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vant les formes, et que, s'il y a eu des criminels jugés dans les assemblées de la nation, c'était sans nécessité'. Il faut assurément mal connaître le génie libre des Francs et l'esprit de toute autorité, qui ne se relâche pas volontairement de ses droits, pour former une telle conjecture; mais elle est démentie par des textes précis2. Le plus auguste monument de la législation française, le Pacte de la loi salique3, porte expressément que: « Les Français seront juges les uns des autres avec leurs » princes, et qu'ils décerneront ensemble les lois. » Les plus anciennes de ces lois, celle des Bavarois, dont M. Dubos s'appuie en en tronquant le texte; celle des Visigoths, qui gouvernait une grande partie de l'Aquitaine, et qui avait acquis tant d'autorité qu'on fit entrer plusieurs de ses dispositions dans les Capitulaires de Charlemagne 5; celle des Bourguignons, celle des Allemands; en un mot, tous les codes barbares faits avec l'intervention des peuples, la constitution d Clotaire, tous les capitulaires enfin 6, proscrivent les jussions arbitraires données sans procédure préalable, sans conviction du coupable, dont le crime doit être prouvé par trois témoins, « en sorte que l'accusé ne >> puisse le nier 7, et que la loi ne soit point violée par » le poids de la puissance 8 : » et nos premiers rois

› Histoire critique de l'établissement de la monarchie française dans les Gaules, liv. vi, ch. xvi.

2 Consultez les preuves à la suite de cet ouvrage.

3 Pactum legis salicæ. Vid. Baluze. Voyez aussi les preuves à la suite de cet ouvrage.

4 Lindenbrok, Codex legum antiquarum, pag. 26, 406, etc.

5 Liv. vi, ch. CCLXIX, et liv. vii, add. iv,

ch. 1.

6 Baluze, tom. 1, col. 7, art. 11, III, v, vii, 1x, col. 24, 718, 910; tom. 11, col. 79, 101, 236, 269, 322, 359, elc.

7 « Et exinde probatus negare non potest. » Loi des Bavarois.

8 « Nonnunquam gravedo potestatis depravare solet justitiam sanctio» nis. » Loi des Visigoths.

ont déclaré, aussi bien

que

leurs successeurs, que leur autorité serait de nulle valeur, toutes les fois qu'elle

serait en contradiction avec la loi1.

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Quant aux deux faits que M. l'abbé Dubos a tirés de Grégoire de Tours, et qu'il apporte en preuve de son étrange assertion, j'observerai seulement qu'il y a bien i peu de bonne foi à convertir en règles des actes de violence, et beaucoup de maladresse à n'en citer que deux. Pourquoi ne comptait-il pas aussi, au nombre des lois 1 fondamentales de notre constitution, les formules des lettres par lesquelles les Mérovingiens mettaient sous leur sauve-garde les assassins qu'ils avaient chargés du soin de les servir? Marculfe nous les a conservées; mais ces assassins auraient-ils eu besoin de protection contre les juges, si les lois eussent permis au souverain d'égorger à son gré ses sujets?

r On sait assez que sous la seconde race l'autorité royale ne fut que trop affaiblie, et qu'une anarchique aristocratie déchira la France. Mais avant ces désordres, plusieurs capitulaires avaient promis aux Français qu'ils ne seraient jamais dépouillés de leurs droits, de leurs dignités ou de leur liberté, ni par un acte de puissance arbitraire, ni par la volonté du monarque; mais par la loi seule et les formes qu'elle prescrit, et qu'aucune sorte de peine ne leur serait infligée par voie d'autorité 2.

Sous la troisième dynastie, à mesure que l'ordre renaît avec une monarchie régulière, des ordonnances

<< Si quis auctoritatem nostram subreptitie contra legem eliquerit fal>> lendo principem, non valebit. »Voyez Capitul. du roi Clotaire Ier,en 560. Baluze, tom. 1, fol.

2

Capitul., tom. 11, pag. 5; ibid., pag. 46. Capit. de Lothaire, de Louis le Germain et de Charles le Chauve. Voyez les textes dans les preuves à la suite de cet ouvrage.

sans nombre' interdisent formellement l'usage des let tres closes dans le fait de la justice. Cette exclusion est motivée par les raisons les plus fortes, et énoncé dans les termes les plus énergiques. Deux des plus mé chans rois que la maison de Valois, trop féconde en mauvais princes, ait donnés à la France, ont rempl plusieurs ordonnances de plaintes très-vives au sujet des lettres contraires à la justice qu'on ne cessait de leur surprendre. Philippe le Bel, ce monarque pervers qui avait l'âme et les talens d'un tyran, et à qui il n'en manquait que le pouvoir, Philippe de Valois, qui fit presqu'autant de mal, quoiqu'avec un cœur moins corrompu, obligés de satisfaire quelquefois aux murmures publics, pour conjurer les orages que leurs crimes et leurs fautes amoncelaient sans cesse sur leurs têtes, on défendu expressément à tous juges d'obéir à leurs ordres illégaux, annulant toutes lettres à ce contraires Philippe de Valois fit plus même ; il réprima une espèc d'inquisition civile, qui, après l'usage des lettres de cachet tel qu'on le pratique aujourd'hui, serait sans doute la proscription la plus funeste aux citoyens. On obtenait sous le nom du procureur général, et sans sa participation, des lettres portant commission de faire des informations contre tel ou tel particulier, quelquefois même contre des officiers de justice qu'on trouvait ap-' paremment trop intègres. Cette commission, confiée à des personnes gagnées par les ennemis de l'accusé, autorisait ces inquisiteurs à procéder sur les charges qui pourraient résulter de l'information, par voie d'emprisonnement et de saisie de biens. L'ordonnance de dé

