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CHAPITRE XIV

Arrestation, jugement et supplice de lord Surrey.

Durant toute sa vie, lord Surrey n'avait jamais cessé de se montrer excessivement fier de son origine royale et de s'en targuer en toute occasion. Cette vanité devait contribuer à sa perte.

Le 7 octobre, se trouvant à Kenninghall dans le château paternel, il fit peindre sur un panneau dans son appartement particulier un écusson qu'il s'était composé par la réunion des armoiries des principales familles nobles dont il descendait. Nous n'avons pas la prétention de blasonner ici cet écu qui ne comptait pas moins de douze quartiers1; il suffira de dire qu'il renfermait et les armes d'Angleterre, et celles qu'une tradition évidemment fausse attribuait à Edward le Confesseur2.

Assumer dans son blason des emblèmes qui appartenaient en propre à la famille royale n'était pas une

1 Le dessin de cet écusson se trouve au British Museum (Harleian ms. 1455, fol. 69); il a été reproduit par Henry Howard of Corby. (Indication of memorials of the Howard family.)

2 L'art héraldique n'ayant pris naissance qu'au temps des croisades, Edward le Confesseur n'avait pas pu avoir d'armoiries véritables. Celles qu'on lui prêtait, étaient d'azur à la croix alésée et fleuronnée d'or, accompagnée de cinq merlettes du même posées en orle.

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innovation de la part de Surrey; depuis longtemps, il écartelait les croisettes des Howards des léopards d'Angleterre; et cette prétention parfaitement justifiée, mais que son père le duc de Norfolk évitait, en courtisan avisé, de faire valoir, avait été plusieurs fois remarquée en des occasions assez publiques pour n'être plus ignorée de personne. Ainsi, en 1545, durant l'enquête ouverte à la suite des désordres survenus dans la Cité, désordres que nous avons racontés plus haut1, — un témoin avait déposé que Surrey portait dans son écusson des armes qui ressemblaient fort à celles du Roi; si cette déclaration avait pu donner lieu à un grief quelconque, les magistrats de la Cité n'auraient pas manqué d'en faire usage; mais personne ne trouva alors répréhensible que le Comte se servît de son blason pour affirmer son origine royale3. Depuis, en 1545, entre son retour de Portsmouth et son départ pour Guines, Surrey avait eu à Lambeth avec le roi d'armes (king at arms) de l'Ordre de la Jarretière, un certain Christopher Barker', une longue discussion sur ses droits en matière d'armoiries; Barker avait soutenu qu'aucun particulier ne pouvait prétendre à porter celles du Confesseur; mais Surrey, s'appuyant sur une charte octroyée à son ancêtre Thomas Mowbray duc de Norfolk par le roi Richard II, avait contredit le spécialiste et déclaré qu'il ne modifierait

1 Voir chapitre Ix.

2 Témoignage porté par la landlady de Surrey (Record Office); cette pièce a été transcrite par Mr Froude. (History of England, chap. xx.) 3 Voir chapitre xii.

Ce Christopher Barker fut nommé chevalier du Bain le 20 février 1547 immédiatement après la mort de Surrey, dont il avait facilité la condamnation par ses déclarations.

5 Voir Anstis's Registrum Garterii, vol. I, page 175.

pas son écusson'; certainement le Collège des hérauts d'armes (Heralds' College) avait alors été averti par Barker de cette discussion; et comme il ne fit pas par la suite d'observations au Comte, c'est que celui-ci n'en méritait pas. En somme, on le voit, Surrey ne pouvait s'imaginer commettre un acte tant soit peu délictueux en faisant peindre son écusson sur un panneau; et cet écusson n'aurait jamais été incriminé, si les circonstances n'avaient donné à des ennemis l'idée d'en tirer parti pour perdre le Comte.

Il était devenu évident aux yeux de tous que le Roi se mourait; et comme le prince Edward venait seulement d'achever sa neuvième année, on se demandait ouvertement à la Cour qui serait régent du Royaume durant sa minorité. Lord Surrey ne dissimulait pas son idée que son père comme premier duc d'Angleterre devait de droit être choisi; et il déclara hautainement cette opinion devant un de ses anciens compagnons d'armes, un certain George Blage, qui était loin de la partager". Celui-ci, qui avait em

1 Cette discussion, qui eut lieu le 7 août 1545, est rapportée dans un manuscrit du Heralds' College à Londres (ms. L, fol. 14) et dans un autre du British Museum. (Harleian ms. 297, fol. 256.)

2 Lord Surrey, tout au moins, affirmait durant son procès, qu'il avait pour lui l'opinion du Collège des Hérauts : << The especiallest matter wherewith he was charged, was for bearing certaine armes that were said belonged to the Kinge and Prince; the bearing whereof he justified that, as he tooke it, he might beare them as belonging to his ancestors, and withall affirmed that he had the opinion of the heraults therein. » (John Stow's Chronicle of England.)

