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mais la gloire, cet autre but de l'ambition de toute âme élevée, l'obtint-il de la justice de ses contemporains? Malheureusement, non. Ses écrits furent à peine connus de son vivant; ses ouvrages d'art ne furent jamais populaires. Peu compris de son siècle, qui ne vit en lui qu'un potier de terre parce qu'il ne rechercha point d'autre titre, apprécié seulement par un petit nombre de gens de goût, il en tira peu de parti pour sa gloire contemporaine, et encore moins pour sa fortune. Il se crut ignorant pour n'avoir point lu les livres des philosophes, tandis qu'il avait « anatomizé la matrice de la terre» et étudié le grand livre de la nature : il se dit étranger aux lettres, et ses écrits sont étonnants de profondeur, brillants d'imagination, d'esprit et de génie. Sa modestie n'en fut pas moins prise au mot; et cependant, quand on considère cette intelligence supérieure qui s'applique à tous les sujets, qui saisit partout le point de vue le plus droit et le plus fécond, on se demande ce qu'est la science de tant d'hommes qui passent pour des savants!

Soit que les malheurs de l'époque eussent attristé son âme, soit par l'effet de son austérité naturelle, Palissy était porté à la mélancolie; il aimait la retraite et la solitude, aussi son nom ne se trouve-t-il mêlé à aucun incident historique de son temps. Lorsqu'on s'est bien pénétré de la nature de son caractère, on se le représente, non comme un de ces artistes fougueux de la renaissance, dévorés d'orgueil et d'envie, pour lesquels la poursuite de leur art ne fut qu'un long combat, tout rempli de passions violentes et haineuses; mais comme un penseur grave, sévère, toujours appliqué à la méditation, se promenant le front baissé pour interroger la nature, et ne

relevant la tête que pour admirer ou bénir la Providence. C'est une de ces imposantes figures qui répandent sur leur époque un caractère austère et solennel, un des membres de cette illustre phalange qui sépara le moyen âge des temps modernes ; phares de l'intelligence, élevés au milieu d'un siècle de ténèbres, comme pour rappeler l'esprit humain à ses nobles destinées, et le guider désormais dans la carrière du perfectionnement.

NOTES

(A. page 35) Le château d'Écouen fut construit au commencement du seizième siècle, par l'architecte Jean Bullant. Les sculptures de la chapelle sont de Jean Goujon. De tous les ouvrages dont Palissy avait décoré cette habitation, on n'y voit plus aujourd'hui que le pavé de faïence peinte, à compartiments, de la chapelle et des galeries. On attribuait également à Palissy une marqueterie en faïence, appliquée sur les parois de la Chapelle, représentant les actes des Apôtres, la passion de Jésus-Christ en seize tableaux réunis en un seul cadre, d'après Albert Durer, et les vitraux de la galerie, représentant l'histoire de Psyché, d'après les dessins de Raphaël. Ces derniers ont été gravés, et M. Lenoir en a publié la suite, en quarante-cinq estampes, dans le tome vi du Musée des monuments français.

(B. page 35) Un terrain assez étendu, situé au-delà des fossés du Louvre, et sur lequel était établie une fabrique de TUILES, fut acheté, en 1518, par François ler, qui le donna à sa mère, Marie-Louise de Savoie.

En 1564, Catherine de Médicis ne voulant point habiter le Louvre, ni le palais des Tournelles, qui allait être démoli, acheta quelques bâtiments qui avoisinaient les Tuileries, et fit jeter les fondements de cet édifice, dont la première pierre fut posée par Charles IX, le 11 janvier 1566. Catherine ne l'habita pas longtemps, car, en 1572, elle quitta cette résidence pour l'hôtel de Soissons, qu'elle venait d'acheter.

On trouve dans un manuscrit de la Bibliothèque royale, intitulé : Despenses de la reyne Catherine de Médicis, plusieurs pièces qui se rapportent à des payements faits, dans le cours de l'année 1570, à Bernard, Nicolas et Mathurin PALISSYS (sic), « pour les ouvrages en « terre cuite, esmaillée, qui restent à faire pour achever les quatre < ponts (ce mot, difficile à lire dans le manuscrit, laisse quelque in«< certitude sur la nature des travaux), au pourtour de la grotte « commencée par la Reyne, en son palais, à Paris, suivant le marché a fait avec eux, etc. »

Ce document expliquerait le motif de la résidence de Palissy dans l'enceinte du château, ainsi que le surnom de Bernard des Tuileries, qui a suggéré à quelques biographes la singulière supposition qu'il était gouverneur de ce palais. Palissy avait, sans nul doute, placé son atelier près de la tuilerie déjà établie dans le même lieu, et qui y subsista encore longtemps; car, suivant les plans manuscrits de l'époque, au commencement du règne de Louis XIV, on voyait encore dans les cours du château les chantiers de bois et de fours qui servaient à la fabrication des tuiles et des briques.

