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de François II; celle de Blois et celle de Moulins de 1566, données par Charles IX, sont surtout remarquables. L'article cxi de la première défend aux juges «< d'avoir égard aux lettres de cachet ou closes obte>> nues par importunité ou plutôt subrepticement, pour » faire séquestrer des filles, et icelles épouser contre le >>gré et vouloir des pères et mères, tuteurs et cura»teurs, chose digne de punition exemplaire. » Cette disposition, qui offre une preuve bien frappante de ce que l'intrigue peut oser, a été renouvelée par l'arti

cle CCLXXXI de l'ordonnance de Blois. L'article LXXXI de l'ordonnance de 1566 a défendu à tous juges d'avoir aucun égard aux lettres closes qui auraient été ou seraient ci-après expédiées et à eux envoyées pour le fait de la justice.

Je ne crois pas qu'il y ait quelque chose de raisonnable à opposer à l'autorité de la tradition dont je viens de tracer, aussi succinctement qu'il m'a été possible, la chaîne non interrompue.

S II.

Diverses révolutions du pouvoir judiciaire en France. Jugement par pairs. Comment il se pratique en Angleterre. Réflexions sur cette méthode.

« Il (Louis XIV) ignorait qu'en remontant dans les >> fastes de la nation on trouve que tout Français jugé >> par ses pairs jouissait du privilége de ne pouvoir être emprisonné, sous quelque prétexte que ce fût,

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à

>> moins d'un crime capital et notoire. » (Première partie, chapitre I.)

Je tracerai les différentes révolutions qu'a subies en France le pouvoir judiciaire, et je resserrerai, autant

VII.

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qu'il me sera possible, les réflexions qui naissent en foule à chaque pas que l'on fait dans cette vaste carrière.

Pour se former une idée nette et précise de nos premières institutions, il faut nécessairement en rechercher l'origine dans celle des Germains nos ancêtres. L'admirable ouvrage où Tacite nous a peint leurs coutumes et leurs mœurs contient en quelque sorte l'histoire politique des Français jusque bien avant dans la seconde race.

Il n'est pas possible de douter de l'esprit d'indépendance que les Germains conservèrent, alors même qu'ils devinrent de grands corps de nation. Les différentes tribus des Francs avaient des lois diverses, rédigées soit avant soit après leur établissement dans les Gaules ces lois sont toutes animées de cet esprit; et sans entrer dans les détails, c'est en apporter une assez grande preuve que d'observer avec M. de Montesquieu que toutes ces lois barbares étaient personnelles; c'est-à-dire qu'elles n'étaient point attachées à un certain territoire. Le Franc était jugé par la loi des Francs; l'Allemand par la loi des Allemands, etc. Queldifférentes qu'elles fussent dans leurs dispositions, elles se réunissaient toutes en ce point.

que

La jurisprudence des peuples barbares était nécessairement très-simple et très-défectueuse, parce que l'état de leur société était lui-même simple et grossier. Au rapport de César et de Tacite, les chefs ou principaux de chaque district rendaient la justice, et terminaient les différends. « Eliguntur in iisdem conciliis et >> principes qui jura per pagos vicosque reddunt. » (Mor. Ger. 12.)

On sent bien que les affaires litigieuses ne se multi

plient qu'à la suite des progrès de la civilisation. Les =Germains ne connaissaient presque pas la propriété des terres. Absolument adonnés à la chasse et à la guerre, «< vita omnis ex venationibus atque in studiis >> rei militaris consistit. (César.) Quoties bella non =>> ineunt, multum venationibus, plus per otium transi» gunt. » (Tacit. 15.) Méprisant et ignorant les arts, ne connaissant que les chants agrestes et militaires qui faisaient partie de leurs jeux, tout les éloignait des occupations sédentaires. Ils menaient cette vie errante et vagabonde qui était sans doute celle des premiers hommes et des premiers âges du monde. « Nullas Ger>> manorum populis urbes habitari satis notum est, ne pati quidem inter se junctas sedes. Colunt discreta >> diversi; ut fons, ut campus, ut nemus placuit. (Mor. Germ. 16.) Dans un tel état de société, il n'y avait guère que les querelles, les injures et les vengeances qui troublassent la concorde. Ceci demande quelques détails.

