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cette roue repose sur un tourbillon d'eau dont la dimension est mesurée d'une manière précise par les fables bouddhistes; ce tourbillon d'eau repose sur un tourbillon d'air et de vent de la même épaisseur, et le tourbillon d'air est appuyé sur un tourbillon d'éther qui, bien qu'il ne soit appuyé sur rien, est contenu par l'effet de la conduite des êtres vivans dans le monde. En sorte que l'existence du monde matériel tient à la moralité des actions. Les tourbillons empêchent la matière de se dissoudre et de s'éparpiller; ils la tiennent en repos, marquent ses limites et lui assurent la solidité. Le métal se produit au-dessus de l'eau comme la crème sur du lait bouillant.

Le degré où nous sommes parvenus, et où semble s'être arrêtée l'imagination de plusieurs cosmographes bouddhistes, paraît au contraire avoir été le point de départ pour celle de quelques autres auteurs, toujours préoccupés de l'idée d'un infini matériel, et toujours renouvelant les plus vains efforts pour la saisir. Ceux-ci prennent l'univers tel qu'il vient d'être constitué avec ses trois mondes, et tous ses cieux superposés, pour l'unité dont se compose un nouvel ordre d'univers. Un groupe d'univers qui ne saurait être exprimé que par ces nombres hyperboliques dont j'ai parlé en commençant, forme un étage dans la série des univers superposés. L'univers dont fait partie le monde où nous vivons occupe le treizième étage à partir d'en bas; on en compte sept qui lui sont supérieurs, ce qui fait en tout vingt étages composant ensemble un système d'univers, ou, comme disent les Bouddhistes, une graine de mondes.

Au premier des vingt étages, il n'y a qu'un seul Kshma, ou terre de Bouddha. On désigne ainsi tout l'espace où peut s'étendre l'influence des vertus d'un bouddha, et où a eu lieu son avènement. Le second étage comprend d'eux Kshma; le troisième trois, et ainsi jusqu'au vingtième, qui en contient vingt. Autour de chaque Khsma sont disposés des mondes en nombre égal à celui des atomes dont se compose un Sou-mérou. Chaque étage d'univers a sa forme particulière, ses attributs, son nom; chacun aussi repose sur un appui d'une nature spéciale, par exemple le treizième étage est porté par un enlacement de fleurs de lotus, que soutiennent des tourbillons de vent de toutes les couleurs.

L'étage inférieur, ou le premier des vingt, repose immédiatement

sur la fleur d'un lotus, qu'on nomme fleur des pierres précieuses; et, comme il occupe dans ce lotus la place du pistil, on désigne le système entier des vingt étages d'univers par le nom de graine des mondes. Dans le Bouddhisme le lotus est l'emblême des émanations divines, et de toutes les productions qui du sein de l'être absolu se manifestent sous la forme de l'existence relative et secondaire. C'est ainsi que les représentations des dieux, qui sont regardés comme des effluves sorties immédiatement de la substance divine, sont constamment posées sur des fleurs de lotus. De même ici placer la graine des mondes au sein du lotus, c'est, dans le système panthéistique, qui est la base du Bouddhisme, déclarer son origine. Lors donc que les bouddhistes rendent leurs adorations à la pierre précieuse qui est dans le lotus, ils adorent le monde qui est en Dieu comme le pistil est dans la fleur de lotus. Telle est du moins l'explication la plus probable d'une de leurs formules les plus célèbres, d'après M. Abel Rémusat. Après avoir proposé cette explication, le savant orientaliste déclare qu'il ne prétend pas pour cela en rejeter plusieurs autres qui peuvent trouver leur fondement et leur application dans d'autres doctrines moins relevées, mais non moins authentiques : « Le Bouddhis«< me, dit-il, admet en effet la pluralité des systèmes, et n'est, à vrai dire, qu'un composé de panthéisme, de rationalisme et d'ido>> lâtrie'. >>

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« Le lotus qui porte la graine des mondes sort de l'océan des parfums: » autre manière métaphorique d'exprimer la même idée. L'océan des parfums est lui-même contenu par un nombre de tourbillons de vents égal au nombre d'atomes contenus dans un Sou-mérou, et le nombre des lotus qui sortent de l'océan chargés de systèmes d'univers par myriades de myriades est lui-même tel, que, pour l'exprimer, on accumule les chiffres les plus démesurés, immenses, innombrables, indicibles. Ce dernier ne peut être rendu qu'avec plusieurs millions de zéros. C'est toujours la même manière d'exprimer que d'innombrables mondes jaillissent en tout sens du sein de la substance divine. La mythologie a diversement brodé le fond un peu monotone de ces exagérations numériques.

! Abel Rémusat, ouvrage déjà cité, p. 98-100.

La mer parfumée qui produit les lotus, est elle-même placée au milieu d'un monde immense dont tous les continens sont de diamant. Dans cette terre immense il y a dix fois le nombre indicible de Kshma, et un nombre de mers parfumées égal au nombre des atomes contenus dans un Sou-mérou ; chacune de ces mers contient quatre continens dans lesquels coulent autant de fleuves qu'il y a d'atomes dans un Sou-mérou. Ces mers donnent aussi naissance à une foule d'univers tous échafaudés les uns sur les autres, tous contenant des quantités inexprimables de graines de mondes. Les auteurs des légendes où se lisent ces descriptions semblent ne pouvoir se lasser d'entasser les exagérations les plus folles, en faisant tour à tour reposer les graines de mondes sur une mer parfumée, celle-ci sur une terre qui fait partie d'un plus vaste système de monde, et ainsi de suite 2

2.

