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Littérature Catholique.

L'ENCYCLOPÉDIE DU XIX' SIÈCLE'.

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Un travail aussi intéressant que curieux serait celui qui offrirait l'histoire littéraire et bibliographique des monumens encyclopédiques et des encyclopédies proprement dites. A la première catégorie appartiendraient les ouvrages de Pline, l'ancien ;-de Martianus Capella; de Vincent de Beauvais;-de Léonard Fioravanti; - de Brunetto Latini; - de Jacques Legrand;-de Raphaël Maffei.-A la seconde, le fameux dictionnaire chinois, publié en 1700, dont le P. Cibot parle longuement et avec éloge ;-ceux de Jean Harris ;de Chambers, qui sans doute en concurent l'idée après avoir lu le Novum organum du chancelier Bacon. Il s'ensuivrait que d'Alembert et Diderot ne firent qu'importer dans notre langue ce qui déjà existait dans d'autres. Quoi qu'il en soit, l'utilité de ces sortes de recueils, en tant que répertoires des connaissances humaines, acquises à l'époque où ils sont composés, ne saurait être contestée, lorsqu'ils réalisent leur titre d'une manière satisfaisante et complète.

Or, il s'en faut que les encyclopédies, qui de nos jours ont paru sous ce titre, aient réuni cette double et indispensable condition. On en compte six, dont trois reflètent, sous des formules plus ou moins déguisées et adoucies, les doctrines hétérodoxes de leurs devancières du dernier siècle. Elles ont en outre le défaut capital d'être resserrées dans des limites trop étroites pour pouvoir exposer convenablement les branches multiples du grand arbre de la science

! Pour le nombre des volumes et les conditions de la souscription, voir le n° 51, ci-dessus, p. 243. - Le bureau, rue Jacob, 25.

Mém, sur les chin., t. 11, p. 470.

universelle. Par là elles ont virtuellement abdiqué leur véritable caractère encyclopédique.

La quatrième, sous le nom d'Encyclopédie nouvelle, semble avoir pris à tâche de battre en brèche le christianisme; car le christianisme, suivant elle, est désormais une forme passée de l'humanité et ne peut plus étre la forme de l'humanité vivante, attendu que tout catholique doit croire, et croit implicitement, s'il est vraiment catholique, que la religion se perfectionne de siècle en siècle, d'année en année, de jour en jour! En sorte que toutes les questions philosophiques ou religieuses qu'elle discute, convergent vers cette thèse étrange, pour ne pas la qualifier autrement, dont la conclusion, digne de l'exorde, consiste à déclarer que le catholicisme, à son origine, n'ayant été qu'un progrès sur ce qui existait avant lui, doit en subir la loi à son tour, en revêtant une forme en harmonie avec la société vivante, telle que la conçoit ou la rêve M. Pierre Leroux, directeur de l'Encyclopedie nouvelle.

Reste la sixième à examiner, c'est l'Encyclopédie du XIXe siècle. Celle-ci s'est-elle mise dans des conditions meilleures que les précédentes? Nous allons en juger.

La pensée qui présida à la fondation de l'Encyclopédie du XIX siècle fut révélée au public par son introduction, la Théorie catholique des sciences, à laquelle nous avons consacré un article à part. Débuter par des prolégomènes de cette portée, c'était inaugurer l'œuvre sous les plus heureux auspices; mais c'était aussi prendre l'engagement tacite d'y faire correspondre les développemens ultérieurs. Il y avait donc tout à la fois avantage et péril à se placer de prime-abord dans une semblable position: avantage, en ce que le directeur de l'œuvre témoignait ainsi qu'il comprenait parfaitement sa mission en s'entourant d'écrivains dont le talent et les principes fussent connus; et péril, en ce qu'il n'est pas toujours facile, même avec de grands sacrifices, d'en obtenir une active et constante collaboration. Il faut le reconnaître, cette grande difficulté a été très heureusement vaincue, et dans les dix-huit volumes publiés, tous les principaux articles sont effectivement signés par des noms d'élite, appartenant à des hommes distingués par leur savoir ou honorés de la confiance de tous les amis des saines doctrines. Voilà des garan

ties que jusqu'ici nulle entreprise du même genre n'avait pu encore réaliser.

Dès lors on devait s'attendre à une mise en œuvre de l'Encyclopédie du XIX® siècle, qui la distinguerait par un caractère consciencieux des autres Encyclopédies. En effet, les questions, soit isolées, soit connexes, sont traitées avec la juste étendue que comporte leur importance relative, rien de moins, rien de trop; on a généralement observé la règle du ne quid nimis des anciens. D'où il résulte que malgré les rapports de filiation ou d'analogie qui existent souvent entre les sujets lexicographiquement classés, les redites ont pu être évitées. Les explications de détail qu'exige parfois la terminologie scabreuse de certaines sciences, sont remarquables par la délicatesse pudique de l'expression, sans rien perdre de la clarté nécessaire à leur parfaite intelligence.

Les questions de philosophie, considérées au point de vue catholique, nous ont paru discutées avec un soin tout spécial, en ce sens que les théories sophistiques du matérialisme et du panthéisme y sont réfutées avec une grande puissance d'argumentation et avec cette dignité calme qui sied si bien, quand on a pour soi le bon sens, la logique et la vérité. Il est facile de s'apercevoir, surtout, que les matières qui intéressent directement ou indirectement le dogme, ont été l'objet d'une scrupuleuse attention. On n'attendait pas moins du savant ecclésiastique chargé du contrôle de ces importantes matières. Ainsi, la religion, la morale et la véritable philosophie, ces trois grands pivots de toute science réelle, l'Encyclopédie du XIX siècle les représente dans toute la sincérité de leurs principes, dans toute la pureté de leurs enseignemens. Appuyons-nous de quelques exemples pris au hasard dans les volumes publiés.

