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au public ne pouvant, d'après les éclaircissemens que nous avons offerts précédemment, présenter d'obscurité ni d'ambiguité, nous nous bornons à le reproduire avec une traduction française suivant l'usage le plus ordinaire des éditeurs d'Abailard, déjà adopté parnous, et en l'accompagnant seulement de quelques notes qu'il nous a semblé indispensable d'y ajouter.

Nous remarquerons, toutefois, dès maintenant, et comme en rappel de notre précédent article, que la définition de l'hymne, à laquelle Abailard fait allusion dans sa seconde préface (Laus Dei cum cantico), nous semble tirée de saint Augustin, dans son énarration sur le psaume 148, où nous lisons: «Hymnus scitis quid est ? Cantus est cum laude Dei. Si laudas Deum et non cantas, non dicis hymnum. Si cantas et non laudas Deum, non dicis hymnum. Si laudas aliquid quod non pertinet ad laudem Dei et si cantando laudes, non dicis hymnum. Hymnus ergo tria ista habet et cantum et laudem et Dei 2. D

Nous prévenons qu'après nous être attaché, autrefois, à reproduire la copie de M. Oehler avec la plus scrupuleuse observation de l'orthographe indiquée par lui, nous avons dû renoncer, cette fois, à prendre une peine tout-à-fait superflue, puisque le copiste négligent et ignorant, auquel est dû le manuscrit d'Abailard, n'a pas d'orthographe constante, et qu'il écrit capricieusement les mots tantôt d'une manière, tantôt de l'autre, et souvent avec une barbarie complète. Le mot hymne, par exemple, est écrit tantôt hymnus, tantôt himnus, et tantôt ymnus; on voit cottidianus pour quotidianus, honus pour onus, diffinitio pour definitio, etc., etc.

Nous ne pouvions ne pas réimprimer aujourd'hui la partie de la lettre d'Abailard que nous avions déjà éditée; c'était une obligation à laquelle il était impossible de nous soustraire sans tomber dans le grave inconvénient de n'offrir aux lecteurs de ce recueil qu'un monument tronqué: il nous importait, d'ailleurs, de saisir cette occasion de rectifier diverses variantes que M. Oehler avait introduites dans sa copie, et de présenter, cette fois, une reproduction parfaitement exacte du texte d'Abailard.

' Voy. le vol. 1 de la Bibliothèque de l'École des chartes.

2 P. 1682, t. iv, édition des Bénédictins; p. 1947, éd. de Migne.

III SÉRIE. TOME IX.

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N° 49. 1844.

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LETTRE DE P. ABAILARD A HÉLOISE.

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I.

Ad tuarum precum instantiam, soror mihi Heloïsa in seculo quondam cara, nunc in Christo carissima, hymnos Græce dictos, Hebraïce tillim nominatos, composui; ad quos quidem me scribendos cum tam tu quam quæ tecum morantur sanctæ professionis feminæ sæpius urgueretis, vestram super hoc intentionem requisivi. Censebam quippe superfluum me vobis novos condere cum veterum copiam haberetis, et quasi sacrilegium videri antiquis sanctorum carminibus nova peccatorum preferre vel æquare. Cum autem a diversis diversa mihi responderentur, tu inter cætera talem memini subjecisti rationem: scimus, inquiens, Latinam et maxime Gallicanam ecclesiam, sicut in psalmis, ita et in hymnis magis consuetudinem tenere quam auctoritatem sequi. Incertum etenim adhuc habemus cujus auctoris hæc sit translatio psalterii quam nostra, id est Gallicana, frequentat ecclesia. Quam si ex eorum dictis dijudicare velimus qui translationum diversitates nobis aperuerunt longe ab universis interpretationibus dissidebit, et nullam, ut arbitror, auctoritatis dignitatem obtinebit; in qua quidem adeo longævæ consuetudinis usus jam prævaluit ut, cum in ceteris correcta beati Hieronimi teneamus exemplaria, in psalterio quod maxime frequentamus sequamur apocrypha. Hymnorum vero quibus nunc utimur tanta est confusio ut qui, quorum sint, nulla vel rara titulorum præscriptio distinguat ; et si aliqui certos habere auctores videantur, quorum primi Hilarius atque Ambrosius extitisse creduntur, deinde Prudentius et plerique alii, tanta est frequenter inæqualitas sillabarum ut vix cantici melodiam recipiant sine qua nullatenus hymnus consistere potest, cujus descriptio est laus Dei cum cantico. Plerisque etiam sollemnitatibus. addebas deesse proprios hymnos, utpote Innocentum et Evangelistarum seu illarum Sanctarum quæ virgines vel martyres minime exstiterunt. Nonnullos denique asserebas esse in quibus nonnunquam hos