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La juridiction des magistrats était très-resserrée chez ces fiers Germains, si jaloux de leur indépendance. Aucun individu ne s'était privé du droit d'exercer sa vengeance personnelle. Chacun était même obligé de tirer raison des affronts ou des torts qu'avaient reçus ses parens ou ses amis. Les inimitiés devenaient héréditaires, mais elles n'étaient pas implacables. Le meurtre même s'expiait en donnant un certain nombre de bestiaux, et chaque offense se réparait de même par différentes compositions. « Suscipere tam inimicitias seu patris, seu propinqui, quam amicitias necesse est ; »> nec implacabiles durant. Luitur enim etiam homici>>dium certo armentorum ac pecorum numero; recipitque satisfactio nem universa domus, utiliter in

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publicum, quia periculosiores sunt inimicitiæ juxta » libertatem. » (Mor. Germ. 21.)

Telle était la punition de tous les délits particuliers. Mais jamais le magistrat n'eut le pouvoir d'emprisonner un homme, ni de lui infliger aucune peine corporelle. «< Cæterum, neque animadvertere, neque vincire, » neque verberare quidem nisi sacerdotibus permis>> sum, non quasi pœnam nec ducis jussu, sed velut » Deo imperante quem adesse bellantibus credunt. » (Mor. Germ. 7.) Et si la superstitieuse vénération des Germains pour les prêtres leur avait fait accorder ce privilége, c'était à l'autorité du Dieu des combats, et non à celle de l'homme, que l'on déférait.

Les Germains ne connaissaient que deux crimes capitaux. Ils pendaient les traîtres et noyaient les poltrons.

Distinctio pœnarum ex delicto, proditores et transfugas arboribus suspendunt, ignavos et imbelles et >> corpore infames coeno ac palude injecta insuper crate, » mergunt. » (Mor. Germ. 12.) C'étaient là les crimes publics soumis au jugement de la communauté, et les seuls qui entraînassent la mort du coupable. « Licet >> apud concilium accusare quoque et discrimen capitis intendere.» (Ibid.) Les perturbateurs du repos public n'étaient pas même punis par une peine capitale. Ils étaient livrés à la populace et promenés par la ville avec un dogue attaché sur leurs épaules sur quoi Blackstone observe que les empereurs Othon Ier et Frédéric Barberousse firent revivre cette punition, même pour de très-grands seigneurs. (Tome V, p. 107 et 108 de la traduction française.)

Il est bon de remarquer que la jurisprudence à demi sauvage des compositions n'est pas une législation particulière aux Germains. Cet usage remonte à la plus

α ΠΟΙΓΑΙ.

haute antiquité. Il en existe quelques traces dans les institutions des Juifs. L'homicide était puni de mort par leurs lois; mais si un homme en frappait un autre et que le blessé n'en mourût pas, celui qui l'avait mis dans cet état était regardé comme exempt de sa mort et obligé de le dédommager pour le temps où il n'avait pu s'appliquer au travail, et de lui rendre tout ce qu'il aurait donné aux médecins. « Si rixati fuerint viri et >> percusserit alter proximum suum vel lapide, vel » pugno, et ille mortuus non fuerit, sed jacuerit in lec>> tulo: si surrexerit et ambulaverit foris super bacu>>> lum suum, innocens erit qui percusserit, ita tamen » ut opera ejus et impensa in medicos restituat. »> (Exod. v. 29 et 30.) M. Hume observe que les Grecs avaient adopté, du temps de la guerre de Troie, la méthode des compositions qu'ils appelaient a Поirai. « Compositions for murder are mentioned in Nestor's >> speech to Achilles in the ninth of the Iliad, and are called,etc. » (Appendix the first, volume I, pag. 157.) On sait que toutes les nations septentrionales en faisaient usage. Les Irlandais, peuple absolument distinct de ceux du continent, et dont l'origine probablement celtique échappe à l'histoire et à la tradition, avaient la même coutume; le prix de la tête d'un homme était nommé son Éric. «The Irish, who never had any con>>nexions whith the German nations, adopted the same » practice till very lately; and the price of a man's » head was called among them, his Éric, as we learn >> from sir John Davis. »>Le brehon ou juge composait entre le meurtrier, et la famille ou les amis du mort; et la récompense qu'il assignait aux offensés s'appelait eriach. (Blackstone.) Les sauvages du nord de l'Amérique, qui, comme l'a observé Robertson (Preuves de

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