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Enseignement Catholique.

CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME DE PARIS,

PAR LE R. P. DE RAVIGNAN.

SUITE ET FIN '.

La 5° conférence a été consacrée à exposer ce que c'est que le catholique soumis à l'Église, et à prouver qu'on ne peut pas lui reprocher de faire descendre son intelligence et sa volonté du degré d'élévation qui leur appartient et de renoncer, sous cette autorité et sous ce gouvernement, aux élémens convenables de perfectionnement et de progrès publics. L'orateur se propose de combattre ces préjugés qui existent encore dans bien des esprits en établissant trois propositions :

1re proposition. Le catholique est celui qui connaît et possède le mieux les conditions de la vraie liberté. Après avoir prouvé que l'âme humaine est une intelligence et une volonté libre; que par son origine elle est égale aux autres âmes, et créée comme elles à l'image de Dieu; que nul homme ne saurait avoir par lui-même le droit d'imposer des devoirs à un autre homme ; que le maître commun peut seul le faire; qu'enfin l'homme est libre dans le droit et le pouvoir d'obéir à Dieu seul, ce qui revient à dire que le plus haut degré d'indépendance est de dépendre de la loi et de la parole divine, le R. P. de Ravignan poursuit en ces termes :

le mot est dur;

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» La raison, dit-on, est le Dieu fait homme, ou bien la raison est l'être absolu qui s'apparaît à lui-même dans la conscience humaine. A quel autre Dieu voulez-vous alors qu'on aille offrir sa dépendance et ses hommages?

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Ici, Messieurs, je vous en conjure, élevons nos pensécs à la hauteur de ces voûtes sacrées, et sortons des limites étroites de la politique humaine et des intérêts du jour. Le catholique sait trouver dans sa conscience el sa raison

Voir le dernier article au no précédent ci-dessus, p. 297.
III SÉRIE. TOME IX. - N° 53. 1844.

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même la loi première et constitutive de toute existence créée, dépendre de Dieu. Il embrasse avec ardeur ce devoir, ou plutôt ce droit, source unique de tous les devoirs et de tous les droits. La foi, l'autorité de l'Église ne sont à ses yeux que l'expression manifeste et certaine du pouvoir divin. Le catholique est soumis mais il monte par là même au degré le plus élevé de la liberté humaine, comprenez-le donc, car il n'obéit en tout qu'à Dieu seul. Là où Dieu n'est pas, où Dieu ne parle pas, l'enfant de l'Église n'a point de maître; et les lois, les puissances établies sur la terre n'ont droit à l'obéissance du catholique que parce que Dieu leur délègue son autorité. Le catholique imite ainsi la liberté divine dont la dignité consiste à ne dépendre que de la raison infinie. Le chrétien fidèle commence ici-bas la vie des cieux, en s'unissant par une entière dépendance à la perfection, à la bonté, à la vérité même divine. Cette obéissance n'est donc, à proprement parler, que la liberté rendue à toute sa plus haute puissance.

L'Église règle la pensée, définit le dogme, établit les préceptes de la morale sur la vérité révélée, protège les peuples par sa suprématie spirituelle, défend hautement la liberté de conscience contre l'oppression trop fréquente des puissances humaines. Par ses lois, par ses rites, par ses dogmes qui sont autant de ressorts doux et puissans, elle nous fait entrer dans la vraie liberté des enfans de Dieu; elle va plus loin; elle nous protège contre nous-même, tyran mille fois plus à craindre que tous les autres, puisqu'elle nous fournit une autorité meilleure que la nôtre; car enfin la question se réduit à ces deux termes: lequel vaut le mieux, d'obéir à l'Église, à Dieu, ou de s'obéir à soi-même ? Avec l'autorité catholique et divine, le pouvoir régulateur des esprits et des consciences n'est que le rétablissement de l'ordre et des voies véritables où doit marcher l'humanité pour être libre. Sans l'autorité catholique, plus d'autre logique, plus d'autre histoire que l'histoire et la logique des variations, des fluctuations et des folles erreurs de la mobilité humaine. Rien de plus triste, après tout, que l'autorité du moi. Dès que le principe sauveur de la dépendance religieuse est retranché d'un cœur, les influences les plus désastreuses s'en emparent; on croit se gouverner soi-même, on obéit à mille despotes impérieux. Après les penchans et les passions, c'est l'opinion qui tyrannise. On suit en aveugle l'impulsion donnée, à la manière de ces troupeaux que guide la main du pâtre. Pour combien d'hommes, cet adage: Le maître l'a dit, n'est il pas un principe souverain et régulateur?

