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Probablement il n'aurait pu dissimuler longtemps ses sentiments véritables, et il aurait bientôt éclaté en reproches contre François Ier, si celui-ci ne s'était hâté de l'amadouer par une démarche conciliante. Avant la fin de mai, un Ambassadeur extraordinaire, le sieur de la Guiche', arriva en Angleterre pour proposer de la part de François Ier de fixer au mois d'août suivant l'entrevue désirée par Henry. Cette communication remplit de joie celui-ci; pourtant François prenait soin de dire que sa proposition n'annonçait nullement un changement dans les relations entre la France et le Saint-Siège, et qu'il n'avait, pas plus que le mois précédent, l'intention d'édicter dans son royaume des règlements analogues aux lois que venait de voter le Parlement anglais. Mais peu importait: Henry se flattait que, seul face à face avec son <«<< bon frère », il saurait bien l'amener à adopter ses vues; et puis, il était enchanté d'avoir une occasion de déployer ses goûts de faste.

Ce fut évidemment sous l'influence de son contente

in charge to our said counsaillours, aswell concerning our meting as otherwise, ye shall declare to our saide good brother that the same are unto us so grate, thankfull and so hertlie desired ou oure part, that nothing can be to our greter joye, comforte and contentacion. » Le ton de ces instructions est évidemment ironique; mais Wallop dut en employer un autre en faisant à François Ier la communication prescrite.

1 Pierre, seigneur de la Guiche et de Chaumont, gentilhomme de la Chambre, bailli d'Autun et de Mâcon, mort en 1544. L'Ambassadeur ordınaire en Angleterre au mois de mai 1534 était Charles de Solier, seigneur de Morette.

2 Au sujet de l'Ambassade du sieur de la Guiche, que Mr Froude confond avec le duc de Guise (History of England, chap. vn), on peut voir les lettres de Chapuis à l'Empereur en date des 29 mai et 7 juin 1534, les articles rapportés d'Angleterre par ledit sieur de la Guiche (Henry VIII State Papers, vol. VII, no 404) et enfin une lettre de Henry VIII à François Ier écrite en juin peu après le départ de l'Ambassadeur (Henry VIII State Papers, vol. VII, no 405).

ment que Henry pensa tout à coup à récompenser lord Rochford de sa dernière mission : le 16 juin, il le nomma Connétable du château de Douvres et gardien des Cinq-Ports (Constable of Dover castle and warden of the Cinque Ports)'.

Les deux Rois s'étant mis d'accord, il paraissait certain que l'entrevue aurait lieu à Calais vers la fin de l'été; mais on avait compté sans Anne Boleyn qui, sur ces entrefaites, se trouva enceinte. Or, d'une part, elle entendait être présente à la réunion des deux Souverains et y figurer comme reine d'Angleterre; et, d'autre part, elle ne voulait pas, durant le temps de sa grossesse, s'exposer aux conséquences d'un double voyage en mer3. Devant la volonté de son épouse, Henry ne pouvait que s'incliner; il était contrarié toutefois

qu'un caprice de femme l'obligeât de demander à son allié le changement de tous les arrangements qu'ils venaient de prendre d'un commun accord; aussi ne s'exécuta-t-il qu'à son corps défendant et cherchat-il à pallier, à l'aide de petites ruses, la faiblesse dont il faisait preuve vis-à-vis d'Anne.

Voilà pourquoi lord Rochford, qui, à cette occasion, fut pour la cinquième fois envoyé comme Ambassadeur

1 Patents 26 Henry VIII, part 1TM, memb. 28th. Les ports fortifiés désignés sous le nom des Cinq-Ports étaient Sandwich, Dover, Hythe, Romney et Hastings; on leur adjoignait Rye et Winchelsea.

2 C'était sur le désir de Henry VIII que l'entrevue avait été définitivement fixée au mois de septembre (lettre à François Ier, juin 1534 State Papers, vol. VII, no 405); il voulait qu'on eût eu le temps nécessaire pour préparer des moyens de défense contre une attaque possible de la flotte impériale lors de la traversée du Pas de Calais.

