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CHAPITRE VI

Quatrième et cinquième Ambassades de lord Rochford en France.

Devenu frère. de la Reine, lord. Rochford devait désormais avoir un état de maison considérable. Pour satisfaire plus aisément à cette obligation, il demanda et obtint de son beau-frère Henry VIII, au mois d'octobre 1533, l'autorisation de s'établir au château royal de Beaulieu dans le comté d'Essex. En d'autres circonstances, la démarche de lord Rochford eût paru pleinement justifiée, puisque depuis plusieurs années il était sénéchal de Beaulieu' et qu'il était de toute raison qu'un sénéchal habitàt le domaine qu'il administrait. Mais Beaulieu était aussi la résidence affectée à Mary Tudor, la fille du premier mariage de Henry; et pour permettre à lord Rochford de « dresser son ménage » dans le château, il fallut reléguer la Princesse dans les communs'. Or, quelques jours aupa

1 Il avait été nommé à cette charge le 1er février 1529, remplaçant son beau-frère William Carey, mort le 22 juin de l'année précédente.

Chapuis à l'Empereur, 16 octobre 1533 (Archives de la Burg) : « Il n'est survenu chose nouvelle, fors que le Roy a faict deslouger la Princesse d'une sienne très belle maison où elle estoit, et réside maintenant en une bien mal propice pour le temps; et que plus est, ledict seigneur Roy a baillé la première, ne scay si en donation ou aultre tiltre, au seigneur de Rochefort, frère de la dame, qui desjà y a faict dresser son ménage. »

ravant, celle-ci avait refusé avec une grande énergie d'abandonner à sa sœur nouveau-née Elizabeth son titre de Princesse héritière; la déloger pour faire place à lord Rochford semblait donc un acte de vengeance et un acte bien mesquin. Les événements qui allaient suivre montrèrent que ces apparences n'étaient pas trompeuses et que Henry VIII, dominé par Anne Boleyn, était prêt, en réalité, à exercer toutes sortes de rigueurs contre sa fille aînée pour la forcer de renoncer à ses droits au trône2.

A

A Beaulieu, quoique ayant dû émigrer du château dans une habitation plus modeste, Mary avait conservé son établissement de Princesse. Mais, du moment qu'on voulait la dépouiller de son titre, on ne pouvait lui en laisser les attributs. Un prétexte quelconque se présenta peut-être lord Rochford réclama-t-il le libre usage de toutes les dépendances du château qu'il occupait; bref, il fut décidé que dorénavant Mary n'aurait plus de résidence spéciale, et de Beaulieu, elle fut, au mois de décembre, transférée dans le Hertfordshire, à Hatfield3 qui était la demeure affectée à la princesse Élizabeth. Ainsi Mary se trouvait désormais l'hôte et, par conséquent, la subordonnée de sa sœur; mais ce n'est pas tout tandis que cette dernière était, malgré son bas âge, entourée d'un personnel nombreux, les serviteurs dévonés dont Cathe

1 Mary Tudor à Henry VIII, 2 octobre 1533 (lettre publiée par Heylin, Ecclesia restaurata).

Voir à ce sujet Froude's History of England, chap. vii, et miss Everett Wood's Letters of royal and illustrious ladies, vol. II, no 97. 3 Ce domaine royal existe encore aujourd'hui; donné par Élizabeth au grand trésorier lord Burleigh, il est resté depuis dans la possession de la famille de celui-ci et appartient aujourd'hui au marquis de Salisbury; le château, seulement, a été reconstruit au commencement du xví° siècle.

rine d'Aragon avait composé la maison de sa fille', furent licenciés, et, en leur place, Mary n'eut plus, comme attachée spécialement à son service, qu'une seule gouvernante choisie parmi les ennemis les plus acharnés de sa mère c'était lady Shelton, la propre tante d'Anne Boleyn et de lord Roch

ford 2.

Il va de soi que cette gouvernante ne devait pas être particulièrement tendre pour la jeune fille soumise à sa direction; cependant deux mois ne s'étaient pas écoulés, et déjà les amis de la nouvelle Reine, ne voyant pas se produire la renonciation que l'on voulait arracher à Mary, accusaient hautement lady Shelton d'être trop déférente pour cette dernière. Lord Rochford notamment, d'après les dires de l'Ambassadeur impérial, aurait eu à ce sujet une vive discussion avec sa tante et lui aurait reproché l'« honnesteté et humanité » dont elle usait à l'égard de la «< bastarde ». Telle était l'épithète que, dans l'entourage d'Anne Boleyn, on osait maintenant appliquer à la princesse

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1 Les principaux étaient la comtesse de Salisbury, gouvernante; et lord Hussey, chambellan. Margaret Plantagenet, comtesse de Salisbury in her own right, était fille du duc de Clarence et la dernière représentante directe de la maison d'York; elle avait épousé sir Geoffrey Pole. Lord Hussey était un Lord de création récente.