I

C'est par cette poésie panthéistique, par ces descriptions enthousiastes de mondes imaginaires, que le Bouddhisme fascine les esprits · rêveurs et contemplatifs de la haute Asie. C'est sous ce voile épais de chimères éblouissantes qu'il dérobe le véritable infini. Par là il trompe les besoins religieux de l'âme, car il fait perdre de vue le principe et la fin de toutes choses, il efface le créateur derrière une création illusoire. C'est en vain que l'homme s'épuise à créer des fantômes de mondes; il aurait beau les entasser éternellement, sa Babel idéale n'atteindrait jamais le ciel inaccessible qu'habite le Tout-puissant; en d'autres termes, l'indéfini ne saurait jamais égaler l'infini. Dans le délire de notre orgueil nous voudrions embrasser l'incommensurable; et, si je l'ose dire, nous étendons follement les deux bras pour le saisir et l'étreindre, mais nous n'embrassons que le vide, et de ces vains efforts, il ne nous reste que le sentiment amer de notre impuissance.

L'abbé H. de VALROGER.

Hoa-yan-king, cité dans le San-tsang-pha-sou, livre XLVI, p. 6. • Abel Rémusat, ouvrage cité pages 100, 101 et 102.

Archéologie Biblique.

MÉMOIRES GÉOGRAPHIQUES

SUR LA BABYLONIE ANCIENNE ET MODERNE.

J'entreprends de donner ici quelques détails nouveaux sur la géographie de la contrée célèbre qui eut jadis Babylone pour capitale. Ce nom retrace à l'esprit des souvenirs à la fois imposans et pénibles. On se représente la puissance des Chaldéens, les règnes glorieux de Sémiramis, de Nabuchodonosor; la fertilité prodigieuse d'un pays arrosé par deux beaux fleuves, le Tigre et l'Euphrate; les richesses que l'agriculture et le commerce apportaient dans cette contrée ; le nombre de villes florissantes qui s'élevaient de toutes parts; la population considérable qu'elle nourrissait: on se rappelle que même dans le moyen-âge, sous la domination des Arabes, la Babylonie renfermait des villes importantes, Koufah, Hirah, Wasit et une foule d'autres; que ces belles plaines étaient couvertes de plantations de tout genre, et habitées par une foule de cultivateurs industrieux et actifs: on se demande avec douleur qu'est devenu un état si prospère ? Comment tant de grandeur et d'opulence ont-elles fait place à la misère et à la désolation?

Ces champs si fertiles sont voués à la stérilité la plus affreuse. Des marais infects, des bruyères épaisses ont succédé à de magnifiques cultures. Tout le pays présente l'image d'un vaste désert, où l'on voit à peine errer quelques tribus arabes, qui dominent sans opposition sur ces tristes solitudes et y exercent en liberté leurs brigandages. Du reste, partout règne le silence de la mort ; et les lions qui peuplent les marécages de cette contrée, et partagent avec les Arabes l'empire de ces plaines, troublent seuls par leurs rugissemens le calme lugubre des nuits, et portent la terreur dans l'âme du voyageur, que fatigue

durant le jour la continuité d'un spectacle aussi affligeant que monotone. Et ici, comme dans une foule de circonstances, l'homme n'a pas même la triste consolation de pouvoir avec la moindre apparence de justice accuser la Providence: elle a tout fait pour lui; lui seul a tout fait pour neutraliser les dons qu'une main bienfaisante avait répandus autour de lui avec une libéralité qui allait pour ainsi dire jusqu'à la profusion. Aucune catastrophe de la nature n'est venue bouleverser ces heureuses contrées, couvrir de sable ou de lave des plaines fertiles et présenter aux efforts du laboureur des obstacles insurmontables. Les choses sont encore dans l'état où elles étaient il y a vingt-cinq siècles; le Tigre et l'Euphrate roulent majestueusement leurs eaux dans les mêmes lits qui les recevaient autrefois; on voit encore aujourd'hui les larges canaux, qui établissaient entre ces deux fleuves de nombreuses communications, et, en prévenant le danger des inondations, portaient dans les parties les plus éloignées le bienfait d'une irrigation abondante; les terres ont conservé leur ancienne fécondité. C'est l'homme seul qui a su paralyser tout ce que la nature avait fait pour lui; c'est lui dont la main dévastatrice a fait fuir ou a détruit la population nombreuse qui couvrait ces rivages, a semé de ruines le sol où s'élevaient Babylone, Séleucie, Ctesiphon, etc.; c'est lui dont la paresse et l'incurie ont condamné à la stérilité des terres admirables, et transformé en déserts arides ces belles campagnes qui seraient encore prêtes à récompenser par de riches moissons les efforts d'un laboureur actif et intelligent.

La Babylonie, dans son état actuel, présentant pour le voyageur peu d'attrait, et même peu de sécurité, il n'est pas surprenant que les Européens aient mis fort peu d'intérêt à parcourir cette contrée déserte et marécageuse; aussi, la géographie de ce pays est-elle encore fort peu connue, et si l'on excepte les ruines de Babylone, qui ont excité au plus haut point la curiosité des voyageurs instruits, les nombreux débris qui couvrent le pays des Chaldéens ont échappé aux regards, ou n'ont été observés qu'à la hâte; et ces explorations rapides, exécutées sans plan, sans critique, ont jeté peu de lumière sur l'état actuel des lieux et n'ont produit, en général, que des renseignemens incomplets ou contradictoires.

Cette circonstance, comme on peut facilement le croire, présente

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