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lenteurs des formalités légales peuvent mettre en danger l'autorité, et par conséquent la société qu'elle protége et maintient, si ces troubles n'étaient pas rápidement réprimés. Tout Etat est exposé à des séditions passágères qu'il faut étouffer avec toute l'activité d'un gouvernement absolu et même arbitraire, et cela est si unanimement reconnu, qu'à peine est-il possible de citer dans l'histoire ancienne ou moderne un seul gouvernement où il ne se trouve quelque mélange d'autorité arbitraire.

Quand il serait vrai que les sociétés humaines ne pourraient être uniquement dirigées par les maximes de la justice, ni les hommes retenus par le seul frein de la loi; quand il serait nécessaire que dans toute administration une certaine portion d'autorité arbitraire fût confiée à un magistrat, le monarque ne serait jamais celui qu'il faudrait en revêtir; car il a déjà tant d'autorité et d'influence, que ce surcroît de pouvoir doit devenir dans ses mains l'instrument irrésistible de la subversion totale de la liberté ; et s'il me fallait absolument choisir entre deux opinions extrêmes, je dirais sans balancer, avec Swift', qu'un roi ne doit être qu'un épouvantail placé au milieu des champs pour défendre les moissons. Au moins me paraît-il certain qu'il serait moins dangereux que, dans des cas infiniment rares, les juges ordinaires eussent recours au pouvoir suprême pour la sûreté publique, et cette voix extraordinaire, quoique non exempte d'inconvéniens, pourrait du moins être regardée comme le jugement rapide, mais délibéré, et seulement provisoire d'une cour légale, plutôt que comme un usage arbitraire du pou

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voir absolu toujours effrayant, toujours funeste. Mais la raison et l'expérience, d'accord avec elle, prouvent, comme nous l'allons démontrer, que si la rigide et continuelle observation des lois peut entraîner par la lenteur quelques inconvéniens de police, les avantages sans nombre qui résultent d'un tel principe de gouvernement, seul garant de la liberté politique et civile, l'emportent sans aucune comparaison; et que ces prétendus inconvéniens, d'ailleurs fort exagérés, ne sont point l'effet propre de l'observation des formes légales. Cette vérité se développera mieux encore, lorsque nous traiterons des lettres de cachet considérées relativement aux particuliers. Examinons d'abord si les emprisonnemens arbitraires sont nécessaires, comme on l'a tant dit, comme on le croit généralement, pour la police des grandes villes.

CHAPITRE X.

Police des grandes villes. Exemple de la Hollande et de l'Angleterre. Définition du mot nécessité dans son acception politique.

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Le célèbre Hume, en rendant compte de l'acte d'hacorpus, dit : « Qu'il est assez difficile de conci>> lier avec cette extrême liberté la police régulière d'un » État, et surtout celle des grandes villes. » Cette manière de parler ambiguë, à laquelle ce célèbre écrivain est un peu trop sujet dans toutes les matières qui intéressent le gouvernement, laisse presque douter s'il approuve ou n'approuve pas sans restriction cette fameuse loi. Ce grand philosophe s'est étrangement

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oublié, s'il est vrai qu'il ait balancé de bonne foi dans cette occasion. Il est bon de remarquer qu'il assure deux lignes plus haut, « que cette loi est essentielle»ment nécessaire pour le maintien de la liberté dans >> une monarchie mixte, et que, comme elle ne se trouve » dans aucune autre forme de gouvernement, cette >> raison suffit pour faire préférer aux Anglais leur con

>> stitution civile à toutes les autres1. >>

si ce

Si la loi qui rend impossible tout emprisonnement arbitraire EST ESSENTIELLEMENT NÉCESSAIRE POUR LE MAINTIEN DE LA LIBERTÉ (essentially requisite for the protection of liberty), elle est à jamais sacrée et irréfragable; car à quoi est bon le gouvernement, n'est à maintenir cette liberté? Et qu'est-ce qui peut l'autoriser à commettre le mal qu'il doit prévenir? Les prétendus inconvéniens que cette liberté tant calomniée entraînera pour la police, seront apparemment et ne pourront être que l'effet de la maladresse des administrateurs, de leur défaut de vigilance, de fermeté ou d'intégrité. Quoi qu'il en soit, si l'objet unique du gouvernement n'est pas de garantir notre liberté et nos propriétés, peu nous importe sa belle police; peu nous importe l'avantage de la société, qui sert de prétexte à toutes les injustices particulières, s'il nous faut perdre les avantages et les droits, pour la conservation et l'accroissement desquels nous nous sommes réunis à

