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de Bulwer', de Macaulay', de Tennysson, et d'autres encore, qui, grâce à leurs écrits, sont entrés dans la Chambre des Lords; mais tous ces auteurs, abstraction faite de leurs productions, étaient susceptibles d'obtenir la pairie, en raison soit de leur grande fortune, soit de la position sociale qu'ils occupaient, soit encore de leur participation aux choses de la politique. Un écrivain qui n'a que son seul bagage littéraire ne parvient pas à la noblesse, pas plus en Angleterre qu'ailleurs'. Ce qui est vrai, c'est qu'en Angleterre la classe élevée de la société s'occupe ou, pour parler plus exactement, s'occupait jadis de littérature avec une activité qu'ignorait la classe analogue dans les autres pays"; telle est la raison qui a fait compter tant d'écrivains parmi les membres de la Chambre des Lords. Au siècle dernier, Horace Walpole, qui lui-même appartint à cette Chambre, a publié un catalogue des Lords anglais qui avaient été auteurs littéraires; or ce catalogue comprend quatre volumes! Sans doute, Walpole est trop généreux; il pèse peu les titres de ceux qu'il admet dans sa liste, mais il n'y admet que des Lords

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1 Edward Bulwer, romancier et auteur dramatique, créé lord Lytton par la reine Victoria; il est le père du comte de Lytton, actuellement Ambassadeur d'Angleterre à Paris.

2 Macaulay, historien et essayst, créé lord Macaulay par la reine Victoria.

5 Alfred Tennysson, le présent poète lauréat de la Cour d'Angleterre, créé lord Tennysson en 1884.

Ainsi, parmi les romanciers, Bulwer et Baillie- Cochrane (lord Lamington) sont devenus pairs du Royaume, tandis que Dickens et Thackeray restaient simples commoners; de même, chez les poètes, on peut citer Milnes-Monckton (lord Houghton) et Tennysson en regard de Shelley et de Swinburne.

5 La même assertion s'applique dans une certaine mesure à l'Écosse; elle est tout à fait hors de mise pour l'Irlande.

Horace Walpole Earl of Orford's Catalogue of royal and noble authors.

ou tout au moins des gens auxquels la courtoisie accorde ce titre (Lords by courtesy); combien eût-il composé de volumes, s'il avait également énuméré les baronets, les honourables, les chevaliers qui furent aussi auteurs'?

Disons-le en passant, ce goût pour la littérature que témoignait autrefois la haute société anglaise était tout à son éloge, étant donné que chez elle les idées de dérogeance n'ont jamais eu que peu de cours et qu'elle pouvait se livrer à toutes sortes d'autres occupations. Aut xvr° siècle, si l'on ne voyait pas à Londres les grands seigneurs devenir loueurs de voitures et les grandes dames devenir modistes, ainsi que le sont aujourd'hui tels et telles de leurs descendants, on voyait un duc de Norfolk se faire courtier en marchandises'; et certes personne ne songea à le moins considérer à cause de son négoce.

Une des époques où les gentilshommes se sont peutêtre le plus adonnés à la littérature est le règne de Henry VIII. Bien que la noblesse fût alors fort réduite par suite des grands carnages de la guerre des Deux Roses, elle produisit en peu d'années toute une pléiade d'auteurs, lord Berners, lord Rochford, sir Thomas

1 Les temps sont changés : il y a quelques années, le Times a relevé le nom des auteurs qui faisaient alors partie de la Chambre Haute; la liste est bien maigre. (Times, n° du 10 août 1886. The authors in the House of Lords.)

2 Thomas Howard, duc de Norfolk, père de lord Surrey dont nous racontons la vie. En 1524, il trafiquait en Belgique (Archives du Record Office de Londres. Letters and Papers foreign and domestic edited by S. Brewer and J. Gairdner, vol. IV, n° 647); en 1535, dans les îles de l'Archipel, particulièrement à Chio (Richard Hakluyt's The principal navigations, voyages, traffiques and discoveries of the English nation, vol. IV.Another voyage to the isles of Candia and Scio made by Matthew Gonson about the year 1535). Les entreprises commerciales du duc de Norfolk ne détournèrent pas son fils de la poésie.

3 John Bourchier, lord Berners, fils de sir Humphrey Bourchier et d'Élizabeth Tilney. Il traduisit en anglais la chronique de Froissart et les romans d'Arthur et de Hugues de Bordeaux. Il mourut en 1532.

Wyat', sir Francis Bryan', lord Stafford, lord Morley*, lord Vaux, lord Surrey. Horace Walpole en nomme d'autres encore".

1 Sir Thomas Wyat (1503-1542), fils du trésorier de Henry VIII, sir Henry Wyat; il a laissé un volume de poésies encore très estimées de nos jours. Nous reparlerons de sir Thomas Wyat au cours de cette étude. (Vie de lord Surrey.)

2 Sir Francis Bryan, fils de sir Thomas Bryan et de Marguerite Bourchier, et neveu de lord Berners que nous venons de citer. Voici ce que Drayton dit de lui (Of poets and poesy) :

....

Bryan had a share

With the two former (Wyat and Surrey), which accounted are
That time's best makers and the authors were

Of those small poems which the title bear
Of songs and sonets.

Les poésies de Bryan publiées dans le Tottel's Miscellany sans nom d'auteur et pêle-mêle avec celles de lord Rochford, lord Vaux, etc., n'ont pu jusqu'à ce jour être discernées. Sir Francis Bryan mourut en 1548.