Ordonnances du Louvre, tom. 1, pag. 321; tom. 11, pag. 166, 217; tom. 111, pag. 6, 15, 162; tom. iv, pag. 196, 218, 726; tom. v, pag. 323; tom. VII, pag. 290; tom. 1x, pag. 695; tom. x, pag. 123, etc., etc.

cembre 1344 prohiba ces informations secrètes, et condamna à une amende et aux dommages et intérêts des parties, ceux qui obtiendraient des lettres portant commission d'y procéder. Les seules exceptions furent dans le cas où l'information se ferait de la volonté expresse du prince, ou de l'autorité de sa cour, ou à la requête de son procureur général lui-même, et ces exceptions suffisaient bien pour laisser subsister la tyrannie; mais du moins le citoyen, décrété en vertu des informations secrètes, ne pouvait être mis en prison qu'après avoir été entendu. Le juge au tribunal duquel il devait être conduit était obligé de lui faire connaître les charges portées contre lui', de l'écouter et de statuer sur son renvoi ou son emprisonnement provisoire. On voit que l'usage actuel des lettres de cachet n'est autre que cette ancienne pratique dépourvue de toute forme légale, perfectionnée selon les vues de l'autorité arbitraire, rendue plus expéditive, plus propre à servir les haines particulières, et à mettre en sûreté les calomniateurs. Les informations secrètes étaient astreintes à quelques formalités judiciaires, puisque non-seulement il fallait qu'elles renfermassent des charges, et que ces charges fussent communiquées à l'accusé, mais encore qu'un juge les décrétât. On est parvenu depuis longtemps à élaguer toutes ces restrictions incommodes, en y substituant la signature réelle ou contrefaite du souverain et de son ministre. Au moyen de cet expédient on n'a plus besoin de témoins à brevet2, c'est-à-dire de faux témoins payés par le gouvernement pour déposer à sa volonté, tels qu'on en employa pendant la minorité de Louis XIV, et dans bien d'autres occasions

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sans doute; mais on voit et l'on verra, partout où il y aura du despotisme, des délateurs, des espions, une inquisition réelle, décorée d'un nom plus doux, et ce sera toujours sur les rapports de ces hommes notés d'infamie par leur profession même, que la plupart des lettres de cachet seront décernées.

Des procédures secrètes, restreintes par Philippe de Valois, furent entièrement abolies sous ses successeurs, et tous, jusqu'à Louis XIV inclusivement, ont fait aux juges les injonctions les plus formelles de ne point obéir aux lettres closes ou de cachet, ni même aux lettres patentes1 contraires aux ordonnances. Ils prononcent d'avance la nullité de ce que les magistrats auraient fait de contraire à la loi par l'appréhension du monarque 2, leur défendent de céder à la crainte de lui déplaire ou de l'irriter, et leur ordonnent même en certains cas de punir les porteurs d'ordres illégaux. Ils bornent l'usage des évocations, qui sont une autre espèce de violation arbitraire de l'autorité des lois, aux seuls cas prévus par les ordonnances publiées et vérifiées en parlement'; ils s'engagent à n'en donner aucune de leur propre mouvement, et déclarent nulles par avance les évocations arbitraires; chargent la conscience des magistrats d'en prononcer la subreption

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'Ordonn. 23 mars 1302; décembre 1344, art. 8 et 10; 14 mai 1358, art. 11; 27 janvier 1359, art. 21; 22 juillet 1370; 11 avril 1389; 27 avril 1408; avril 1453; 22 décembre 1499; novembre 1507; octobre 1535, etc. 2 << Injustum judicium et definitio injusta, regio metu vel jussu a judici>> bus ordinata, non valeat. » Capitul. Bal. tom. 1, pag. 353. Voyez aussi Capit., tom. 11, pag. 5, 19, 202; tom. 111, pag. 634, et un grand nombre de textes pareils dans le § 1 des preuves à la suite de cet ouvrage, même de très-récens, tels que ceux tirés de l'édit de 1616 sous Louis XIII, et de la déclaration de 1648 sous Louis XIV.

3 Édit de 1389, Ordonn. de 1402, 1560, 1579 et 1657.

4 Édit de janvier 1597, Fontanon.

5 Ordonn. de Blois, art. 97.

6 Ordonn. du 15 août 1389.

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