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Archéologie chrétienne.

DE QUELQUES ABERRATIONS

DE M. DIDRON

DANS SON HISTOIRE DE DIEU.

A Monsieur Bonnetty, directeur des Annales de philosophie chrétienne, à Paris.

Monsieur,

Rome, avril 1844.

Je prends la liberté de vous signaler un livre que vous avez laisssé passer, et dont le titre, au moins singulier, semblait pourtant devoir fixer tout d'abord l'attention de votre critique. Ce livre, gros in-4o, publié sous les auspices de M. Villemain, et sorti l'an dernier des presses de notre imprimerie royale, est intitulé: Histoire de Dieu, var M. Didron, de la Bibliothèque-Royale, secrétaire du Comité historique des Arts et Monuments. Il ouvre la série des instructions de ce comité.

Ce livre donc, comme devant servir de modèle et de guide aux travaux que la nouvelle école archéologique exécute en France, exige un examen sérieux et impartial. Il le mérite d'autant plus que M. Didron, non seulement le présente comme le livre officiel du gouvernement, mais encore comme le livre canonique du clergé. « Les épreuves, dit-il, en effet, ont été lues avec le plus grand » soin par M. l'abbé Gaume. Plusieurs questions indécises ont été » débattues et approfondies; mais toujours je me suis retiré devant

'Préface, p. XXI.

* Voir ci-après, p. 386, un point essentiel, presque dogmatique, où M. Didron déclare ne s'être pas retiré devant l'avis de M. l'abbé Gaume.

» l'autorité et la ferme raison du savant théologien. Je devais à mes » lecteurs, et pour les rassurer, toutes ces explications.

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Telles sont les promesses de M. Didron. Quel n'a donc pas dû être mon étonnement quand j'ai trouvé dans son livre, je ne sais quel mélange de symbolisme bouddique et payen, je ne sais quelle synthèse philosophique ayant pour résultat, si ce n'est pour but, de deshériter l'Église des plus beaux monumens des premiers siècles, ceux des catacombes, et de paganiser, ou avilir, les plus beaux symboles des premiers chrétiens. Lisez seulement et dites-moi si un archéologue instruit, si un théologien éclairé ont pu approuver les incroyables assertions que je vais vous signaler.

Le symbolisme artistique chrétien est appuyé essentiellement sur le dogme, sur les traditions, sur certaines pratiques et certains usages, dont quelques-uns empruntés aux âges payens ont été adoptés et purifiés par le Christianisme. Les artistes chrétiens se sont astreints en général à ces lois; mais quelques-uns aussi, ignorants, isolés, les ont négligées ou y ont contrevenu. Recueillir tous ces documens était une œuvre utile; mais M. Didron a fait autre chose; il a voulu créer une théologie artistique, et pour cette théologie il a pris pour guide tous les vieux sculpteurs, maçons, architectes, peintres, miniaturistes, enlumineurs, catholiques, hérétiques, schismatiques, païens, bouddistes, Latins, Grecs, Indiens, Égyptiens, etc.; puis il a prétendu ériger cette théologie à peu près l'égale de la théologie dogmatique. Cela est incroyable, mais écoutez :

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«La théologie n'est pas toujours adéquate à l'histoire (p. 504). L'archéologie chrétienne est appelée peut-être à rendre de grands » services à la théologie et à la philosophie. L'archéologie n'est pas >> une simple science de nomenclature ni une science purement des>>criptive; c'est de l'histoire surtout, et de l'histoire qui doit donner » l'interprétation des faits (p. 511). » Un exemple est donné par M. Didron à l'appui de cette théorie, et avec cet exemple il réfute une théologie enseignée dans les séminaires et un dogme à peu près reçu par tous les théologiens. Écoutons : « Une théologie qu'on enseigne » dans les séminaires de France prétend que Dieu ne pouvait pas » s'adresser aux anges lorsqu'il disait faisons l'homme à notre

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image; mais le 13° siècle avait répondu d'avance à la théologie >> moderne, car il représenta un ange aidant le créateur à pétrir

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l'argile dont le premier homme fut fait (p. 513). » Et en effet il donne une figure où l'on voit le Créateur accompagné d'un Ange et formant l'homme. Ainsi c'est un ouvrier miniaturiste, un peintre qui est offert comme égal en autorité à presque tous les commentateurs. Car M. Didron pose cette conclusion dogmatique : « Ainsi donc le faisons de la Genèse implique la pluralité des êtres qui participent » à la création d'Adam, mais non la pluralité et encore moins la triplicité des personnes divines. » Je voudrais bien savoir si M. l'abbé Gaume a approuvé cette décision, et cette participation du pouvoir créateur, étendu à une simple créature, à un ange 1?

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Ce n'est pas tout, M. Didron vous dira encore que « la gloire » éternelle du 13° siècle, c'est non seulement d'avoir trouvé, inventé >> des élémens nouveaux qu'il a jetés dans le creuset où la civilisa» tion chrétienne et catholique se cristallisait en quelque sorte, » après s'être élaborée dans les siècles antérieurs; mais c'est encore » et surtout d'avoir développé ce qui n'était qu'en germe aux époques » précédentes (p. 541).

Voulez-vous encore d'autres excentricités? M. Didron vous dira » que « l'âme de l'homme participe du feu et de la flamme (p. 122) » et que quand le Christ a dit : je suis la lumière du monde, cela >> peut s'entendre au réel comme au figuré (p. 22). » Voilà quelques-unes de ses assertions théologiques. Que les savans en jugent.

