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dite cendre auoit touché, mes vaisseaux estoyent rudes et mal polis, à cause que l'esmail estant liquifié s'estoit ioint auec lesdites cendres nonobstant toutes ces pertes ie demeuray en esperance de me remonter par le moyen dudit art: car ie fis faire grand nombre de lanternes de terre à certains potiers pour enfermer mes vaisseaux quand ie les mettais au-four: afin que par le moyen desdites lanternes mes vaisseaux fussent garentis de la cendre. L'inuention se trouua bonne et m'a servi iusque au iourd'huy (1): Mais ayant obuié au hazard de la cendre, il me suruint d'autres fautes et accidents tels, que quand l'auois fait vne fournée, elle se trouuoit trop cuitte, et aucune fois trop peu, et tout perdu par ce moyen. l'estois si nonveau que ie ne pouuois discerner du trop ou du trop peu aucune fois ma besogne estoit cuitte sur le deuant et point cuitte à la partie de derriere l'autre apres que ie voulois obuier à tel accident, ie faisois brusler le derriere et le deuant n'estoit point cuit aucunefois il estoit cuit à dextre et bruslé à senestre: aucunefois mes esmaux estoyent mis trop clairs, et autrefois trop espais: qui me causoit de grandes pertes: aucunefois que i'auois dedans le four diuerses couleurs d'esmaux, les vns estoyent brulez premier que les autres fussent fondus. Bref i'ay ainsi bastelé l'espace de quinze ou seize ans ; quand l'auois appris à me donner garde d'vn danger, il m'en suruenoit un autre, lequel ie n'eusse iamais pensé. Durant ce temps ie fis plusieurs fourneaux, lesquels m'engendroient de grandes pertes auparauant que i'eusse connoissance du moyen pour les eschauffer également; enfin ie trouuay moyen de faire quelques vaisseaux de diuers esmaux entremeslez en maniere de iaspe : cela m'a nourri quelques ans mais en me nourrissant de ces choses ie cherchois touiours à passer plus outre auecques frais et mises, comme tu sçais que ie fais encores à present. Quand j'eus inuenté le moyen de faire des pieces rustiques, ie fus en plus grande peine et en plus d'ennuy qu'auparauant. Car ayant fait vn certain nombre de bassins rustiques (1) et les ayant fait cuire, mes esmaux se trouuoyent les vns bons et bien fonduz, les autres mal fonduz, austres estoient bruslez, à cause qu'ils estoient composez de diuerses matieres qui estoient fusibles â diuers degrez; le verd des lezards estoit bruslé premier que la couleur des serpens fut fonduë, aussi la couleur des serpens, escreuices, tortues et cancres, estoit fondue au parauant que le blanc eut reçeu

(1) Elle sert encore de nos jours sous le nom de manchons ou de cazettes. (1) Ce que Palissy appelle pièces ou bassins rustiques sont les ouvrages sur lesquels il plaçait des reptiles, des poissons, des coquillages en relief, et peints avec leurs couleurs naturelles.

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aucune beauté. Toutes ces fautes m'ont causé vn tel labeur et tristesse d'esprit, qu'auparauant que i'aye eu rendu mes esmaux fusibles à vn mesme degré de feu, i'ay cuidé entrer iusques à la porte du sépulchre aussi en me trauaillant à tels affaires ie me suis trouué l'espace de dix ans si fort escoulé en ma personne, qu'il n'y auoit aucune forme ny apparence de bosse au bras ny aux iambes : ains estoyent mesdites iambes toutes d'vne venue de sorte que les liens de quoy i'attachois mes bas de chausses estoyent, soudain que ie cheminois sur les talons auec le residu de mes chausses. le m'allais souuent pourmener dans la prairie de Xaintes, en considerant mes miseres et ennuys: Et sur toutes choses de ce qu'en ma maison mesme ie ne pouuois auoir nulle patience, n'y faire rien qui fut trouué bon. l'estois méprisé, et mocqué de tous : toutesfois ie faisais tousiours quelques vaisseaux de couleurs diuerses, qui me nourrissoient tellement quellement : Mais en ce faisant, la diuersité des terres desquelles ie cuidois m'auancer, me porta plus de dommage en peu temps que tous les accidents du parauant. Car ayant fait plusieurs vaisseaux de diuerses terres, les vnes estoyent bruslées deuant que les autres fussent cuittes: aucunes recevoyent l'esmail et se trouuoyent fort aptes pour cest affaire les autres me deceuoyent en toutes mes entreprinses. Or par ce que mes esmaux ne venoyent bien en vne mesme chose, i'estois deceu par plusieurs fois : dont ie receuois tousiours ennuis et tristesse. Toutesfois l'esperance que i'auois, me faisoit proceder en mon affaire si virilement que plusieurs fois pour entretenir les personnes qui me venoyent voir ie faisois mes efforts de rire, combien que interieurement ie fusse bien triste.