2 Anne Boleyn, épouse de sir John Shelton, était sœur du comte de Wiltshire.

5 Chapuis à l'Empereur, 21 février 1554 (Archives de la Burg): « Elle (la princesse Mary) est maintenant plus tenue de court, et n'est question de riens faire sans le congié de la seur du père de ladicte Anne de Boullans (lady Shelton) qui a en charge ladicte Princesse, à laquelle gouvernante le duc de Norforch et le frère de ladicte Anne dirent naguyères beaucoup de grosses parolles à cause qu'elle usoit trop d'honnesteté et humanité, à leur semblant, envers ladicte Princesse, laquelle, comme ils disoient, ne devoit estre honnorée ni traictée que comme une bastarde qu'elle estoit. »

Mary, sans que son père pensât à s'en choquer; bien loin de là, un mois plus tard, il donnait raison à l'insolence des Boleyns en faisant voter par le Parlement une loi aux termes de laquelle, son mariage avec Catherine d'Aragon ayant été nul, la fille issue de ce mariage était déclarée illégitime et privée, par conséquent, au profit de sa sœur cadette, de ses droits à la succession royale'.

Par une coïncidence singulière, le jour même où la Chambre des Lords, y compris lord Rochford, votait la déchéance de Mary, un consistoire solennel tenu à Rome par Clément VII décidait que l'union de Henry VIII avec Catherine d'Aragon avait été valablement contractée et qu'il n'existait aucun motif pour la casser. Ainsi tous les efforts déployés par François Ier pour faire sanctionner par le Saint-Siège le second mariage de Henry VIII avaient, en fin de compte, abouti à un échec.

Qu'allait résoudre le roi d'Angleterre, à la réception de cette nouvelle? Ne serait-il pas porté à accuser son << bon frère » de France d'avoir soutenu sa cause avec trop de mollesse? et ne témoignerait-il pas son mécontentement par la rupture de son alliance avec François Ier? C'était une éventualité que celui-ci redoutait grandement; car elle le laisserait seul en présence de l'Empereur, avec lequel les hostilités menaçaient, précisément alors, de recommencer'. Heureusement les circonstances permirent de conjurer tout éclat fâcheux de la part de Henry VIII.

1 L'Act of succession, introduit le 20 mars 1534 à la Chambre des Lords, y fut voté en troisième lecture le 23 (Lords' Journal).

2 A cause de l'assassinat sur le territoire milanais d'un envoyé français, Maraviglia.

Le courrier que l'Ambassadeur de France à Rome1 avait dépêché à son maître, pour lui faire connaître la sentence rendue par le consistoire, avait voyagé avec une célérité telle que ce Prince, après avoir pris le temps de la réflexion, put encore envoyer à Londres un homme de confiance qui réussit à devancer les agents anglais et qui le premier informa Henry VIII de la nouvelle'. Grâce à cette précaution et aux ménagements que sut employer l'envoyé français, le roi d'Angleterre, au moins tout d'abord, ne ressentit pas vivement la condamnation prononcée contre lui en Cour de Rome; il la considérait même comme un événement heureux, à la suite duquel les liens qui naguère encore attachaient l'Angleterre au Saint-Siège demeuraient définitivement rompus. Tout entier à cette pensée, il oublia de demander à l'envoyé français de quelle manière s'était exercée l'intervention du roi de France. Ce ne fut que quelques jours plus tard, après avoir été instruit par ses propres agents de ce qui était passé à Rome, que Henry VIII s'avisa que les efforts actifs dont se targuait son << << bon frère »>, s'étaient en fait réduits à bien peu de chose. Entre tous les Cardinaux français', pas un seul ne s'était

1 Jean du Bellay, dont nous avons eu déjà l'occasion de parler plusieurs fois.

C'était Gilles de la Pommeraye, maître d'hôtel du roi de France, qui avait été déjà Ambassadeur en Angleterre en 1532. Il arriva à Londres le 3 avril 1534, c'est-à-dire onze jours après le prononcé de la sentence à Rome.

La Pommeraye resta fort peu de temps en Angleterre; son passeport pour retourner en France est daté du 7 avril (Letters and Papers, vol. VII, n° 587). Nous n'avons d'autres détails sur sa mission que par Chapuis. (Lettres à l'Empereur des 4 et 12 avril 1534. Archives de la Burg.)

En ne comptant pas Gramont qui mourut le 26 mars 1534, il y avait alors huit cardinaux français, à savoir les cardinaux de Bourbon, de

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