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La forme historique ordinaire ne permet pas toujours de donner à cette sorte de recherches toute l'étendue désirable. Les faits généraux qui composent le fond principal de l'histoire générale l'obligent trop souvent à laisser dans l'ombre la physionomie des personnages. Dans la biographie au contraire, les portraits figurent au premier plan et les faits historiques se groupent autour d'eux pour compléter le tableau. La grande histoire, à la vérité, possède d'autres avantages. Elle a pour elle l'étendue des proportions, l'élévation des vues, la variété des événements; mais la biographie pénètre plus avant dans le vif de l'humaine nature. Son champ est plus restreint, mais il est mieux circonscrit; le sujet est moins vaste, mais il a plus d'unité. Si l'histoire a d'heureuses connexions avec la philosophie, en ce qu'elle considère l'humanité d'un point de vue général, la biographie tient de plus près à la morale, parce qu'elle envisage l'homme dans ce qu'il a d'intime. En concentrant son étude sur une figure unique, elle donne aux faits une sorte d'individualité, elle harmonise les actes avec les personnes, et, sans rien céder à l'histoire sous le rapport de l'exactitude et de la réalité, elle se rapproche du drame par l'intérêt qui s'attache naturellement aux individus. La biographie offre des enseignements plus directs, plus profitables, en ce qu'elle nous porte, par un secret retour sur nous-mêmes, à chercher en quoi nous pouvons ressembler aux portraits qu'elle met sous nos yeux, et quel parti nous pourrions tirer des leçons ou des exemples qu'elle offre à notre méditation. Enfin elle possède l'heureux avantage d'ensei

gner en même temps la science et son histoire; les faits prennent ainsi dans la mémoire comme dans l'imagination, un corps, un nom, une figure, et leur date elle-même ne s'oublie plus.

Le champ de l'histoire a été si laborieusement, si habilement exploré de nos jours, qu'il devient de plus en plus difficile de lui faire porter de nouveaux fruits. Ce champ lui-même s'est tellement élargi qu'on ne saurait y faire de nouvelles découvertes qu'à l'aide d'un procédé dont nous devons précisément l'exemple à l'industrie moderne, nous voulons dire : la division du travail. Chaque siècle, chaque nation a d'abord eu son historien; puis on a divisé et subdivisé chaque époque, chaque sujet, au point qu'il en est résulté des sortes de monographies historiques. On a étudié ainsi chaque partie de cette vaste science dans ses moindres détails, sous tous ses aspects, préparant ainsi les matériaux sur lesquels la philosophie de l'histoire établira quelque jour ses savantes généralités.

L'histoire de la science nous semble devoir procéder de la même manière. La biographie des savants est à cette histoire ce que les mémoires historiques sont à l'histoire générale, ce que les monographies scientifiques sont à la science elle-même. Par cela seul que les données de cette nature ne s'adressent qu'au petit nombre, la forme biographique nous paraît leur convenir davantage. Nous regardons celle-ci comme l'un des moyens les plus efficaces de répandre, de populariser les notions scientifiques, de fixer l'attention sur les idées à la faveur de l'intérêt qu'excitent toujours les personnes, et de sauver l'aridité de certaines ab

stractions par le charme naturel qui s'attache au drame historique.

Cette forme, à la vérité, a aussi ses inconvénients et surtout ses difficultés. Elle manque d'ensemble, de plan, de lien; elle n'admet pas les transitions, elle ne saurait éviter les redites et les doubles emplois. Quant aux difficultés, elles sont nombreuses, et nous en avons fait trop souvent la cruelle épreuve. Proportionner l'étendue des notices à leur importance, approprier le style au caractère de chaque personnage, mélanger habilement les détails de sa vie avec l'exposé clair et succinct de ses travaux, de ses découvertes, de ses doctrines; réunir et classer tous les faits dont il fut l'auteur, l'occasion, ou le mobile; montrer l'état de la science avant et après lui, l'influence de ses écrits ou de sa parole sur la marche des connaissances; y réunir avec adresse les événements généraux et contemporains... tout cela demande bien du tact, des soins et de l'art. Il est peut-être aussi naïf que téméraire de jalonner ainsi une route que l'on n'a pas réussi à suivre, de signaler des écueils que l'on n'a pas su toujours éviter. Puissent nos émules s'y engager avec plus de bonheur ! leurs succès nous dédommageront des efforts que nous aurons tentés dans cette voie intéressante.

Une disposition généreuse de notre époque nous porte à élever de toutes parts des statues, des monuments aux hommes qui ont bien mérité de leur patrie et de l'humanité. C'est à l'historien, au biographe surtout, aussi bien qu'au statuaire, de rendre au génie cet

hommage solennel, en réalisant cette heureuse fiction de la poésie antique, rappelée par Bacon (1), et que son tour ingénieux empêchera sans doute de paraître trop surannée : « A l'extrémité du fil qui repré«sente la vie de chaque mortel, est suspendue une <«< médaille qui porte son nom. Au moment de sa « mort, le temps détache ces médailles et les jette « dans le fleuve d'oubli. Mais autour du fleuve volti« gent quelques cygnes qui rassemblent les noms qui « flottent à la surface, les saisissent et les portent à « l'immortalité. »

Nous avons recueilli quelques-unes de ces médailles, afin de rappeler certains noms dignes de mémoire au | souvenir des amis de la science et de la vérité.

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ÉTUDES BIOGRAPHIQUES

PARACELSE

(1493-1541.)

Il y a deux modes d'appréciation applicables aux hommes et aux choses des temps passés l'un s'attache aux œuvres, aux résultats qui sont restés acquis à la civilisation, l'autre aux circonstances au milieu desquelles les personnages et leurs actes se sont révélés. La réaction du siècle sur les hommes célèbres, et en même temps, l'influence de ces hommes sur leur siècle, telles sont donc les bases du jugement que nous avons à porter sur les uns et sur les autres. Tout examen qui néglige l'un de ces deux éléments risque d'être entaché d'erreur ou de partialité.

Ce qui, à d'autres époques, parut une vérité brillante, peut nous sembler aujourd'hui une déplorable erreur, et la science de nos jours a le droit d'en faire bonne justice; mais l'histoire ne l'apprécie pas avec la même rigueur. Cette théorie, à sa date réelle, fut un pas important dans la recherche du vrai ; elle résuma l'état des connaissances, les travaux, les prévisions de l'époque où elle se fit jour; il faut donc lui laisser son cadre naturel. L'historien

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