celui de Pierre Gilius d'Alby qui avait, comme lui, parcouru l'Orient, et qui, après avoir été fait prisonnier par les Barbaresques et racheté par le cardinal d'Armagnac, était mort à Rome en 1555. Scévole de Sainte-Marthe, dans un éloge de Gilius, énonça le premier cette absurdité, et y joignit la calomnie, en disant que Belon avait dérobé les manuscrits de son maître, et les avait publiés sous son nom. De Thou, Baillet et d'autres ont reproduit la même version sans l'examiner, et il a fallu l'autorité de plusieurs savants et près de deux siècles pour en racheter la mémoire du naturaliste du Mans. Il n'eût pas été difficile pourtant de s'assurer que Belon n'avait jamais voyagé avec Gilius, qu'il n'avait eu avec lui aucun rapport d'intimité ou de subordination, qu'il n'était pas à Rome en 1555, mais à Paris, chez le cardinal de Tournon; enfin, et par-dessus tout, que Belon ayant publié ses principaux ouvrages avant la mort de Gilius, celui-ci n'eût pas manqué de s'en déclarer l'auteur s'il en avait eu le droit. Mais la fatalité fut telle à cet égard que Tournefort, ayant voulu laver la mémoire de Belon de cet indigne outrage, le fit dans des termes si ambigus que des biographes ultérieurs ont fait mourir Belon à Rome en 1555, et Gilius, assassiné dans le bois de Boulogne, en 1564. Belon semblait avoir prévu les attaques auxquelles il pourrait être en butte, car il aborde ce sujet dans plusieurs occasions. « Il n'est homme, dit-il, parlant de di« verses choses, qui puisse si bien dire que les lecteurs sé« vères, envieux et de mauvais vouloir ne trouvent à « redire et à calomnier. » Il prend même pour épigraphe de son histoire naturelle des poissons, ces mots : Virtutis et gloriæ comes invidia. Il s'élève contre les envieux et les indifférents « qui pensent que les choses de sciences doivent être « laissées aux gens de plus grand loisir, ou à ceux qui les «< cherchent plus par curiosité que par utilité. » Enfin il proteste partout contre les charlatans «qui promettent, «< dit-il des royaumesà ceux dont ils empruntent un écu,» montrant ainsi toute son horreur pour des passions méprisables et tout son désintéressement, toute la sincérité de ses propres efforts. Après avoir été dignement vengé de l'injustice et de l'erreur qui s'étaient attachées à son nom, Pierre Belon n'avait pas besoin sans doute du nouveau et faible témoignage que je viens de lui rendre. Mais j'ai pensé qu'un naturaliste éminent, un peu trop oublié de nos jours, méritait d'être signalé au souvenir et à la reconnaissance des hommes de savoir, dans une solennité toute scientifique. Au moment où la France se couvre de statues que chaque province élève aux grands hommes auxquels elle a donné le jour, la science me semble aussi devoir quelque hommage aux savants qui ont soutenu pour elles des luttes courageuses dont nous recueillons les fruits, et à qui nos écoles elles-mêmes doivent les premiers éléments des connaissances sur lesquelles se fonde aujourd'hui leur juste célébrité. NICOLAS HOUEL (1520-1585). Aucune biographie, aucun monument n'a consacré jusqu'ici la mémoire de l'un des hommes les plus recommandables qu'ait produits le seizième siècle, et auxquels l'humanité et la science ont le plus de réelles obligations. Cet homme est Nicolas Houel, savant et vénérable pharmacien de Paris, qui, après avoir acquis une fortune honorable, l'appliqua tout entière à des fondations charitables et scientifiques, et à qui l'École de Pharmacie de Paris doit sa première origine. A cette époque, l'état de la civilisation n'avait pas encore donné naissance à ce sentiment assez froid de justice distributive, que l'on décore du nom de philanthropie, et l'on connaissait à peine les principes rigoureux et calculateurs qui président de nos jours à l'administration publique de la