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' Voy. suprà notre observation sur ce mot.

• Lisez Tehillim, n. La corruption de ce mot doit être vaisemblablement attribuée au copiste.

TRADUCTION..

I.

« C'est sur vos instantes prières, Héloïse, ma sœur, qui me fûtes chère autrefois dans le siècle et qui aujourd'hui m'êtes plus chère en Jésus-Christ, que j'ai composé ces chants nommés hymnes par les Grecs, et par les hébreux tehillim. Lorsque vous me pressiez de les écrire, vous et les saintes femmes qui habitent avec vous, j'ai voulu connaître les motifs de votre demande; car il me semblait superflu de vous composer de nouvelles hymnes, quand vous en possédiez tant d'anciennes; je regardais d'ailleurs comme un sacrilége de préférer ou seulement d'égaler aux chants antiques des saints, les chants nouveaux d'un pécheur.

» Parmi les diverses réponses que j'ai reçues de plusieurs d'entre vous, je me rappelle que vous particulièrement, vous mettiez en avant ces raisons :

» Nous savons, me disiez-vous, que pour le choix des psaumes et des hymnes, l'Église latine et surtout l'Église gallicane, obéissent à l'empire de l'habitude plutôt qu'à celui de l'autorité; car nous ignorons encore de quel auteur est la traduction du psautier adopté par l'Église gallicane; et même, s'il faut en croire sur ce point ceux qui nous ont fait connaître la diversité des traductions, celle-ci s'éloigne de toutes les autres, et ne mérite nullement, ce me semble, de faire autorité; mais telle est la force de la coutume, que, tandis que pour les autres livres de la Bible nous suivons la traduction correcte de saint Jérome, pour le psautier, qui est de tous les livres le plus fréquemment lu, nous nous contentons d'une traduction apocryphe. Quant aux hymnes dont nous nous servons aujourd'hui, il y règne un tel désordre, que jamais, ou du moins bien rarement, l'intitulé ne nous apprend quelles elles sont, ni qui les a composées; et si nous croyons connaître les auteurs de quelques-unes, comme Hilaire et Ambroise, les premiers compositeurs de ce genre de poëme, et après eux, Prudence et d'autres encore, toutefois la mesure des syllabes y est souvent si mal observée que les paroles sont rebelles à la mesure du chant, sans laquelle il n'y a point d'hymne; car ía définition de l'hymne est l'éloge chanté de la Divinité.

a quibus decantantur, mentiri necesse sit, tum videlicet pro temporis necessitate, tum pro falsitatis insertione. Casu quippe aliquo vel dispensatione, eo modo sæpius præpediti fideles constituta horarum tempora vel praeveniunt, vel ab ipsis præveniuntur, ut de ipso saltem tempore mentiri compellantur, dum videlicet aut nocturnos die, aut diurnos nocte hymnos decantant. Constat quippe, secundum propheticam auctoritatem et ecclesiasticam institutionem, nec a laude Dei noctem ipsam vacare, sicut scriptum est « Memor fui nocte n. t. d. » et iterum « Media nocte s. ad. c. t. » hoc est ad laudandum te; nec septem reliquas laudes de quibus idem meminit propheta «< Septies in die 1. d. t.3» nisi in die persolvendas esse, quarum quidem prima quae matutinae laudes appellantur, de qua in eodem scriptum est propheta << In matutinis d. m. in te 4 » in ipso statim diei initio, illucescente aurora seu lucifero; praemittenda est. Quod etiam in plerisque distinguitur hymnis. Cum enim dicit « Nocte surgentes v. o.3» et iterum « Noctem canendo r. vel « Ad confitendum surgimus morasque n. r.7 » et alibi « Nox atra rerum contegit t. c. o. » vel « Nam lectulo consurgimus n. q. t.9 » et rursum <«< Ut quique horas noctium nc. c. r.1o» et similia, ipsi sibi hymni quod nocturni sunt testimonium praebent. Sic et matutini seu reliqui hymni proprii temporis quo dicendi sunt, institutionem nonnunquam profitentur. Verbi gratia cum dicitur «< Ecce jam n. t. u." » et iterum « Lux ecce s. a.'» vel « Aurora jam s. polum seu « Aurora lucis r.'4 » et alibi « Ales diei nuntius 1.

