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» firmer positivement (et il fait tous ses efforts pour le prouver), je » crois que les objets sculptés font allusion à la vie matérielle, plu>> tôt qu'aux sentimens religieux (p. 340). »

Puis pour corroborer tout ce qu'il vient de dire, il donne cette belle théorie sur la sculpture chrétienne; que tous les antiquaires et que tous les chrétiens la lisent :

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<«< Anciennement, quand un individu mourait, on enterrait avec >> lui les objets qu'il avait aimés pendant sa vie, son cheval, ses habits, >> ses objets précieux, sa femme même, comme encore aujourd'hui » dans l'Inde. En même tems on figurait ces objets sur sa tombe; » plus tard, même lorsque l'usage d'enfouir ces objets avec le mort » fut tombé en désuétude, on les représenta sur le tombeau. C'est » dans ce fait, selon nous, qu'il faut chercher l'explication de » la plupart de ces objets figurés sur les sarcophages ou les fres» ques des Catacombes. Alors nous ne dirons pas comme les antiquaires italiens: la barque voguant vers le port à la lueur d'un phare, c'est l'âme qui en finit avec les orages de la vie, et rentre à pleines voiles dans le ciel, à la lumière de la foi, à la chaleur de » la charité; le dauphin dans les eaux, c'est le Sauveur, ami de l'homme, qu'il est venu sauver et retirer de l'abîme; la colombe qui tient au bec un rameau ou une couronne, c'est le Christ qui >> vient annoncer à l'humanité que Dieu a tari le déluge et qu'il est » prêt à les recevoir dans les jardins verdoyans du Paradis. Devant la représentation d'un raisin, d'un pain, d'une amphore, d'un fléau, d'une balance, d'une lampe, d'une semelle de soulier, » d'un cheval, d'un bélier, d'un paon, d'une fleur, d'une feuille en «< cœur, d'une règle, d'un niveau et de tous les autres attributs in> nombrables que présentent les sarcophages, nous ne dirons pas : » c'est le Christ qui a donné son sang et son corps; c'est Dieu qui >> bat les âmes vertueuses dans sa grange divine, qui les pèse et qui » les éclaire; c'est l'âme qui quitte la terre en laissant seulement l'empreinte de ses pas, et qui court vers le ciel sans s'arrêter; >> c'est l'âme puissante comme le bélier, toujours éveillée comme la » queue ocellée du paon, l'âme parfumée de charité, qui a réglé sa >> vie et mis tous ses sentimens au niveau de la justice. Au lieu de

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ces interprétations, qui ne semblent pas justifiées, nous disons

» plutét, à la vue de toutes ces formes ici repose un batelier, là

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un pêcheur, ailleurs un fermier; plus loin dorment un vigneron un boulanger, un cabaretier, un batteur en grange, un marchand >> au poids, un épicier, un cordonnier, un cavalier, un berger, un gardien de basse-cour, un jardinier, un maçon, et ainsi de pres» que tous. Nous savons, en effet, que les inscriptions funéraires » fourmillent de fautes d'orthographe et de grammaire, que la plu» part de ces tombeaux étaient élevés par les classes inférieures de » la société et pour elles (p. 341).

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Après cette incroyable théorie, qui surpasse en ignorance, et nous pouvons ajouter en danger tout ce qui a été écrit contre les antiquités chrétiennes, M. Didron donne une planche qu'il intitule Divers attributs figures sur les tombeaux primitifs du christianisme; sculp tures et peintures des catacombes, et il les accompagne de l'explication suivante :

« Le gros poisson désigne le pêcheur qui le prend, ou l'homme » d'industrie qui en extrait de l'huile '; le trident annonce encore le » marin, comme la pioche le fossoyeur.... La hache doit indiquer un >> charpentier, et le chapiteau un sculpteur ou un architecte. Quant à » la colombe, elle désigne probablement les fonctions de la mère de >> famille qui nourrit des oiseaux domestiques, ainsi que paraîtrait » l'indiquer une sculpture funéraire dessinée dans Bosio. Il est possi» ble encore qu'elle naisse d'une idée symbolique; mais cette idée » serait empruntée aux sentimens plutôt profanes que religieux, et » j'y verrais assez volontiers la douceur du mort ou de la morte, la » fidélité de l'épouse ou de l'époux. Dans tous les cas, indiquât-elle » la résurrection, comme la colombe qui, revenant dans l'arche après » le déluge, annonça que les eaux s'étaient retirées, et que la terre » revivait, on ne pourrait en conclure que le poisson remplissait un » rôle analogue, ni surtout qu'il est le symbole de Jésus-Christ; la

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'M. Didron croit sans doute qu'à cette époque la pêche de la baleine était organisée comme à présent, et que l'huile de poisson se vendait chez tous les épiciers. Pline nous a appris que les Romains avaient entendu dire seulement que les Ichthyophages tiraient de l'huile du poisson.

>> colombe est dans l'ancien testament, le poisson n'est ni dans l'an» cien ni dans le nouveau (p. 343) '.

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Que pensez-vous, M. le directeur, de cette explication? et croyezvous que M. l'abbé Gaume, qu'un prêtre, qu'un homme quelconque tant soit peu au fait des antiquités chrétiennes, aient pu approuver une telle interprétation? A Rome, elle a soulevé un de ces rires italiens qui renferment tant de moquerie contre notre science française.