Le philosophe chrétien aborde ensuite de front la grande objection, que font à l'Église toutes les sectes séparées, tous les ennemis déclarés ou cachés qui s'élèvent contre elle : la liberté de conscience, la liberté de la pensée. Voici les explications claires et nettes par lesquelles il y répond :

Mais j'entends retentir à mes oreilles les grands principes de liberté de conscience, de liberté de la pensée. Certes, Messieurs, je les adopte, et j'en ai peut-être ici besoin plus qu'aucun autre. Oui, elle est belle et noble cette doctrine de la liberté de la conscience et de la pensée; mais je comprends invinciblement aussi que, pour être d'autant plus libre, l'homme doit porter en soi, doit trouver près de soi la plus grande force possible de vérité, d'obligation et de devoir, afin de s'attacher librement et par choix à Dieu, au vrai, à la vertu, au bien.

Messieurs, je dis obligation et devoir, nullement coaction et violence, à Dieu ne plaise! Et qu'est-ce donc qu'une autorité spirituelle, infaillible dans la foi? La plus grande obligation possible, le plus puissant secours pour connaître et garder la vérité, la vertu. C'est même le moyen unique de sauver parmi les hommes la vérité; elle est détruite, s'il n'y a pas de bases infinies, si la foi n'est pas fixée; c'est l'eau du torrent qui déborde, et qui s'égare. Sachons donc, Messieurs, je vous en conjure, parler un mâle et franc lan gage, et laissons là les paroles mensongères des races dégénérées. L'autorité infaillible de l'Eglise est la garantie propre de la liberté. Pourquoi? Précisément parce qu'elle oblige au vrai, et qu'elle le définit souverainement; parce qu'elle est l'autorité.

Des idées mesquines et étroites, la mollesse profonde d'intelligences déchues se dissimulent et se cachent sous le beau nom de liberté. Elles en abusent. Ne confondez jamais deux choses parfaitement distinctes: la liberté de l'homme extérieur et la liberté de l'homme intérieur. Extérieurement, il ne faut encore une fois ni coaction ni violence jamais; l'Eglise n'en veut pas non plus contre elle. Intérieurement et comme obligation de conscience, plus il y a d'autorité et de force pour écarter l'erreur, le mal, plus l'homme est libre. Sans contredit, telle est l'autorité de l'Eglise......

2e proposition. La vie du catholique est éminemment la plus digne d'une raison saine et élevée. C'est ce que l'orateur prouve par les considérations suivantes.

Il faut plaindre ceux qui, se laissant tromper par des propensions ardentes et des tendances faussement généreuses, espèrent et proclament un progrès au-delà des vérités et des vertus catholiques. Quant on y réfléchit mûrement, on a peine à concevoir comment une semblable erreur peut être sérieusement adoptée et soutenue; la chose cependant n'est que trop réelle de la part d'esprits d'ailleurs très distingués. L'humanité a donc aujourd'hui besoin pour son bonheur et pour sa gloire, d'une institution religieuse meilleure que le Christianisme. Eh bien, soit. Mais sur quoi se fonde-t-on pour réclamer, pour espérer un ciel nouveau et une terre nouvelle avant l'âge éternel? Impossible

d'en donner une raison valable. C'est malheureux! on se balance au milieu de vagues et arbitraires théories, comme parmi d'incertaines et flottantes images; on s'abonne à des suppositions toutes gratuites. Des hommes inquiets, impatients du présent et d'eux-mêmes, s'élancent dans l'avenir; sans autorité, sans mission, ils prophétisent une transformation future. Ce qui est sacré pour eux, c'est ce qu'ils désirent, et ils désirent le changement.

La vie catholique ne fait pas de si magnifiques promesses, mais elle les tient mieux; seule elle est le progrès véritable: 1o parce qu'elle est le perfectionnement entrepris et suivi dans chaque homme; 2o parce que les vertus des chrétiens fidèles sont l'influence la plus réellement utile à la société ; 3° parce que le bien social se compose du bien vrai des individus, ou n'est qu'un mot vide de sens; 4° parce que jamais une réunion d'hommes corrompus ne formera une société vertueuse et pure, pas plus qu'une troupe de lâches ne saurait être une armée de braves, ni une société d'ignorans une académie savante; 5o enfin parce que la vie catholique porte avec elle seule la garantie la plus puissante, le ressort le plus généreux, pour tout ce qui est vrai, grand et bon.

