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ment méthodique, pût tenter un pareil examen? Quelle tyrannie que de forcer ce peuple à adopter exclusivement tel ou tel de ces systèmes, contredit par une infinité d'autres, sans qu'il en ait étudié ni compris aucun! Et quelle absurdité que d'espérer que ces doctrines contradictoires puissent nous rendre justes et organiser les sociétés!

Je m'abuse étrangement, ou voici la conséquence incontestable de cette déduction simple. La pratique du bien moral est la seule religion obligatoire à laquelle l'homme puisse être contraint avec justice1. La raison, qui lui fait voir l'avantage particulier et commun résultant de cette pratique, est le seul guide qui lui soit indispensablement nécessaire. Les principes du bien moral étant fondés sur l'intérêt de l'humanité et de chaque individu, ils sont absolument indépendans de tout système religieux; et si nous n'imputons pas à la mo

Des partisans de la tolérance ont prétendu que les athées n'y ont point de droit, parce qu'ils énerveut toutes les lois humaines, en leur ôtant la force qu'elles tirent de la sanction divine. C'est mettre en fait ce qui est en question, et je crois que quelques-unes de mes idées peuventaider à résoudre cette question contre les partisans d'un tel principe. Les athées, disent-ils, ne laissent entre le juste et l'injuste qu'une distinction politique et frivole. Pourquoi frivole! Quant à politique, c'est la seule qui interesse le gouvernement, et à laquelle il ait droit de regar der. M. de Romilly, que je refute ici, convient que les erreurs qui ne sont que spéculatives sont indifferentes à l'Etat. Eh bien! soyons conséquens, et revenons aux principes. Le magistrat n'a droit de punir que les actions, et s'il peut punir les athées pour leurs principes, il en sera de mème de toute autre opinion. La tolérance civile est donc nulle, si elle n'est pas universelle. On proposait au parlement d'Angleterre un bill contre l'atheisme; le fameux comte de Peterborough s'y opposa et dit : « Je suis bien pour un roi parlementaire, mais je ne veux pas avoir un Dieu de la main du parlement non plus qu'une religion. Si la chambre se déclare pour une de cette espèce, j'irai à Rome, et je ferai mes efforts pour être nommé cardinal, d'autant plus que, pour traiter de pareilles affaires, je préférerais être assis dans le conclave plutôt qu'avec vos seigneuries.» (The History of Engl. by Smolett.) Ce mot a l'air d'une plaisanterie; mais il est très-profond.

ale naturelle les désordres qu'introduisent dans les sociétés les mauvaises lois et les institutions superstitieuses qui l'altèrent ou la détruisent, les gouvernemens tyranniques qui mettent en opposition l'intérêt particulier et 'intérêt général,et entourent l'homme de préjugés dange:eux et funestes qui l'asservissent et le dénaturent; enfin si nous ne cherchons que les principes essentiellement nécessaires à la tranquillité et au bonheur universel, nous les trouverons les mêmes chez tous les humains; et c'est sur cette base solide et indestructible qu'il faut asseoir a société, et non sur les sables mouvans qu'amoncèle et renverse sans cesse le vent des passions..

C'est aux princes, c'est à leurs ministres, c'est aux conquérans, c'est aux persécuteurs, aux despotes, qu'il faudrait désirer la ferme et sincère croyance d'une autre vie, et d'un Être tout puissant, juge suprême de leur conduite, vengeur inexorable des attentats publics, plus encore que des crimes particuliers, qui leur demandera un compte rigoureux de l'usage qu'ils auront fait de leur autorité et de leur puissance. Peut-être cette opinion remuerait-elle le cœur des grands, inaccessible aux remords, mais ouvert à la crainte. Malheureusement pour les hommes, ceux qui ont le pouvoir de faire de grands maux ne redoutent aucun jugement. Un citoyen obscur, s'il ne croit point à un Dieu rémunérateur, sait du moins qu'il échappera difficilement à la sévérité des lois, et quand la police civile sera faite avec une intégrité vigilante, peu d'hommes oseront braver les supplices ou même l'infamie (si la législation a su employer ce grand ressort)', parce que personne n'espérera l'impunité. Mais piller et opprimer tout un

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Songez plutôt, dit un ancien, à faire monter le sang au visage d'un homme qu'à lui en tirer des veines.

peuple, n'est-ce donc pas un crime plus grand que de voler un particulier? Massacrer des milliers d'hommes et soudoyer cent mille complices de ces meurtres, ou en commettre un, sont-ils des forfaits comparables? Eh bien! voilà les jeux de ceux aux ordres desquels sont les magistrats et la garde publique.