Je ne veux point ici faire une dissertation sur l'antiquité du symbole du poisson; les textes, les monumens, les inscriptions sont trop nombreuses; d'ailleurs M. Didron les connaît, mais ne les comprend pas, ou ne veut pas les comprendre; car que dire à un homme qui cite ces paroles de Tertullien: « Nous petits poissons, selon notre >> poisson Jésus-Christ, nous naissons dans l'eau, et nous ne pouvons » être sauvés qu'en y restant 2; » et qui dit quatre lignes après qu'il n'y a là nul mystère, que c'est une comparaison purement littéraire, une métaphore? on ne peut que déplorer une semblable aberration.

Je termine ici cette lettre déjà beaucoup trop longue. Excusez le désordre qui y règne, elle est écrite à la hâte; mais ceux qui auront bien voulu la lire jugeront comme moi, qu'il était utile de signaler ces erreurs données pour règle et pour modèle aux archéologues de notre

'Dans cette énumération, où il annule tous les symboles des premiers chrétiens, M. Didron a oublié le triangle; mais il s'en souvient ailleurs (p. 36), pour nous prévenir que d'abord on ne l'a figuré que par hasard, tout au plus involontairement et par nécessité. Selon lui, de tout tems, le triangle a été la formule géométrique de la divinité, de la trinité. Mais ce n'est qu'au 13° siècle qu'on a emprunté le triangle à la géométrie pour lui faire figurer la trinité chrétienne (p. 541). Nous lui recommandons une inscription tumulaire des premiers siècles, où se trouve le triangle, au milieu duquel est le monogramme du Christ avec les lettres et . (Dans Aringhi, Roma sub., t. 1, p. 605). — A propos de la Trinité nous voudrions bien connaltre le passage du Timée où il est dit : l'unité est divisée en trois et la trinité est réunie en un. C'est sans doute dans Pierre Leroux que M. Didron a pris cette citation tout à fait fausse.

2 Nos pisciculi, secundum IXOYN nostrum Jesum-Christum, in aquâ nascimur, nec aliter quam in aquâ permanendo, salvi sumus. De Baptismo, c. 1, t. 1, Col. 1198. ed. de Migne.

France, et de protester contre les tendances d'un symbolisme qui veut faire un amalgame monstrueux des religions orientales et de la religion chrétienne', comme si les pauvres ouvriers chrétiens qui décoraient les catacombes, les bons moines qui imageaient nos livres d'Église, connaissaient les arts des Hindous, que les Romains connaissaient à peine, et que le moyen-âge ne connaissait pas du tout.

Je suis, etc.

S. H.

'Cela est d'autant plus urgent que les journaux annoncent en ce moment que M. Didron se propose de publier des Annales archéologiques, destinées sans doute à propager ses idées sur le symbolisme chrétien.

ANNONCE.

Nous profitons de l'espace qui nous reste pour annoncer la mise en vente de l'ouvrage depuis si longtems attendu, et qui a pour titre : Esquisse de Rome chrétienne, par M. l'abbe Gerbet. Le fragment que nous en avons donné dans notre cahier de février a du faire comprendre à nos lecteurs la haute portée de cet ouvrage. Dans aucun autre M. l'abbé Gerbet n'avait mis plus de science et de poésie. Toute la pensée du livre est dans l'épigraphe qui se compose de ces paroles de saint Paul: Les choses visibles de Dieu.. sont apperçues par l'intelligence à travers les auvres visibles.

2 Au bureau des Annales de philosophie, rue St-Guillaume n. 24, prix : 7 fr. 50 et 9 fr. par la poste.

Histoire.

HISTOIRE DU PAPE SAINT PIE V,

de l'ordre dÉS FRÈRES PRÊcheurs.

PAR M. LE VICOMTE DE FALLOUX'.

C'est un grand nom et une grande époque que le nom et l'époque de saint Pie V. Ce simple religieux, élevé au trône pontifical après les Médicis et les Borgia, commence cette seconde phase du 16° siècle pendant laquelle l'Eglise se relève des cruels revers qu'elle a éprouvés pendant la première. Après les désordres du grand schisme et les innovations païennes de la renaissance, qui avaient ouvert la route au protestantisme et facilité ses désastreuses victoires, Pie V entreprend de relever et de réformer l'Église; il la défend au dehors à travers les luttes les plus violentes et les plus diverses, celles qui rappellent à notre souvenir les noms d'Élisabeth, de Marie Stuart, de Maximilien, de Charles IX, de Philippe II, de Sigismond; il la défend en ralliant sans cesse contre les infidèles l'Europe divisée par la politique et par l'hérésie, et en la menant à cet admirable fait d'armes de Lépante, où revécut l'esprit des croisades, et après lequel la décadence du mahométisme a commencé. Il épure l'Eglise et la réforme au dedans, en réalisant tout ce que le concile de Trente avait décrété, en partie d'après ses propres conseils; en ramenant aux traditions antiques la discipline du clergé, la liturgie de l'Eglise, le gouvernement des états pontificaux. Dès avant lui et surtout avec lui, le sentiment chrétien se développe dans la catholicité avec une profondeur et une gravité qui rappellent les plus beaux tems du christianisme. Les héros

2 vol. in-8°, chez M. Debécourt. Prix: 12 fr.

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