Le livre de M. Didron est divisé en 4 parties, qui comprennent ce qu'il appelle l'histoire de Dieu le Père, de Dieu le Fils, de Dieu le Saint-Esprit et de la Trinité. Je laisse aux théologiens de décider si l'orthodoxie y est toujours pure et exacte, s'il est permis de dire que l'amour doit être attribué au Fils et l'intelligence au Saint-Esprit (p. 148), s'il est permis de blâmer ceux qui appellent le Fils la sagesse du Père (p. 160); si une théorie qui veut établir que dans l'Église et dans la suite des âges chrétiens, on a rendu des honneurs très inégaux au Père, au Fils, au Saint-Esprit, est orthodoxe ; je me

Notez encore que M. Didron se permet de décider que cet ange n'est pas le Fils de Dieu, appelé souvent l'ange de la bonne volonté.

bornerai à faire remarquer seulement que M. l'abbé Gaume paraît avoir fortement blâmé toute cette partie du livre de M. Didron, et que celui-ci, contre l'assertion qu'il a émise dans son introduction, n'a pas voulu déférer à ses conseils, et s'est borné à cette déclaration : « Je défère respectueusement à cet avis et j'aurais corrigé sans peine » sur le manuscrit ce que j'ai dit et ce que je vais dire d'opposé à >> cette conviction; mais il faudrait remanier entièrement plusieurs >> feuilles d'impression. Ce n'est pas une ou plusieurs phrases que je >> devrais modifier, mais l'esprit de tout ce chapitre (il aurait pu dire » de tous les chapitres) que j'aurais à faire disparaître ; je conserve » donc ce qui est imprimé, après les explications que je donne et les » réserves que je viens de faire (p. 218). » Quoi il s'agit du dogme, d'une accusation 'portée contre l'Église! vous avouez que c'est l'esprit de votre livre, et vous croyez satisfaire à votre devoir en avertissant dans une note que M. l'abbé Gaume le blâme? Est-ce là le respect que comme chrétien vous devez à l'Église ? au moins n'auriez-vous pas dû dire dans votre introduction (p, xx1) que toujours vous vous étiez retiré devant la science du théologien ?

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Je le répète, je laisse la question d'orthodoxie aux théologiens; mais il m'est permis sans doute de m'élever contre je ne sais quelle tendance de confondre sous le couvert de l'art, le Christianisme et les autres religions dans un monstrueux syncrétisme. C'est (p. 8) la figure de saint Jean évangéliste, dont le nimbe surmonté de deux tiges d'héliotrope, fournit à l'auteur l'occasion de la rapprocher « de ces figures égyptiennes de la téte desquelles partent ainsi deux tiges » qui se dressent et qui se terminent par une fleur de lotus. » C'est une fresque du 11° siècle (voyez-en le dessin p. 23) « qui ra» mène directement à l'iconographie égyptienne. » Ailleurs (p. 21), le Férouer des Perses, qui sûrement n'a jamais eu rien de symbolique, est présenté analogue de tout point à l'agneau accompagnant JésusChrist; sur un antique sarcophage (p. 16) la langue de feu qui se posa sur la tête des apôtres, « et qu'à la translation des restes de Napoléon, le 15 décembre 1840, nous avons vu éclairer le front des » Génies placés sur le pont du Carrousel et sur l'esplanade des In» valides......, cette langue lumineuse, c'est l'étoile luisant au » front de la statue de Jules César !!! »

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Et l'auteur ne perd pas un instant son but de vue: s'il écrit l'histoire du Nimbe, il ne s'arrêtera point à discuter l'opinion de ceux qui en font remonter l'origine jusqu'à un usage mentionné par Aristophane (Les Oiseaux, 114-17), ni à rechercher quand et comment ce devint un attribut caractéristique de quelques divinités, de quelques personnages fabuleux, et enfin de la puissance impériale; - ces points d'archéologie valaient cependant bien la peine d'être en ce lieu approfondis ; il ne songera même pas à se demander à quelle époque et par quelles nécessités matérielles, le nimbe, d'horizontal qu'il était primitivement, fut placé perpendiculairement; à quel moment l'on commença de détourner l'acception généralement reçue du mot nimbus, pour l'amener à désigner un cercle qui environnait le front; tout cela que lui importe? M. Didron préfère s'évertuer à démontrer, parce que c'est plus à sa portée et sert mieux ses intentions, « que le nimbe n'est autre chose que la représentation du » rayonnement de la Tête, » et que « la nature essentiellement lu» mineuse du sol de l'Orient explique pourquoi le nimbe, fluide » lumineux, est apparu d'abord en ce pays (p. 132-33). » Les cornes éblouissantes de Moïse descendant du Sinaï, les aigrettes de feu de la Maya indienne, la flamme qui fut aperçue se jouant autour du jeune Jule, voilà qui se prête à merveille à de perfides rapprochemens, et lui viendra tout de suite en mémoire.

Maintenant pourquoi cette prééminence, cette préférence accordée à la tête sur les autres parties du corps? à cette question qu'il se pose, l'auteur répond par de transcendantes raisons de physiologie, dans une divagation prolixe qu'il termine par cette réflexion que je vous abandonne : « Il faut dire que chez nous l'honneur est descendu de » la tête aux épaules avec les épaulettes, et des épaules à la poi»trine avec une croix. »

Que si vous alliez objecter à ce système tout physiologique, que les artistes du moyen age n'ont pas laissé de décorer du cercle glorieux des cervelles évidemment dérangées, écoutez (p. 136): il s'agit des vierges folles représentées sur la cathédrale de Reims : « Ce » n'est pas la folie assurément qui est nimbée, canonisée; car ces > malheureuses femmes, quelque folles qu'elles soient, n'en sont pas > moins vierges, et la virginité, pour l'Orient où tout bouillonne, est

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