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Quand il s'élèvera une religion qui réprimera ces grands crimes, et dont les premières lois seront les notions fondamentales de la justice, qui éteindra la soif du sang 1 et de l'or dont les ambitieux sont dévorés, qui réclamera sans cesse les droits inaliénables de l'espèce humaine, auxquels toutes les institutions doivent être subordonnées, sous peine d'être nulles de droit et criminelles de fait; quand les ministres de cette religion, vraiment sainte, donneront aux rois « des » idées de paix et surtout de soulagement des peuples, » de modération et d'équité, de défiance à l'égard des >> conseils durs et violens, d'horreur pour les actes » d'autorité arbitraire2; » quand ils enseigneront aux hommes, avec le désintéressement de la vertu et le courage de la vérité, les principes immuables de toute société légitime et prospère, les droits et les devoirs de tous, sans acception de personne et de rang, les philosophes dignes de ce nom seront les prédicans les plus zélés et les plus enthousiastes de ces dogmes bienfaisans auxquels l'humanité devra son bonheur. Jusque là, indifférens pour tous les systèmes théologiques, ennemis de tous les cultes qui arment les puissans et

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› S. Ambroise reprocha, comme on sait, publiquement à Théodose le massacre de Thessalonique, et lui commanda d'expier ce crime. Je ne connais pas un autre trait de ce genre à ajouter à cet exemple célèbre ; encore S. Ambroise prononça-t-il l'oraison fanèbre de ce prince.

2 Ce sont les propres mots qu'écrivait Fénélon à madame de Maintenon. Ua pareil directeur devait étre bientôt persécuté et disgracié; et il le fut.

errassent les faibles; leur religion sera la tolérance qui anit les hommes. Jusque là les vrais citoyens penseront que c'est uniquement dans les intérêts de l'humanité qu'il faut chercher les principes de la justice et de oute législation, les devoirs respectifs des souverains et des peuples, les limites de l'autorité et celles de l'obéissance. Voilà l'unique moyen « d'arranger les gou» vernemens pour les hommes, et non les hommes » pour les gouvernemens, » comme ont fait jusqu'ici tous les publicistes et les écrivains politiques, sans excepter les plus courageux et les plus respectés '.

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CHAPITRE IV.

Collusion des deux autorités ecclésiastique et civile. La justice, source commune de tous les rapports humains, est le fondement des droits réciproques des peuples et des souverains, quelle que soit l'origine des gouvernemens qui se sont établis parmi les hommes.

Si la justice est, comme nous l'avons prouvé, la source commune des rapports humains, et le résultat ordonné de nos besoins primitifs, les priviléges des gouvernans et des gouvernés sont fondés sur elle, quelle que soit l'origine de l'autorité établie parmi les

I

J'excepte de ce reproche l'Histoire des deux Indes de M. Raynal, l'un des ouvrages qui honorent le plus notre siècle. Le genre humain avait perdu ses titres, Montesquieu les à retrouvés et les a rendus, dit M. de Voltaire, qui n'a pas toujours si bien traité ce grand écrivain. Je crois cette pensée très-fausse. M. de Montesquieu s'est montré dans l'Esprit des Lois circonspect jusqu'à la timidité. Partout il compose avec les prêtres et les rois. Souvent, et très-souvent, il sacrifie le droit naturel au droit positif. Le respect humain fait chanceler cet illustre et respectable philosophe dans la carrière de la législation, qu'il était si capable de parcourir d'un vol hardi ; et s'il a recouvré nos titres, il est trop vrai qu'il ne nous en a rendu que la plus petite partie.

hommes. Ce titre est donc imprescriptible par quelques moyens qu'on l'ait éludé ou violé; car la violence ou l'artifice peuvent bien anéantir ou déranger la possession, mais jamais détruire le droit. J'ai dit que mes principes étaient applicables à tous les systèmes.

En effet, admettrons-nous l'émanation divine de toute autorité? Toute puissance vient de Dieu, direzvous; elle est par conséquent au-dessus de toute inspection humaine. Sa volonté est son titre unique et légitime. Elle commande, parce que telle est sa mission, sa destination, son plaisir.... O toi, jeté en naissant tout nu sur la terre, qui serait aussi nue que tu l'étais alors, si des hommes plus forts, plus adroits, plus utiles, plus estimables ne l'avaient cultivée; toi, dont le premier signe de vie fut des cris et des pleurs; toi qu'il ne fallait qu'abandonner pour te faire périr; toi, qu'en dépit de la nature, on garotta de liens au moment où tu vis la lumière, fier roi des humains, destiné à les commander, mais asservi aux mêmes misères que toutes les autres créatures, tu te trouvas aussitôt après la naissance pieds et mains liés, poussant des gémissemens, et tu te crois né pour le faste, pour l'orgueil, pour le despotisme !..... O pitié! ô démence'!....

Dieu donne tout, puisqu'il donne la vie ; Dieu donne tout, puisque la nature n'est que son instrument et son ouvrage. Dieu donne la couronne au roi légitime et à l'usurpateur, puisqu'il les fait naître. Il envoie

Principium jure tribuetur homini cujus causa videtur cuncta alia » genuisse natura, magna sæva mercede, contra tanta sua munera ; ut non » sit satis æstimare parens melior homini, an tristior noverca fuerit? An» te omnia, unum animantium cunctorum alienis velat opibus: cæteris » varie tegmenta tribuit..... Hominem tantum nudum, et in nuda humo, » natali die abjicit : ad vagitus statim et ploratum, nullumque tot anima

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