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le poursuyuiz mon affaire de telle sorte que ie receuois beaucoup d'argent d'vne partie de ma besogne, qui se trouoit bien mais il me suruint vne autre affliction conquatenée auec les susdites, qui est que la chaleur, la gelée, les vents, pluyes et gouttieres, me gastoyent la plus grande part de mon œuure, au parauant qu'elle fut cuitte tellement qu'il me fallut emprunter charpenterie, lattes, tuilles et cloux, pour m'accommoder. Or bien souuent n'ayant point dequoy bastir, i'estois contraint m'accommoder de liarres (lierres) et autres verdures. Or ainsi que ma puissance s'augmentoit, ie defaisois ce que i'auois fait, et ie batissois vn peu mieux; qui faisoit qu'aucuns artisans, comme chaussetiers, cordonniers, sergens et notaires, vn tas de vieilles, tous ceux cy sans auoir esgard que mon art ne se pouuoit exercer sans grand logis, disoyent que ie ne faisois que faire et desfaire, et me blasmoyent de ce qui les deuoit inciter à

pitié, attendu que i'estois contraint d'employer les choses necessaires à ma nourriture, pour eriger les commoditez requises à mon art. Et qui pis est, le motif desdites mocqueries et persecutions sortoit de ceux de ma maison, lesquels estoyent si esloignez de raison, qu'ils vouloyent que ie fisse la besongne sans outils, chose plus que déraisonnable. Or d'autant plus que la chose estoit déraisonnable, de tant plus l'affliction m'estoit extrême. l'ay esté plusieurs années que n'ayant rien de quoy faire couurir mes fourneaux, i'estois toutes les nuits à la mercy des pluyes et vents, sans auoir aucun secours, aide ny consolation sinon des chatshuants qui chantoyent d'vn costé et les chiens qui hurloyent de l'autre parfois il se leuoit des vents et tempestes qui souffloyent de telle sorte le dessus et le dessouz de ines fourneaux, que i'estois contraint quitter le tout, auec perte de mon labeur; et me suis trouué plusieurs fois qu'ayant tout quitté, n'ayant rien de sec sur moy, à cause des pluyes qui estoyent tombées, ie m'en allois coucher à la minuit ou au point du iour, accoustré de telle sorte comme vn homme que l'on auroit trainé par tous les bourbiers de la ville; et en m'en allant ainsi retirer, i'allois bricollant sans chandelle, et tombant d'vn costé et d'autre, comme vn homme qui serait yure de vin, rempli de grandes tristesses d'autant qu'apres auoir longuement trauaillé ie voyois mon labeur perdu. Or en me retirant ainsi soüillé et trempé, ie trouuois en ma chambre vne seconde persecution pire que la premiere, qui me fait à present esmerueiller que ie ne suis consumé de tristesse.

PIERRE BELON

NATURALISTE DU XVIe SIÈCLE.

(1517-1564) (1).

Compendiosa mole, sincera fide,
Velut fecit Belonius.....

(J. SCALIGER.)

En cherchant à suivre les traces de la pharmacie à travers les siècles qui nous ont précédés, j'ai dû faire de fréquentes incursions dans l'histoire des sciences qui ont le plus de connexion avec l'art pharmaceutique. C'est, en effet, dans les fastes de la médecine, de la chimie et de l'histoire naturelle que j'ai puisé les principaux éléments de ces recherches. Malheureusement, les détails que l'on emprunte à certaines époques ne sont ni bien authentiques, ni bien suivis, et il m'a souvent fallu frayer ma route à travers les incertitudes et les lacunes, jusqu'au moment où les sciences positives commencèrent à suivre une marche rationnelle. C'est seulement aux premières lueurs de la renaissance, que l'histoire naturelle, par exemple, sortit de son long sommeil et qu'elle vint prendre rang parmi les sciences d'observation. Mais dès lors, l'horizon s'agrandit rapidement, grâce aux découvertes

(1) Notice lue à la séance de rentrée de l'École et de la Société de pharmacie de Paris, le 5 novembre 1851.

maritimes, qui élargirent prodigieusement le champ des recherches scientifiques, et au goût des voyages que ces découvertes développèrent. Des savants hardis et pleins de zèle se joignirent aux expéditions de long cours, aux missions diplomatiques, aux entreprises militaires; ils se dévouèrent à ces recherches, souvent au péril de leur fortune et de leur vie, parfois aussi noblement encouragés et soutenus par de généreux amis de la science, dont les lumières devançaient une époque encore bien rapprochée de celle d'une ignorance absolue.

Parmi ces courageux explorateurs, il en est un dont j'ai eu la pensée de détacher l'intéressante figure, parce qu'il est l'un des premiers qui aient voyagé dans un but vraiment scientifique, parce qu'il a éclairé plusienrs points importants qui se rapportent à la matière médicale, et parce qu'il a porté, dans ses recherches, une sagacité, une érudition, une sincérité à laquelle on ne saurait donner trop d'éloges. Il s'agit de Pierre Belon, l'un des patriarches de l'histoire naturelle moderne, à qui la science a fini par rendre, un peu tardivement peut-être, une digne et éclatante justice.

Pierre Belon naquit en 1517, au village de la Souletière, près du Mans. Ses parents étaient pauvres, mais ne laissèrent pas de lui procurer une solide éducation. Ayant montré dans ses études de remarquables dispositions pour les sciences, il fut présenté à René Dubellay, évêque du Mans, qui lui-même le recommanda à François de Tournon, alors archevêque de Bourges, et depuis cardinal, protecteur éclairé des sciences et des lettres. En 1540, ce prélat procura à Belon les moyens de faire un voyage en Allemagne. Ce fut l'occasion pour celui-ci de se livrer

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