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appris par son Ambassadeur à Londres' que Henry VIII se contentait de l'envoi aux cardinaux de Tournon et de Gramont de la lettre composée à Coucy. Celle-ci, dès que l'assentiment du roi d'Angleterre fut connu, dut être expédiée à sa destination'; et les Cardinaux français, se conformant aux instructions de leur maître, s'efforcèrent d'amener Clément VII à annuler la citation remise à Henry VIII. Ce fut peine inutile; Clément, qui probablement avait appris le second mariage de Henry et qui voyait la campagne entreprise en Angleterre contre l'autorité du Saint-Siège, ne voulait pas se montrer condescendant à l'égard d'un Souverain qui le bravait ouvertement; il resta donc sourd à toutes les instances des Cardinaux français. Ceux-ci n'obtinrent de lui que quelques paroles aimables à l'adresse de François Ier, paroles vagues comme savait en prodiguer le Pontife, et qui ne l'engageaient à rien; les Cardinaux malheureusement eurent le tort d'exagérer la portée de celles-ci et d'en conclure que le Pape s'interdisait tout nouvel acte de procédure contre Henry VIII jusqu'au moment de sa rencontre projetée avec François Ier. Tournon écrivit dans ce sens en France, et ses assurances

1 François Ier à Jean de Dinteville, 28 mars 1533 (dépêche publiée par Nicolas Camusat, Meslanges historiques) : « J'ay esté très ayse d'entendre que le roy d'Angleterre ayt trouvé la lettre que j'avoys faict dresser pour les cardinaux de Tournon et de Gramont, honne. »

2 Il ne s'est pas conservé de trace à notre connaissance de son envoi. Au Record Office existe la copie d'une autre lettre adressée par François Ier au cardinal de Tournon seul et dont le sens est analogue. Cette copie porte la date de mai 1533 sans indication de jour.

Le cardinal de Tournon à François Ier, sans date (Camusat, Meslanges historiques): — « Je pense estre tout asseuré que Nostre Sainct-Père vous complaira touchant la requeste que luy avez faicte en faveur de vostre bon frère et qu'il ne se innovera aucune chose en son affaire qui luy puisse aucunement nuire entre cy et la veue. »

furent aussitôt transmises en Angleterre, et en des termes qui les rendaient plus affirmatives encore. Nous verrons plus loin quelle suite fâcheuse eut ce malentendu.

le

En somme, le petit succès que lord Rochford avait remporté en France n'eut aucun effet pratique Souverain Pontife, qu'on avait voulu intimider, demeurait inébranlable.

CHAPITRE V

Troisième Ambassade de lord Rochford en France

Puisque l'entrevue du Souverain Pontife avec François Ier ne pouvait être empêchée, il était de l'intérêt de Henry VIII de s'y faire représenter, afin de veiller à ce que sa cause ne fût pas perdue de vue par son allié. A cet effet, il choisit dans son entourage quelques seigneurs qu'il croyait agréables au roi de France et qui en même temps étaient des partisans d'Anne Boleyn; ce furent d'abord des parents de celle-ci, son oncle le duc de Norfolk qui fut le chef de la mission, son frère lord Rochford et son cousin sir Francis Bryan', ces deux derniers bien connus de François auprès duquel ils avaient déjà été Ambassadeurs; puis des amis personnels de Henry, sir William Paulet, contrôleur de l'hôtel (comptroller of the household), et sir Anthony Browne'. A ces hauts personnages furent

C'est le poète dont nous avons parlé dans notre introduction; il avait été Ambassadeur ordinaire d'Angleterre en France de 1528 à 1532, sauf pendant le temps de la mission de Rocheford et de Stokesley et de celle de Wellisbourne.

2 Sir William Paulet devint successivement lord Saint-John (1539), lord Président du Conseil (1545), comte de Wiltshire (1550) et marquis de Winchester (1551); il est l'ancêtre direct du marquis de Winchester actuel. Sir Anthony Browne fut nommé grand écuyer (master of the horse) en 1539; il mourut en avril 1548.

adjoints plusieurs docteurs en vue de discussions possibles sur des points de théologie'.