3 Henry, lord Stafford, fils d'Edward Stafford, duc de Buckingham : « Vir multarum rerum ac disciplinarum notitiâ ornatus, e latino in anglicum sermonem eleganter vertit: Utriusque potestatis differentiam, unum librum quem Edwardus Foxus, Herefordensis episcopus, edidisse fertur.» (Bale, Scriptorum illustrium Majoris Britanniæ catalogus.) Il fut aussi poète; nous aurons l'occasion de citer une de ses pièces. (Vie de lord Surrey, chap. 1.) Il mourut en 1558.

Henry Parker, lord Morley : « Vir litteris clarus ac generis nobilitate conspicuus, in anglico sermone edidit comœdias et tragoedias, libros plures; Vitas sectariorum, librum unum; rhythmos quoque plures. Claruit senex anno 1540. » (Bale, opere citato.)

5 Thomas, 2o lord Vaux of Harrowden (1510–1557), a écrit des pièces de vers qui se trouvent perdues dans le Tottel's Miscellany, le Mirrour for magistrates et autres recueils contemporains. On a pu établir l'identité de deux ou trois de ses poésies; ainsi il est l'auteur de la chanson que Shakespeare met dans la bouche de son fossoyeur au cinquième acte de Hamlet. Lord Vaux actuel descend du poète par les femmes.

6 Presque tous ces auteurs étaient parents les uns des autres. Ainsi les deux dont nous racontons la vie, lord Rochford et lord Surrey, étaient cousins germains; leur grand'mère commune, la comtesse de Burrey, était par son premier mariage avec sir Humphrey Bourchier la mère de lord Berners et la grand'mère de sir Francis Bryan. En outre, la femme de lord Rochford était la petite-fille de lord Morley; et la mère de lord Surrey était sœur de lord Stafford.

7 A savoir Edward Seymour qui devint successivement lord Beauchamp, comte de Hertford et duc de Somerset; son frère sir Thomas Seymour qui devint lord Seymour of Sudeley; et lord Sheffield.

Ces gentilshommes cultivèrent de préférence la poésie et le genre élégiaque; choix qui s'explique aisément. Vivant sous la domination tyrannique de Henry VIII, forcés de s'astreindre à toutes sortes de dissimulations et de bassesses pour ne pas éveiller les soupçons du maître, ils aimaient à détourner de leur esprit la pensée de la servitude et à tromper par les fictions de leur imagination les tristes réalités du moment. Toujours sous coup de supplices que quelques-uns d'entre eux subirent effectivement, ils ne parlèrent qu'à mots couverts des misères qu'ils avaient sous les yeux; et, au contraire, se créant, à la manière de Pétrarque, des maîtresses plus ou moins imaginaires, ils en célébrèrent les charmes ou en déplorèrent les rigueurs.

le

Entre ces gentilshommes-poètes, nous avons choisi les deux qui brillèrent d'un éclat plus vif à la Cour de Henry VIII et dont la vie peut être considérée comme le type de celle que menèrent tous leurs émules. Le premier de ces deux poètes, lord Rochford, n'a pas jusqu'ici, à notre connaissance, été l'objet d'aucune étude; dire ce qu'il a fait n'est donc pas tout à fait oiseux. La vie du second, d'autre part, quoique contée maintes fois, ne l'a encore jamais été avec exactitude; dans le principe, on a fait de lui un héros fantastique1; et depuis, lorsque la légende édifiée sur son nom a été détruite, les biographes ont travesti son caractère et son rôle, le posant tantôt comme un philosophe en avance sur son siècle et un propagateur de la Réforme en Angleterre, tantôt comme un révolutionnaire rétro

1 Voir notre dernier chapitre sur le comte de Surrey.

2 Voir la biographie que le Dr Nott a mise en tête de son édition des œuvres de Surrey: Works of Henry Howard, Earl of Surrey, edited by F. C. Nott.

grade et un conspirateur désireux de renverser du trône

la dynastie des Tudors pour la remplacer par sa propre famille'. Il nous a paru utile de rétablir les faits et de montrer à l'aide des documents contemporains ce que fut vraiment le comte de Surrey.

Isaac d'Israëli, le père du grand ministre anglais lord Beaconsfield, a écrit ces lignes : « S'il était possible de reconstituer la vie ou, pour mieux dire, l'histoire psychologique de ce poétique comte de Surrey, nous aurions devant les yeux le spectacle vivant d'un génie brillant, de passions élevées et d'un enthousiasme romantique. Malheureusement nous ne connaissons que peu de chose sur le Comte, seulement la part qu'il eut à quelques événements publics. Mais l'empreinte de ses pas montre quelle était sa taille; et quoique ignorant presque tout de lui, nous devinons sa supériorité2. >>

L'ouverture au public des archives des divers pays révélé sur lord Surrey bien des détails ignorés du temps d'Isaac d'Israëli et dont la connaissance permet d'écrire la biographie qu'il souhaitait. Avons-nous réussi à produire le brillant portrait qu'évoquait le critique anglais? le lecteur en jugera.

↑ C'est ainsi qu'il est dépeint par Froude (History of England from the fall of Wolsey to the defeat of the Spanish Armada, vol. IV, passim).

2 Isaac d'Israëli's Amenities of literature (the Earl of Surrey and Thomas Wyat): « Could the life, or what we have of late called the psychological history of this poetic Earl of Surrey be now written, it would assuredly open a vivid display of fine genius, high passions and romantic enthusiasm. Little is known, save a few public events; but the print of the footsteps show their dimension. We trace the excellence, while we know but little of the person. »

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