imités, mais dont les beautés presque sans nombre auront trop peu d'imitateurs; à qui nous devons huit poëmes; qui fut célèbre à son début ; qui a écrit pendant cinquante ans, mais qui n'a fatigué que l'envie, et dont le nom restera fameux, »

DÉMOSTHÈNE (V. p. 33) a laissé dix harangues que l'on a toujours considérées comme des chefsd'œuvre, et sur lesquelles les plus grands rhéteurs ne

sont pas d'accord lorsqu'il est question de les classer par ordre de mérite, à l'exception cependant de l'oraison pour la Couronne, à laquelle on donne la préférence. C'est, selon Boileau, le chef-d'œuvre de l'esprit humain. Celle de la Chersonnèse est regardée par La Harpe comme la plus belle, tout en convenant cependant que l'on n'y trouve pas l'on n'y trouve pas les grands tableaux, les grands mouvemens, les développemens vastes de la harangue pour la Couronne, ni cette espèce de lutte si vive et si terrible qui appartient au genre judiciaire où deux athlètes combattent corps corps. Enfin l'on peut dire que tout ce qui est sorti de la plume de Démosthène, soit Philippiques, soit Olinthiaques, soit discours sur des sujets particuliers, peut servir de modèle, ayant excité l'admiration de tous les siècles.

à

On ne doit donc pas être surpris d'entendre Cicéron, après avoir payé un juste tribut d'éloges aux célèbres orateurs de la Grèce (Lysias, Hypéride et Eschyne), s'exprimer ainsi sur le compte de Démosthène : « Il réunit, dit-il, la pureté de Lysias, l'esprit et la finesse d'Hypéride, la douceur et l'éclat d'Eschyne; et quant aux figures de la pensée et aux mouvemens du discours, il est au-dessus de tout : en un mot on ne peut rien imaginer de plus divin. » Cicéron revient souvent sur l'éloge de Démosthène, particulièrement dans son Orator, n.os 23 et 104, et dans son Brutus seu de claris oratoribus, n.o 35. Fénélon, Lettre sur l'éloquence, et le cardinal Maury, dans son Essai sur l'éloquence de la chaire, ont

aussi parlé dignement de l'orateur athénien; mais je préfère le jugement qu'en a porté La Harpe dans son Cours de Littérature (édition de Dijon, tom. III, p. 184) où il dit : « Raisonnemens et mouvemens, voilà toute l'éloquence de Démosthène. Jamais homme n'a donné à la raison des armes plus pénétrantes, plus inévitables. La vérité est dans sa main un trait perçant qu'il manie avec autant d'agilité que de force, et dont il redouble sans cesse les atteintes. Il frappe sans donner le temps de respirer; il pousse, presse, renverse, et ce n'est pas un de ces hommes qui laissent à l'adversaire terrassé le moyen de nier sa chute. Son style est austère et robuste, tel qu'il convient à une ame franche et impétueuse. Il s'occupe rarement à parer sa pensée : ce soin semble au-dessous de lui; il ne songe qu'à la porter tout entière au fond de votre cœur. Nul n'a moins employé les figures de diction; nul n'a plus négligé les ornemens; mais dans sa marche rapide il entraîne l'auditeur où il veut ; et ce qui le distingue de tous les orateurs c'est que l'espèce de suffrage qu'il arrache est toujours pour l'objet dont il s'agit, et non pas pour lui. On diroit d'un autre : il parle bien; on dit de Démosthène : il a raison. »

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ANTOINETTE DESHOULIÈRES (n. 1634-m. 1694) a composé beaucoup de poésies parmi lesquelles ses idylles tiennent le premier rang; et entre celles-ci il faut placer en tête l'idylle des Oiseaux et l'idylle des Moutons. Celle des Moutons, la meilleure,

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