On peut tirer du même document cette autre conséquence, que Bernard Palissy était alors secondé dans ses travaux par deux de ses fils, Nicolas et Mathurin. Cette hypothèse, d'ailleurs si naturelle, permettrait en outre de penser que ceux-ci, qui ne soutinrent point la réputation de leur père, continuèrent néanmoins d'exercer la mème industrie, et qu'ayant conservé les moules de Bernard, ils livrèrent à la circulation des pièces dont la date est évidemment postérieure à celle de sa mort.Tel est un plat fort connu, dont le fond représente Henri IV et sa famille, mais dont les bords appartiennent, sans aucun doute, à Bernard Palissy.

(C. page 50) Nous ne résistons pas au désir de reproduire ce récit, non-seulement parce qu'il est plein d'intérêt, de grandeur, d'éloquence naïve, mais parce qu'on peut le regarder, sous le rapport du style, comme un des morceaux les plus précieux qui nous soient restés de la langue française au seizième siècle:

<< Scaches qu'il y a vingt et cinq ans passez qu'il me fut monstré vne coupe de terre, tournee et esmaillee d'vne telle beauté (1) que deslors i'entray en dispute auec ma propre pensée, en me rememorant plusieurs propos qu'aucuns m'auoient tenus en se mocquant de moy, lors que ie peindois les images. Or voyant que l'on commençait à les delaisser au pays de mon habitation, aussi que la vitrerie n'auoit pas grande requeste, ie vay penser que si i'auois trouué l'inuention de faire des esmaux ie pourrois faire des vaisseaux de terre et autre chose de belle ordonnance, parce que Dieu m'auoit donné d'entendre quelque chose de la pourtraiture; et deslors, sans

(1) On peut supposer, quoique rien ne le constate, que cette coupe émaillée était d'origine italienne; soit qu'elle fût le produit des manufactures de Faenza (d'où le mot faïence), soit qu'elle remontât à une plus haute antiquité, car on sait dès le temps de Porseuna, on connaissait, en Étrurie, l'art de couvrir d'émail les vases de terre. Mais cet art était alors complétement ignoré en France, et ce fut Palissy qui l'y créa.

que,

auoir esgard que ie n'auois nulle connoissance des terres argileuses, ie me mis à chercher les esmaux, comme vn homme qui taste en tenebres. Sans auoir entendu de quelles matieres se faisoyent lesdits esmaux, ie pilois en ces iours là de toutes les matieres que ie pouuais penser qui pourroyent faire quelque chose, et les ayant pilées et broyées, i'achetois vne quantité de pots de terre, et apres les auoir mis en pieces, ie mettois des matieres que i'auois broyées dessus icelles, et les ayant marquées, ie mettois en escrit à part les drogues que i'auois mis sus chacunes d'icelles, pour mémoire; puis ayant faict vn fourneau à ma fantasie, ie mettois cuire lesdites pieces pour voir si mes drogues pourroyent faire quelques couleurs de blanc: car ie ne cherchois autre esmail que le blanc : parce que i'auois ouy dire que le blanc estoit le fondement de tous les autres esmaux. Or parce que ie n'auois iamais veu cuire terre, ny ne sçauois à quel degré de feu ledit esmail se deuoit fondre, il m'estoit impossible de pouuoir rien faire par ce moyen, ores que mes drogues eussent esté bonnes, parce qu'aucune fois la chose auoit trop cbaufé et autrefois trop peu, et quand lesdites matieres estoyent trop peu cuites ou bruslées, ie ne pouuois rien iuger de la cause pourquoy ie ne faisois rien de bon, mais en donnois le blasme aux matieres, combien que quelque fois la chose se fust peut estre trouué bonne, ou pour le moins i'eusse trouué quelque indice pour paruenir à mon intention, si i'eusse peu faire le feu selon que les matieres les requeroyent : Mais encores en ce faisant ie commettois vne faute plus lourde que la susdite: car en mettant les pieces de mes espreuues dedans le fourneau, ie les arrangeois sans consideration; de sorte que les matieres eussent esté les meilleures du monde et le feu le mieux à propos, il estoit impossible de rien faire de bon. Or m'estant ainsi abuzé plusieurs fois, auec grand frais et labeurs, i'estois tous les jours à piler et broyer nouuelles matieres et construire nouueaux fourneaux, auec grande despense d'argent et consommation de bois et de temps.

Quand j'eus bastelé plusieurs années ainsi imprudemment, auec tristesse et soupirs, à cause que ie ne pouuois paruenir à rien de mon intention, et me souuenant de la despense perduë, ie m'auisay pour obuier à si grande despense d'enuoyer les drogues que ie voulois approuuer à quelque fourneau de potier; et ayant conclud en mon esprit telle chose, i'achetay de rechef plusieurs vaisseaux de terre, et les ayant rompus en pieces, comme de coustume, i'en couvray trois ou quatre cent pieces d'esmail, et les enuoyay en vne poterie distante d'vne lieue et demie de ma demeurance, auec requeste enuers les potiers qu'il leur pleust permettre cuire lesdites espreuues

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