<< The law is essentially requisite for the protection of liberty in a » mixed monarchy; and as it has no place in any other form of govern>>ment, this consideration alone may induce us to prefer our present >> constitution to all others. It must, however, be confessed that there is » some difficulty to reconcile with such extreme liberty the regular police >> of a state, especially that of great cities. » (Hist. of Great Britain under the house of Stuart, édit. in-4°, vol. 11, chap. v, pag. 304.) M. l'abbé Prévôt a altéré ce texte et beaucoup d'autres dans sa traduction, nommément tout le règne de Charles Ier, et surtout la fin.

nos semblables. Que nous soyons dépouillés par un brigand ou par un publicain, garottés par un ennemi ou par un ministre, nous n'en serons pas plus libres; et, dans ce dernier cas, l'offense est plus grave, l'infortune est plus complète, puisque notre confiancé est trahie, puisque nous payons notre oppresseur, puisque c'est de nous qu'il tient ses forces, puisque tout acte de défense naturelle nous est alors interdit comme un crime.

«< Dans la guerre on est dépouillé par un plus vaillant que soi, disaient les Bretons opprimés par les lieutenans et les intendans des empereurs; mais ici ce sont des lâches, des gens sans cœur qui nous chassent de nos maisons, qui nous enlèvent nos enfans, qui nous tourmentent par des levées de milice, comme si nous pouvions tout souffrir, excepté de mourir pour la patrie: la discorde de ces officiers ou leur bonne intelligence nous sont également funestes: nous ne pouvons rien soustraire ni à leur rapacité ni à leurs passions effrénées1. » C'est avec raison que ces infortunés, qui ne gagnaient rien à une telle patience, que d'enhardir leurs tyrans à les maltraiter davantage comme des hommes capables de tout endurer, préféraient les misères de la guerre, mêlées d'espoir de liberté et de vengeance, à celles de la paix qui ne laissaient ni compensations ni ressources. En un mot, ce ne saurait

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Nihil profici patientia, nisi ut graviora tanquam ex facile toleranti>> bus imperantur. Singulos sibi olim reges fuisse : nunc binos imponi; è » quibus legatus in sanguinem, procurator in bona sæviret. Æque discor>> diam præpositorum, æque concordiam subjectis exitiosam: alterius ma>> nus, centuriones alterius vim et contumelias miscere; nihil jam cupi» ditati, nihil libidini exceptum in prælio fortiorem esse qui spoliet, >> nunc ab ignavis plerumque et imbellibus eripi domos, abstrahi libe» ros, injungi delectus, tanquam mori pro patria nescientibus. » (Tacit. Agric. 15.)

jamais être, pour les hommes, un devoir de déférer à des ordres qui attentent à leurs droits naturels, de quelque prétexte qu'on les colore, et peut-être ne serait-il pas difficile de prouver que c'en est un trèssacré de s'y soustraire.

Je pourrais examiner d'ailleurs quelle est l'utilité dé ces grandes villes si difficiles à policer, foyers de corruption et de servitude, sentines de tous les vices, théâtres de tous les crimes, et vrais tombeaux de l'espèce humaine, où, dégénérant sans cesse, elle va se perdre sans retour. Je trouverais que cès capitales imménses ont été des causes très-actives de destruction pour tous les Etats dans le sein desquels elles se sont formées, et surtout que ces funestes entassemens d'hommes, qui s'infectent réciproquement de leur haleine, sont toujours produits par les manoeuvres folles et perverses du gouvernement qui s'efforce d'attirer tout autour de lui, parce qu'il sait que c'est un moyen sûr de se rendre absolu, et qui finit par se duper lui-même si complètement, qu'il regarde de la meilleure foi du monde ces obstructions du corps politique comme la source principale de sa vie et de sa puissance. Mais laissant toutes ces observations générales, ces raisonnemens compliqués qui, appuyés de leurs preuves, seraient la matière d'un ouvrage particulier, et auxquels on ne manquerait pas de répondre par de belles phrases académiques et de touchantes exclamations, dont j'aurai quelque autre occasion d'analyser la valeur, je crois qu'il est aisé de décider par les faits s'il est nécessaire que la police proprement dite s'affranchisse des formes légales, ou qu'elle y soit toujours subordonnée.

Ici s'ouvre encore une vaste carrière; je pourrais,

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