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'Nominis lui Domine (Psaume 118, v. 55,)

2 Media nocte surgebam ad confitendum libi. (Psaume 118, v. 62.)

3 Laudem dixi tibi. (Psaume 118, v. 164.)

4 In matutinis Domine meditabor in le. (Psaume 62, v. 7.)

5 Nocte surgentes vigilemus omnes. (Hymn. sancti Gregorii papæ ad galli cantum post æquinoctium vernale.)

Noctem canendo rumpimus. (Hymn. sancti Ambrosii.)

7 Ad confitendum surgimus morasque noclis rumpimus. (Hymn. sancti Ambrosii.)

Terra colores omnium (Hymn. sancti Ambrosii ad galli cantum).

9 Noctis quieto tempore. (Hymn. sancti Ambrosii.)

Nunc concinendo rumpimus. (Hymn. sancti Ambrosii. )!

. Vous ajoutiez que nous manquions d'hymnes spéciales pour le plus grand nombre des fêtes, telles que celles des Innocens, des Evangélistes et de ces saintes qui ne furent ni vierges, ni martyres. Enfin disiez vous, il y a plusieurs de ces hymnes qui font mentir ceux qui les chantent, ou parce qu'elles ne s'appliquent pas au tems, ou parce que leurs termes sont peu conformes à la vérité. Ainsi, il arrive souvent que les fidèles, empêchés, soit par quelque circonstance fortuite, soit par la manière dont les offices sont distribués, devancent ou laissent passer l'heure prescrite: si bien qu'ils sont forcés de mentir, au moins en ce qui concerne le tems, chantant le jour les hymnes de la nuit, ou la nuit les hymnes du jour.

» Il est certain, en effet, d'après l'autorité des prophètes et les institutions de l'Église, que la nuit même doit avoir des chants pour la Divinité, ainsi qu'il est écrit: memor fui nocte, etc. ; et encore : media nocte surgebam ad confitendum tibi, c'est-à-dire, pour te louer. Et les sept autres louanges dont parle le même prophète, septies in die, etc., ne peuvent se chanter que le jour; car la première, qui est appelée matutinæ laudes et dont il est dit dans le même prophète : in matulinis, etc., doit se chanter au point du jour, quand l'aurore ou Lucifer commence à luire. Cette distinction est observée dans la plupart des hymnes ; et par exemple, quand le poëte dit : nocte surgentes, etc., et encore: noctem canendo, etc., ou ad confitendum surgimus morasque. etc, et ailleurs: nox atra, etc, ou : nam lectulo consurgimus, etc. ; et encore: ut quique horas noctium, etc., et autres paroles semblables: ces hymnes témoignent assez d'elles-mêmes qu'on doit les chanter pendant la nuit. Et de même les hymnes du matin et les autres indiquent souvent à quelle heure du jour on les doit chanter; par exemple, quand il est dit : ecce jam noctis tenuatur um

"Ecce jam noclis tenuatur umbra. (Hymn. sancti Gregorii papæ matuti. die dom. post æquin. vernale.)

12 Lux ecce surgit aurea. (Hymn. Prudentii.)

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3 Aurora jam spargit polum. (Hymne sans désignation d'auteur.)

14 Aurora lucis rutilat. (Hymne sans désignation d'auteur.)

NOTA. Nous doutons que M. E. Gachel ait été bien autorisé à attribuer ces deux dernières hymnes à saint Ambroise, malgré les indications auxquelles il a pu se fier.

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