De l'abstinence.-M. Récamier, célèbre et pieux médecin, reconnaît trois ordres d'abstinence, savoir:

1o Par nécessité ou par défaut absolu des choses nécessaires à l'exercice de chaque fonction physique, physiologique, et spirituelle.— 2° Par convenance pour ces mêmes fonctions, laquelle interdit l'usage des choses propres à troubler ces fonctions, ou susceptibles de les empêcher de rentrer dans leurs voies normales lorsqu'elles ont éprouvé des perturbations. -3° Par devoir ou par obéissance à

un commandement qui défend l'usage de quelques-unes de ces choses. Il discute ensuite les conditions organiques qui peuvent supporter l'abstinence ou en modifier les effets. Arrivant à la troisième division qu'il appelle l'abstinence par devoir, le célèbre praticien expose les considérations suivantes :

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» Tous les hommes sont obligés de s'abstenir des actions défendues par les lois de leur pays, sous peine de se mettre en guerre avec la magistrature chargée de les faire exécuter et d'en faire l'application d'une manière souveraine et absolue, jusqu'à priver de la vie celui qui les enfreint en des cas déterminés. L'homme est donc condamné à des privations par les lois civiles et criminelles de son pays, sous peines plus ou moins graves. Or, le plus ancien de nos livres historiques, la Bible, nous montre le genre humain privé de l'usage des viandes et du sang des animaux avant le déluge, par un commandement souverain, puisque la permission de manger des viandes ne fut donnée qu'à Noé et à ses enfans après le grand cataclysme. Le même livre nous apprend la promulgation du Décalogue sur le mont Sinaï, au milieu des éclairs et des tonnerres, en présence de tout un peuple qui se survit à lui-même, quoique dispersé parmi toutes les nations, comme une poudre qui reste encore de nos jours un monument catholique indestructible des révélations patriarchales. L'établissement merveilleux de la religion catholique, après la résurrection du Sauveur, démontre l'origine toute divine des révélations de l'évangile et de l'autorité de l'église. Donc, si le Décalogue est une révélation du Très-Haut au genre humain qui attendait le Messie; si l'évangile est une révélation de Dieu adressée aux hommes qui ont reconnu le Messie venu; si l'autorité de l'église catholique est d'origine divine, les privations ou les abstinences qu'ils imposent sont obligatoires pour tous les hommes, qui doivent l'hommage de leur obéissance au commandement de leur Père commun.

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Quelles sont donc les défenses fondamentales que la tradition et l'autorité de l'Eglise catholique nous présentent comme émanant de Dieu même, dans le décalogue? On doit s'abstenir de travail les jours du Seigneur; -on doit s'abstenir de jurer en vain par le nom du Dieu de la vérité; - on doit s'abstenir d'attenter à la vie de son semblable, etc.;-on doit s'abtenir de viande ou d'une portion de

ses alimens à de certains jours, pour donner une marque de sa dépendance à l'autorité établie par Dieu même. Qu'y a-t-il de si intolérable dans tous ces préceptes pour en avoir fait le sujet de sarcasmes et de railleries? quelle est donc cette prétendue philosophie qui intime ses ordres au nom des passions ignobles qu'elle appelle raison? Eh, quoi, sans mission vous voulez donner des ordres à vos semblables ! et vous ne voulez pas que Dieu ait le droit de faire des commandemens pour éprouver l'homme! or, cette épreuve, c'est la vie, avec les appétits des sens et les passions qu'elle suppose. Il a donc fallu des commandemens qu'il fut libre d'enfreindre ou de suivre ; à cet effet, il a fallu que la vie ne fût pas improvisée, mais successive, afin que l'humanité pût associer à l'autorité de la révélation celle de l'expérience, pour mériter dans sa soumission envers l'auteur de son existence. »>

Un autre médecin, M. le docteur Teste, secrétaire général de l'Encyclopédie, a traité le mot Besoins, dans le même esprit que le précédent, et ce n'est pas un des moins remarquables articles de l'ouvrage entre tant d'autres si remarquables. Nous allons en donner une idée.

« Le lien primitif et indossoluble de toute société humaine, consiste indubitablement dans la dépendance réciproque où la sagesse infinie du Créateur a placé tous les hommes. Cette dépendance qui nous impose envers Dieu et nos semblables, dont nous invoquons l'appui, des devoirs sacrés à remplir, et sert de base au Code de l'humanité tout entière, cette dépendance émane à la fois et de la débilité de notre organisation physique et de certaines propensions morales dont la Providence a déposé le germe dans nos ames: élémens complexes dont la combinaison produit l'ensemble des phénomènes de la vie intellectuelle comme de la vie animale, et qui nous laissent, pour dernière analyse l'histoire et la définition de nos besoins. »

M. Teste examine d'abord la raison et la nature des besoins physiques, tels que la faim, la soif, le sommeil, etc., puis il arrive aux besoins moraux qu'il apprécie avec une merveilleuse sagacité :

« Le besoin d'aimer, chez l'homme chrétien, loin d'évoquer de coupables mystères, résume avec la vertu tous les élémens de bonheur; et, s'il ne nous est pas permis d'en suivre ici les effets et les transformations, disons du moins que dans cette belle prérogative de l'humanité réside le véritable contre-poids de l'égoïsme et même de la sen

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