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gloire », faisait-il dire au Comte par l'innocent lord Thomas, << tu as dominé les flots de la guerre, jusqu'à présent1». A dessein sûrement, Junius avait rejeté à la fin de sa phrase cette locution adverbiale: jusqu'à présent; il voulait laisser à lord Surrey le soin de rétablir la contre-partie sous-entendue mais attendons la fin.

Junius était sagace; le chapitre suivant le montrera.

1 «Bellorum undas mirâ felicitate, maximâ tuâ gloriâ, sustinuisti hactenus. >>

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Surrey était à peine de retour à Boulogne qu'il fut averti par ses espions que le maréchal du Biez avait quitté son camp de Montreuil et s'avançait avec un nombre considérable de troupes pour amener à la garnison d'Outreau, épuisée par la faim, un important convoi de vivres. Aussitôt Surrey résolut d'empêcher ce ravitaillement et, sortant de Boulogne le 7 janvier, il alla se poster, avec six mille hommes environ, à Saint-Étienne, petit village situé sur la rive gauche de la Liane et par où devait passer l'ennemi.

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L'ordre de marche adopté par le maréchal du Biez était le suivant les voitures de vivres, escortées par quelques centaines de cavaliers, tenaient la gauche, suivant le plus près possible le rivage de la mer; elles étaient protégées sur la droite par un corps de quatre mille mercenaires. Surrey, après avoir reconnu ces dispositions, ne laissa pas ses cavaliers attendre à Saint-Étienne l'arrivée des Français; il les lança immédiatement vers la mer, avec l'ordre de se tenir cachés jusqu'au moment où paraîtrait le convoi, et alors de fondre sur lui à francs étriers. Comme

les hommes d'armes qui accompagnaient ce convoi se croyaient bien garantis par les mercenaires qui se trouvaient à leur droite, ils n'étaient pas préparés à une attaque; surpris, ils se débandèrent, abandonnant les voitures de vivres, que les cavaliers anglais commencèrent à défoncer et à brûler.

«Le maréchal du Biez », raconte Montluc, « fit alors acte de vaillant homme »; comme cette surprise fâcheuse paraissait inspirer du découragement à ses fantassins qui déjà étaient parvenus à Saint-Étienne face à face avec l'ennemi, pour leur donner du cœur, « il s'en vint tout seul se jeter devant leur bataillon et descendit de cheval, prenant une picque en la main pour aller au combat'. » Son exemple ranima ses hommes qui, à sa suite, se précipitèrent avec impétuosité contre les Anglais; ce fut un élan de furia francese tel, que ces derniers en furent instantanément saisis de panique, et qu'avant même d'avoir subi le premier choc, ils làchèrent pied et prirent à toutes jambes la fuite vers Boulogne. En vain leurs officiers voulaient les retenir; ils ne furent point entendus et ne purent que se faire tuer sur place'. Emportés par leur effroi, les soldats ne s'arrêtèrent même pas dans les ouvrages extérieurs qui protégeaient Boulogne; ils ne se crurent en sûreté que lorsqu'ils eurent franchi les portes de la ville3. Et pendant cette fuite, nous dit un

1 Montluc ajoute : « Les historiens sont bien desloyaux de taire de si beaux actes; celuy-là feust bien remarquable à ce vieux chevalier. » (Commentaires, livre II.)

2 Seize officiers anglais furent tués durant ce combat.

3 Lord Surrey à Henry VIII, 7 janvier 1546 (Henry VIII State Papers, vol. XI, n° 1299): «So stinted they never for any devise that we could use till they came to the trenches; and being setteled ther, which is such a place as may be kept against all their (the French's) campe,

chroniqueur du temps', « les souldars françois, tant de pied que de cheval, estoient si acharnez sur ces mastins que si ne se pouvoient-ils saouler de les cogner jusques dedans les portes de la ville, et ne s'en faillit guères que lesdictes portes ne fussent forcées et la ville prinse.

