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peutique était encore fondée sur les qualités, les humeurs, les degrés et les tempéraments; que la pratique ordinaire se bornait à purger, à saigner, à faire vomir, et que Paracelse eut du moins le mérite de détourner les médecins de cette pratique routinière, comme il les força d'attacher moins d'importance aux symptômes qu'aux causes des maladies. Quant à la doctrine chimiatrique, dont il ne fut que le promoteur, car l'idée en appartient aux chimistes de l'âge précédent, on ne peut disconvenir qu'elle n'ait rendu des services réels, et donné une nouvelle et vive impulsion à tout l'ensemble des sciences médicales comme à la chimie elle-même.

Si quelque chose pouvait tendre à excuser Paracelse, sinon à l'absoudre, ce serait sa bonne foi, sa conviction sincère. Il croyait à la réalité de ses doctrines comme à l'efficacité de ses arcanes, comme à sa supériorité intellectuelle et à ses inspirations. Mais en s'abandonnant luimême aux croyances, aux superstitions les plus absurdes, il eut le tort réel d'exciter le goût de l'époque pour les sciences occultes, et d'exalter par son exemple les extravagantes prétentions de leurs sectateurs. Ce qu'il y a de bizarre c'est que, dans plus d'une occasion, il repousse l'idée de la sorcellerie. « Avant la fin du monde, s'écrie«t-il, un grand nombre d'effets surnaturels, du moins en << apparence, s'expliqueront par des causes toutes physi«ques. >> On dirait que le pontife cherche à renverser lui même l'autel de ses faux dieux. Du reste, il atteignit son but de réformateur, en ce sens qu'il réussit jusqu'à un certain point à anéantir des doctrines surannées, à tirer la science du sanctuaire de l'école, à diriger la médecine dans une voie nouvelle, à fixer l'attention des praticiens

sur des agents d'une énergie et d'une efficacité incontestables. Est-ce donc là un faible mérite et, en faveur de tels résultats, ne doit-on pas montrer quelque indulgence pour des écarts d'imagination dont l'auteur fut évidemment la première victime?

Ses écrits, qu'il ne publia point lui-même, mais que ses disciples recueillirent, en y joignant beaucoup de fragments apocryphes, forment, dans l'édition de Bâle (1589) une masse de dix volumes in-folio. Leur incohérence prouverait seule qu'ils sortent de plusieurs mains. Ses voyages et la brièveté de sa vie ne lui auraient pas permis d'ailleurs de les multiplier autant. Ils s'accordent assez néanmoins avec ce que l'on sait de son caractère et de sa conduite. On n'y trouve aucun plan systématique; les idées y sont confuses, sans liaison, les contradictions nombreuses. Ce sont, pour la plupart, des notes que l'on dirait rassemblées dans l'ordre ou plutôt le désordre où elles se présentaient à son esprit. C'est partout de l'excentricité, de la jactance, une sorte d'illuminisme d'où jaillissent parfois comme des éclairs de génie. Le style en est diffus, obscur, mystique, mélangé d'allemand et de latin barbare, chargé de néologismes. Aussi, peu d'érudits ou de curieux ont-ils aujourd'hui le courage d'en aborder la pénible et stérile lecture.

Quoi qu'il en soit, Paracelse fut un véritable chef d'école. L'ardeur et l'indépendance de son esprit, sa fougue naturelle, sa verve satirique, sa parole passionnée, pittoresque, originale, tout, jusqu'à son orgueil, contribuait à en faire un thaumaturge, et il n'obéit que trop à cette fatale vocation. Il n'en fut pas moins l'un des plus grands esprits synthétiques du seizième siècle; heureux s'il n'eût