5 Il faut rejeter comme un roman sans valeur tout le récit de la Cronica del Rey Enrico de Ingalaterra; le chroniqueur reproduit sans contrôle tous les bruits qui avaient cours dans le monde commerçant de la Cité.

4 Il n'y avait alors que deux ducs en Angleterre, et le second Henry Brandon, duc de Suffolk, n'était pas encore adulte.

5 Blage était un propriétaire terrien du Kent, a man of fair lands, dit Wriothesley. (Chronicle, Camden Society.)

brassé les doctrines luthériennes et qui pour cette cause avait failli tout récemment subir le supplice du feu, ne pouvait pas recevoir d'une oreille indifférente l'annonce que le duc de Norfolk, un des plus acharnés persécuteurs des réformateurs, allait être chargé du pouvoir souverain; aussi riposta-t-il au Comte qu'il espérait bien qu'un tel malheur ne se produirait pas, et là-dessus il s'engagea entre eux une dispute très chaude dans laquelle ils finirent par s'invectiver et se menacer1.

Cette altercation fit quelque bruit, et l'attention publique fut ainsi appelée sur les aspirations politiques de lord Surrey. L'imprudent se mit davantage en évidence, en annonçant sans aucune circonspection tout ce qu'il comptait faire le jour où son père serait le maître du pouvoir il protégerait celui-ci et ruinerait celui-là2.

De pareilles déclarations étaient, on le pense bien, propagées avec une grande rapidité; et comme de raison, tous ceux qui se savaient menacés commencèrent à chercher les moyens de se garantir en réduisant le duc de Norfolk et son fils à l'impuissance. Mais quel grief alléguer pour indisposer le Roi contre ces deux seigneurs? les calommies de lord Grey étaient éventées; en désespoir de cause et le temps pressant, on se rabattit sur les armoiries du Comte3.

1 Ces faits sont rapportés dans la déposition faite par un certain Edward Rogers lors du procès du Comte. (Record Office.)

Déposition de la duchesse de Richmond (Record Office); la plupart des dépositions faites contre le Comte ont été reproduites soit par Mr Froude, soit par l'auteur de l'édition aldine des œuvres du poète.

5 Tous les auteurs du temps s'accordent à dire que Surrey fut victime de la calomnie; on peut voir notamment ce que disent Churchyard (Churchyardes charge, loco citato) et Chaloner (De republicà Angliæ instauranda, livre II.)

Ce fut un ami d'enfance, sir Richard Southwell, qui se chargea de formuler l'accusation'; il alla dénoncer au Conseil Privé l'écusson que le Comte avait fait peindre à Kenninghall et qui constituait, affirmait-il, un véritable acte de conspiration et de lèse-majesté. D'après les dires de Southwell, Surrey avait placé les armes d'Angleterre dans le premier quartier de son écu, ce qui, toujours d'après Southwell, signifiait que le Comte se considérait comme ayant un droit direct à la Couronne; or le fait était faux, Surrey n'avait placé les armes royales qu'au second quartier, et encore il avait eu soin de les différencier en colletant les léopards. Sir Richard voulait voir un autre acte criminel dans l'introduction, dans l'écu en cause, des armes d'Edward le Confesseur; le Comte il est vrai, et sir Richard le reconnaissait avait brisé ces dernières d'un lambel, mais ce lambel était celui du prince Edward, du fils et successeur présomptif du Roi; c'était donc une indication bien nette de l'intention de lord Surrey de se poser en héritier du trône. Pareille accusation nous semble aujourd'hui tout

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1 Dans une ettre datée du 15 octobre 1536 et que nous avons citée au chapitre vi, Surrey nomme Southwell « my friend ». Depuis lors, ils avaient servi ensemble à Boulogne, où Southwell semble avoir été à la tête du service de l'intendance et de la prévôté. (Acts of the Privy Council, 2 et 25 septembre 1545.) Southwell avait été armé chevalier en 1542.

D'après les règles héraldiques, dans un écu écartelé le premier quartier doit être rempli par les armes des agnats; Surrey s'était conformé à cette loi en posant les premières à dextre, les armes des Howards. Mais même s'il avait disposé son blason ainsi que le prétendait Southwell, il n'aurait pas commis un acte sans précédent. Le comte de Wiltshire, en effet, avait porté d'Angleterre au premier quartier. En revanche, on a allégué à tort l'exemple du comte de Hertford; celui-ci portait bien les léopards non différenciés en cette même place, mais ils étaient relégués dans un canton triangulaire posé en chef; cette disposition a été conservée par les descendants de ce Pair, tant dans la branche des ducs de Somerset que dans celle des marquis de Hertford.

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