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La déroute de l'infanterie ne permettait plus à la cavalerie de continuer le pillage du convoi français; pour ne pas être coupée de Boulogne, elle dut, à son tour, s'enfuir avec une grande rapidité et en faisant un long circuit pour échapper aux arquebusiers du Maréchal. Ainsi elle n'eut pas le temps de détruire toutes les voitures de vivres destinées à Outreau; et plusieurs demeurées intactes purent être introduites dans le fort, où elles furent accueillies avec joie. C'était un rude échec pour les Anglais; l'effet de quatre mois de succès ininterrompus était perdu en un seul jour'.

they forsoke that, and toke the river; whiche gave th'enemye courage to followe them. Assuring Your Majestie that the fury of their flight was such that it boted litell the travail that was taken upon everye straycte to staye them, and so seing it not possible to stoppe them, we suffered them to retire to the towne. >>

1 Guillaume Paradin, Histoire de nostre temps.

2 Hall ne mentionne ce combat que pour dire qu'il y périt seulement trois Français; c'est le fait des « chauvins », vexés d'une défaite, d'en exagérer volontiers la portée. Le récit de Martin du Bellay, tout en donnant des détails utiles, n'est pas non plus exact; il mêle les deux engagements de la cavalerie et de l'infanterie anglaise : « Partant de son camp au-dessus de Montreuil, le mareschal du Biez print le chemin de MontSaint-Estienne, auquel lieu il trouva le millor Sorel accompagné de six mille Anglois... Ledict Mareschal se trouvant en ce hazard, délibéra par l'advis des capitaines de passer oultre et les combattre, encores qu'il fust moindre de nombre de deux mille hommes; car se retirant, il eust perdu son charroy et ses vivres. Ayant conclud le combat, il marcha droict aux ennemis; le combat fut long et furieux; mais enfin les Anglois furent renversez et se retirèrent en ung petit fort, lequel ils ne sccurent garder. Au

Lord Surrey, dans son rapport au Roi, n'essaya pas de pallier sa défaite'; il raconta tous les incidents de la journée, sans réticence, simplement, noblement. Mais l'âme du jeune homme était ulcérée par le sentiment de sa défaite; il n'eut pas la force de réagir contre le découragement qui l'envahissait, et commençant à douter de lui-même, il ne s'acquitta plus qu'avec nonchalance et presque à contre-cœur de ses fonctions de général en chef. A partir du 7 janvier, il évite de hasarder le moindre combat contre les Français'; même il néglige de rendre compte à Henry VIII de la situation de Boulogne.

Ce silence ne pouvait manquer d'étonner en haut lieu; au bout de peu de jours, le Conseil Privé envoya des observations au Comte, qui se résigna alors à reprendre la série de ses rapports. Mais il était facile de voir qu'une profonde modification s'était produite chez le jeune lord; lui qui naguère voulait veiller per

dict combat moururent de sept à huit cents Anglois. Le millor Sorel se sauva avec le reste à la fuitte, et demeurèrent des leurs de sept à huit vingts prisonniers. >>

1 Lord Surrey à Henry VIII, 8 janvier 1546 (loco citato). Au contraire, le secrétaire d'État Paget, en faisant part de l'événement aux Ambassadeurs anglais près de Charles-Quint, chercha à en atténuer la gravité. (Paget à Gardiner et Thirlby, 15 janvier 1541. — Henry VIII State Papers, vol. VI, n° 1303.)

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2 On devait plus tard lui faire un reproche de cette inaction: « On l'accuse d'avoir heu moyen de practiquer le chasteau de Hardelot pendant qu'il estoit à Boullongne, et n'en avoir tenu compte. » (M. de Selve, Ambassadeur de France, à François Ier, le 22 décembre 1546. Correspondance de M. de Selve, publiée par M. Germain Lefèvre-Pontalis.)

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3 La lettre du Conseil se trouve au Record Office; elle porte une date ajoutée postérieurement, celle du 11 décembre 1545, qui est manifestement fausse; car le texte mentionne la mort du capitaine Pollard, qui fut tué dans le combat du 7 janvier 1546; probablement cette lettre fut écrite entre le 20 et le 25 janvier, après celle de sir William Paget à Surrey, en date du 18, que nous citons un peu plus loin.

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