Selon les termes des instructions remises à lord Rochford (State Papers, vol. VII, n° 406), Anne n'était « pas en état d'être transportée sur les mers roulantes » (not being mete to be conveyed over the tombeling sees).

en France, le fut sous couleur d'avoir à traiter des affaires toutes différentes. Ses instructions lui prescrivaient même de ne point parler à François Ier de la remise de l'entrevue : c'était à la sœur de ce Prince, à la reine de Navarre, qu'il devait déclarer, à titre tout à fait privé et comme s'il eût été chargé directement par Anne de cette commission, le désir qu'avait cette dernière de voir remettre au printemps suivant a rencontre des deux Rois; la reine de Navarre, qui voulait du bien à Anne, trouverait sans doute que le souhait de celle-ci était fondé et elle s'empresserait de le recommander à son frère. Alors Rochford pourrait, s'il en était besoin, aborder la question avec François, mais en ayant soin de bien lui marquer qu'elle touchait Anne seule et que Henry s'en désintéressait complètement'.

Lord Rochford était mieux qualifié que tout autre pour mener à bien cette mission compliquée. Les bonnes relations que lors d'une de ses précédentes ambassades il avait nouées avec la reine de Navarre lui permettaient de solliciter de prime abord et sans

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D'après Mr Friedmann (Anne Boleyn, chap. Ix), qui écrit sur la foi de Chapuis (lettre à l'Empereur du 23 juin 1534), Henry VIII aurait désiré que l'entrevue n'eût pas lieu, dans la crainte qu'Anne Boleyn, restée comme régente en Angleterre, ne se livrât à quelque extrémité contre Catherine d'Aragon et Mary. Cette opinion est peu plausible; on ne voit pas pourquoi Henry VIII, qui ne devait aller qu'à Calais, aurait institué une Régence pour le temps d'une si courte absence; en 1532, lors de la précédente entrevue, aucune mesure de ce genre n'avait été prise. De plus, bien que le joug d'Anne Boleyn commençât à lui peser, Henry ne pensait guère à la mettre en balance avec Catherine et Mary; et loin de craindre pour le sort de ces dernières, il avait peur, au contraire, que leurs partisans ne profitassent de son absence pour troubler le Royaume au préjudice d'Anne et de sa fille Élizabeth. (Articles remis à M. de la Guiche, juin 1534. State Papers, vol. VII, no 404.)

2 Voir au chapitre v.

ambages l'assistance de cette Princesse; en outre, il était d'un esprit assez délié et assez ingénieux, pour pouvoir poursuivre avec une grande ardeur le résultat souhaité par sa sœur, sans pourtant compromettre à aucun degré Henry VIII. En fait, il réussit en fort peu de jours à s'acquitter avec succès de sa mission. Parti d'Angleterre le 10 juillet', il y était de retour avant le 27 de ce mois et il rapportait la nouvelle que François Ier, pour satisfaire au désir d'Anne, consentait à renvoyer l'entrevue au mois d'avril de l'année suivante'.

1 Chapuis à l'Empereur, 16 juillet 1534 (Archives de la Burg): -<«< Depuis six jours est d'icy party en grande diligence le seigneur de Rochefort pour aller en France. »

2 Chapuis à l'Empereur, 27 juillet 1534 : « Ce Roy a esté joyeux des nouvelles que lui a rapportées de France Rochefort entre lesquelles est la dilation de la veue jusques au mois d'avril, et dient ceulx-ci estre la cause que la Dame de Boulans y veult entrevenir, ce que n'est possible à cause de sa pourtée. »

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Lord Rochford était à peine rentré en Angleterre, que sa sœur Anne Boleyn fit une fausse couche; accident qui n'avait rien d'extraordinaire et dont la malheureuse n'était certes pas responsable, mais tort bien grave aux yeux de Henry VIII qui attendait avec impatience la naissance d'un fils. Cette déconvenue éveilla chez lui une vive rancune contre son épouse1, et dans son dépit, il commença à la négliger pour donner ses faveurs à une autre femme. Celleci, dont l'histoire ne nous a malheureusement pas conservé le nom, était (( une très belle et très adroicte demoyselle » qui portait à Catherine d'Aragon et à sa fille Mary une affection sincère aussi profita-t-elle de l'influence qu'elle exerçait sur le Roi pour tâcher d'améliorer le sort de ces dernières2.

1 Mr Friedmann (Anne Boleyn, chap. Ix) ne croit pas qu'Anne ait fait alors une fausse couche; d'après lui, elle se serait imaginé à tort qu'elle était enceinte et aurait annoncé sa grossesse à Henry; puis avec le temps ayant reconnu son erreur, elle aurait dû détromper celui-ci. De toute manière, il y eut déconvenue pour le Roi.

2 Chapuis à l'Ambassadeur impérial en France, Hannart, 13 octobre 1534

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