Et alors s'adressant à son immense auditoire attentif, l'orateur lui indique ce que devraient examiner et exécuter les amateurs du progrès avant de demander une autre religion que le Christianisme.

Si avant d'aspirer à une transformation nouvelle, à des progrès nouveaux, on daignait se rendre compte du véritable travail catholique au sein de l'humanité, on y jugerait plus sainement des choses. Mais il faudrait pouvoir aussi se rendre le témoignage qu'on a parcouru, épuisé dans sa vie tous les degrés des vertus chrétiennes. Il faudrait avoir conquis ce détachement sublime qui méprise comme un vil fumier tous les plaisirs, tous les honneurs terrestres ; il faudrait avoir reproduit cette héroïque et douce humilité qui fuit la louange humaine, rapporte tout à Dieu, ne s'irrite d'aucune résistance, ne s'enfle d'aucun succès, mais ne vit, ne respire que pour la gloire divine et le bien des âmes. Il faudrait avoir établi dans son cœur le règne souverain de cette charité qui embrasse tous les hommes dans un égal et fraternel amour, qui chérit les ennemis et pardonne leurs injures, jusqu'à donner tout avec joie, la vie même pour leur bonheur. Il faudrait avoir conquis cette chasteté sans tache qui place dans un corps grossier la vie et la pureté des anges. Il faudrait n'avoir plus rien à étudier, rien à imiter dans les leçons et les exemples du Sauveur, dans le type si évidemment divin de la perfection évangélique. Quoi! réellement cetle perfection ne suffit plus pour vous ! Déjà, dès long-tems, vous l'avez dépassée; vous apportez un nouvel Evangile au monde; l'ancien n'est plus à la hauteur de vos progrès, ô vous promoteurs zélés du perfectionnement et de la grandeur

de l'humanité! Et vous l'avez pensé ! vous l'avez dit sérieusement! Grand Dieu ! je ne crois pas que l'on puisse avancer plus loin, en effet, mais en aveuglement et en illusion. Vous prétendez mieux faire; vous espérez mieux que le christianisme et l'Eglise! Et ne savons-nous pas ce qui est arrivé avec ces rêves d'une religion de l'avenir? Vous prétendez mieux faire, vous espérez mieux que le christianisme et l'Eglise : nous attendrons. Mais en attendant, si vous daigniez au moins nous montrer les vertus chrétiennes réalisées!

L'orateur montre ensuite la pénitence comme la loi fondamentale de la rédemption divine et du véritable perfectionnement de l'individu, et par lui de la société.

3 proposition. C'est dans une existence soumise à l'autorité de l'Église que se trouvent toutes les conditions de perfectionnement et de progrès. L'orateur regrette que le tems l'empêche de donner à cette proposition le développement qui lui serait nécessaire. Mais il en esquisse les principaux traits, tâche facile après ce qui vient d'être dit; puis il termine par les considérations suivantes qui embrassent et résument les trois parties de son discours.

Enveloppé dans ses propres pensées, on s'isole des faits qui ont fondé l'Eglise et qui la conservent à travers les siècles: on méconnait, on dénature l'esprit qui l'anime et la gouverne; on ne veut, néanmoins, ce semble, qu'union, liberté, développement et progrès de l'humanité. Messieurs, je crois à la sincérité de ces intentions dans un grand nombre, parce que je sais que trop sou vent les illusions créent un monde factice au lieu du monde réel pour des intelligences abusées et des cœurs séduits. Mais je leur demanderai si dans leurs vues et leurs désirs ils ont assez tenu compte et assez pris soin des deux plus grands biens de l'âme humaine, la vérité et la vertu ; s'ils n'ont pas oublié la place occupée en nous par les passions, et si contre les influences perturbatrices de celles-ci, ils ont gardé l'appui et les garanties nécessaires. Au fond de la conscience, dans ce recueillement ami des saines pensées et des déterminations généreuses, ne jugeraient-ils pas eux-mêmes que sans une autorité religieuse souveraine, sans croyances définies, sans préceptes fixés, sans autre guide que sa volonté, l'homme est livré comme un jouet à l'empire de l'erreur et du vice? N'est-ce point la leçon de l'expérience, et serait-ce donc là uniquement l'ordre établi par une providence paternelle? Si, au contraire, la sagesse, Ja bonté divine, si l'intérêt sacré de la vertu, des mœurs, de la vérité, de la liberté, de la gloire saine pour l'homme se trouvent en parfaite harmonie avec l'admirable et persévérante économie de la société catholique, pourquoi faire violemment la guerre à l'esprit et au cœur pour les forcer à trouver leur re

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