Primitivement l'entrevue devait avoir lieu au commencement de juillet 1533 dans une ville non déterminée du midi de la France, de sorte qu'étant données la lenteur et la difficulté des communications à cette époque, il était nécessaire aux Ambassadeurs de Henry de partir d'Angleterre environ un mois à l'avance; pour bien faire, ils devaient même se mettre en route plus tôt, afin d'avoir le temps de se concerter avec François Ier avant l'arrivée du Saint-Père. Cependant on touchait déjà à la mi-mai et le départ de l'Ambassade anglaise n'était pas signalé. Le roi de France, étonné de cette inaction, chargea son Ambassadeur à Londres d'en connaître la cause3. Ce n'était pas, ainsi qu'on serait porté à le penser, le fait d'un caprice de Henry VIII; le retard provenait du duc de Norfolk qui n'était pas disposé à partir si vite.

Pour expliquer la conduite du Duc, il faut dire que

1 Mémoire pour le faict d'entre le Pape et le roy d'Angleterre auquel le Roy (de France) s'estoit entremis, escript de la main du cardinal du Bellai (Bibliothèque nationale, Fonds Dupuy, 33, fol. 52 et suivants) :— «Ledict Roy (Henry VIII) envoya ceulx qui luy estoyent de plus près d'entencte, alliance, familiarité et crédict, entre les aultres le duc de Norfoch, le frère de sa nouvelle femme, le trésorier, etc., accompagnés des plus scavans personnages de son Royaulme et qui myeulx estoient pour desbattre ses raisons. >>

2 Jean de Dinteville, seigneur de Polizi, bailli de Troyes, maître d'hôtel du Roi; il était Ambassadeur ordinaire en Angleterre depuis l'année précédente.

<< Bien

3 François Ier à Dinteville, 13 mai 1533. (Bibliothèque nationale, Fonds Dupuy, 726, fol. 95.) Le même jour, le grand maître Montmorency écrivait dans le même sens à Dinteville (Fonds Dupuy,547, fol. 236) : vous advise que le Roy espère estre à Lyon dans le XXII ou XXIII de ce mois; par quoy sera bon que Monsieur le duc de Norfort s'en parte pour s'achemyner à s'en venir le plus tost qu'il pourra, comme je vous prye luy dire et faire entendre de ma part. »

l'évidence de la grossesse d'Anne Boleyn venait de contraindre le Roi à avouer au public son mariage avec elle; dès lors, n'ayant plus d'apparences à sauvegarder, Henry avait donné l'ordre à l'archevêque de Canterbury, personnage tout dévoué à sa cause, de prononcer la nullité ab initio de son union avec Catherine d'Aragon, et il avait décidé qu'aussitôt cette sentence rendue1, Anne serait solennellement couronnée Reine. La cérémonie devait avoir lieu le 1er juin; or il était bien certain qu'à cette occasion des charges et des faveurs de toutes sortes allaient être distribuées par le Roi. Le duc de Norfolk, comme oncle d'Anne, était tout désigné pour en avoir sa part; mais il savait que les absents ont toujours tort et préférait ne pas s'éloigner en un pareil moment. Il temporisait donc, éludant de répondre aux instances de l'Ambassadeur de France. Enfin, le 28 mai, il reçut le présent qu'il attendait, le bâton de Maréchal de la noblesse (Earl Marshall); et le jour même il quitta Londres. Le 30 mai, toute l'Ambassade anglaise se trouva réunie à Calais d'où elle se mit en route le 2 juin pour rejoindre François3.

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Justement sur ces entrefaites, le Saint-Père, effrayé par la perspective d'un long voyage à entreprendre au cœur de l'été, demandait à François Ier de renvoyer leur entrevue à l'automne, et le roi de France s'empressait d'accéder au désir du vieillard3. Le duc de Norfolk et ses compagnons furent informés de cette nouvelle, comme ils arrivaient à Amiens; ils s'imagi

1 Elle fut rendue par Cranmer le 23 mai.

2 Chronicle of Calais in the reigns of Henry VII and Henry VIII to the year 1540, edited by John Gough Nichols (Camden Society).

3 Montmorency écrivit le 29 mai 1553 à Dinteville pour l'avertir de ce changement de date. (Bibliothèque nationale, Fonds Dupuy, 726, fol. 97.)

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