bienfaisance. Mais il existait dans quelques âmes généreuses un sentiment plus relevé, plus ardent, plus fécond qui, s'appuyant à la fois sur la compassion et sur la piété, répandait assez largement sur les classes laborieuses des secours qu'elles eussent vainement attendu de l'état précaire de la fortune publique. La charité privée venait heureusement en aide à la pénu rie du gouvernement; elle fondait de toutes parts des hospices, des asiles, des institutions, des colléges, et, ne séparant jamais le bienfait moral du soulagement matériel, elle offrait en même temps au malheureux les consolations qui relèvent son courage et l'instruction qui lui prépare un meilleur avenir. Nicolas Houel, né à Paris en 1520, fut un de ces hommes pleins de zèle et de lumières, moins rares qu'on ne le suppose à une époque que l'on croit, mais à tort, enveloppée comme les siècles précédents des ténèbres de l'ignorance et de la barbarie. Retiré des affaires à un âge qui lui permettait encore d'apporter une véritable activité à sa noble entreprise, il conçut la belle pensée de fonder un établissement destiné « à nourrir certain «< nombre d'enfants orphelins, nés de loyal mariage, pour « y être instruits, tant à servir et honorer Dieu, que ès << bonnes lettres, et aussi pour apprendre l'art d'apothicai«rerie. Dans la maison, et par le ministère de ses orphe« lins, devaient être fournis et administrés gratuitement << toutes sortes de médecines et de remèdes convenables <<< aux pauvres honteux de la ville de Paris, sans que ceux« ci soient forcés de sortir de leurs maisons pour aller à «l'Hôtel-Dieu. » Houel demanda au roi Henri III qu'on lui abandonnât pour cet établissement, ce qui restait à vendre de l'hôtel des Tournelles. Le roi y consentit, mais l'évêque de Paris s'y étant opposé, il fallut recourir au parlement qui, après une enquête, et sur le rapport d'une commission spéciale, permit à Nicolas Houel de s'établir dans la maison des Enfants-Rouges. Deux ans après, pour des motifs que l'histoire n'a pas conservés, l'institution dut être transférée au faubourg Saint-Marcel, dans les bâtiments de l'hospice de Lourcine. La reine Marguerite de Provence, veuve de saint Louis, avait fondé au treizième siècle cet hôpital qui avait pris le nom de Lourcine, du territoire sur lequel il avait été bâti (1). Au siècle suivant, il se trouvait sous le patronage de Guillaume de Chanac, évêque de Paris et patriarche d'Alexandrie, ce qui lui fit prendre le nom d'Hôtel-Dieu du Patriarche. Deux siècles après l'hospice de Lourcine, comme le disent les chroniques du temps, « se trouvait « désert et abandonné par mauvaise conduite, tout ruiné, << les pauvres non logés, et le service divin non dict ni «< célébré. >> Tel était le local que l'on accordait à Houel pour y fonder son institution. Après s'y être installé, il lui donna le nom de Maison de la Charité chrétienne. Protégé par le roi, par la reine Louise de Lorraine, par le parlement, et secouru par les donations de madame de Dampierre, l'établissement ne tarda pas à prospérer. Il comprenait dès lors : 1° une chapelle; 2o une école de jeunes orphelins, instruits à préparer et à distribuer les médicaments aux pauvres honteux de la ville et des faubourgs; 3o une pharmacie complète; 4o un enclos nommé Jardin des Simples, «lequel étant rempli de beaux arbres fruitiers et plantes odoriférantes, rares et exquises de diverses espè<< ces, devait apporter un grand plaisir et une grande déco<< ration pour la ville de Paris (2); » 5o un hôpital contigu (1) Le nom de Lourcine paraît venir d'un lieu situé le long de la rivière de Bièvre, où l'on brûlait les morts, ce qui lui avait fait donner le nom de Terra de loco cinerum. (Lebeuf, Hist. du diocèse de Paris.) (2) Ce jardin, le premier de ce genre qui ait été établi en France, |