pas poussé jusqu'à l'excès la faculté de généralisation dont il fut doué à un si haut degré. Mais sachons faire également la part des temps où il vécut. Un mouvement aussi irrégulier que violent agitait alors l'Europe nouvelle; les théories les plus bizarres, les systèmes les plus opposés se combattaient dans les écoles. Les contradictions de Paracelse, comme celles de tous ses contemporains, étaient le fruit de ces luttes intellectuelles qui s'élevaient alors de toutes parts. Est-il donc étonnant que la vérité ne put encore se dégager d'un pareil état de trouble et de confusion? Et, puisque c'est à des chimistes que s'adressent ces lignes, qu'ils me permettent une allusion puisée dans un ordre de phénomènes qui leur est familier. Le départ des éléments ne s'opère dans un mixte que lorsque la solution, suffisamment étendue, est abandonnée à ellemême et dans un repos complet. En philosophie, comme en chimie, je dirai même en politique, l'ordre et la vérité ne sauraient s'établir qu'autant que les individus jouissent à la fois du calme, du repos et d'une sage liberté.

BERNARD PALISSY.

(1510-1589) (1).

Le nom de Bernard Palissy est vaguement empreint dans la mémoire de toutes les personnes qui s'occupent de sciences naturelles, d'agriculture, de physique, de chimie, ou qui ont étudié l'histoire des arts. On sait en général qu'il vécut au seizième siècle, qu'il était potier de terre, et qu'il découvrit le vernis des faïences. On sait que l'ardeur qu'il mit à cette recherche le retint longtemps dans la misère la plus profonde, mais qu'il finit par atteindre son but, et qu'il fut l'inventeur de ces rustiques figulines auxquelles les amateurs attachent aujourd'hui un assez haut prix. Ce que l'on sait moins généralement, c'est que cet homme, sans éducation première, sans aucune notion de littérature, sans connaissance de l'antiquité, sans secours d'aucune espèce, à l'aide des seuls efforts de son génie et de l'observation attentive de la nature, posa les bases de la plupart des doctrines modernes sur les sciences et les arts; qu'il émit, sur une foule de hautes questions scientifiques, les idées les plus hardies et les mieux fondées; qu'il professa le premier en

(1) Cette Étude a paru en tête d'une édition des œuvres complètes de Bernard Palissy, mises en ordre et annotées par l'auteur. Paris, 1844, in-18.

France l'histoire naturelle et la géologie; qu'il fut l'un de ceux qui contribuèrent le plus puissamment à renverser le culte aveugle du moyen âge pour les doctrines de l'antiquité; que cet ouvrier, sans culture et sans lettres, a laissé des écrits remarquables par la clarté, l'énergie, le coloris du style; qu'enfin cet homme simple et pur, mais puissant par le génie, fournit l'exemple de l'un des caractères les plus élevés de son époque.

Il est beau sans doute de voir l'artiste, aux prises avec les difficultés de son art ou avec les obstacles matériels qui s'opposent à la production de sa pensée, sortir victorieux de cette lutte, après une longue période d'efforts, de misères et de souffrances; mais il ne l'est pas moins de voir l'homme d'une origine obscure, dépourvu des secours de l'instruction et de l'étude, jeter sur tout ce qui l'entoure le coup d'œil de l'observateur et du philosophe, pénétrer les mystères de la nature, saisir les principes des vérités éternelles, renverser les erreurs accréditées de son époque et pressentir la plupart des découvertes qui feront l'avenir et la gloire des siècles plus éclairés. C'est avec ce double mérite que Palissy se présente aux regards de la postérité. Les événements de sa vie, dont quelques-uns furent racontés par lui-même, montrent tout ce que peut le génie secondé par une âme ferme, un esprit droit et un cœur pur. Leur simple récit nous semble le moyen le plus naturel d'appeler sur ses travaux l'intérêt dont ils sont si dignes, et sur sa personne le respect, l'admiration que commande toujours un beau caractère uni aux plus précieux talents.

Un pauvre village du Périgord, situé à peu de distance de la petite ville de Biron, entre le Lot et la Dordogne,

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