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Henry VIII, averti de cette situation, conçut un vif mécontentement qu'il témoigna ouvertement à un Ambassadeur extraordinaire de François Ier; peu s'en fallut même qu'il n'accusât ce dernier de trahison'. De fait, malgré les assurances de bonne volonté recueillies à la Cour de France, toute la campagne entreprise par Henry dans ce pays paraissait condamnée à un échec certain. Alors lord Rochford George Boleyn avait pris ce titre au mois de décembre quand son père avait été élevé au comté de Wiltshire alors, disons-nous, lord Rochford se révéla. François Ier venait de quitter Paris et voyageait dans l'est de son Royaume; Rochford résolut d'aller le trouver et de réclamer de lui un ordre précis enjoignant aux docteurs de la Sorbonne de se rétracter et d'émettre une nouvelle opinion favorable à Henry VIII. Il était à prévoir que François se montrerait choqué d'une telle exigence se produisant sans préparation; mais peu importait; Rochford serait pressant, impérieux même, et comme, après tout, François avait besoin de l'argent de Henry, il finirait par céder2. Seulement, afin de ne pas perdre ses apparences d'im

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1 Guillaume du Bellay à Montmorency, 27 janvier 1530 (Bibliothèque nationale, Fonds français, 3079, fol. 63): « Je vous asseure que la bonne response qui est venue à ce Roy (Henry VIII) des docteurs et Universités de Italye, luy a faict trouver fort mauvoisque ceulx deParis ayent tenu si peu de compte de luy aider, et ne se povoyt persuader que ce ne fust par faulte que le Roy (François Ier) ou vous, messieurs de son Conseil, ne leur eussiez assez affectueusement recommandé l'affaire. »

2 Stokesley dans une lettre fort intéressante dont nous avons déjà cité un passage (Henry VIII State Papers, vol. VII, no 267), expose au père de lord Rochford le plan de celui-ci : « If my lorde (of Rochford) spede of our desyres, we shall revoque their subscriptions (of the Doctors) and bryng them to our handes, and sett those simple Doctours agayne at their libertie, withoute brute or suspicion of any partialitie on the Frenche Kynges partie; and, if the Kyng and his Counsell denye our requestes, my Lorde your sonne will spent hym somwhat streightlye. »>

partialité, il pourrait se servir d'un intermédiaire pour faire entendre sa volonté aux docteurs; et cet intermédiaire serait le Premier Président du Parlement de Paris, Pierre Lizet, que lord Rochford savait disposé à seconder les idées de Henry VIII. Lizet possédait un puissant moyen d'action sur la Sorbonne; tout récemment, il avait aidé celle-ci à gagner un procès, il lui était aussi facile de la desservir à la prochaine occasion. En outre, l'intervention de Lizet offrait ce grand avantage, que, comme il passait pour partisan de la suprématie du Saint-Siège, elle n'éveillerait aucun soupçon'.

Ayant ainsi arrêté son plan, lord Rochford quitta Paris le 15 janvier et partit sur la route de Bourgogne à la poursuite de François 1er. Nous ignorons en quel endroit il l'atteignit et s'il eut avec lui de vives discussions, toutes les pièces relatives à ces négociations ayant été détruites avec le plus grand soin. Mais, ce qui est hors de doute, c'est que Rochford obtint gain de cause complet; voici, en effet,

1 Stokesley au comte de Wiltshire, 16 janvier 1530 (Henry VIII State Papers, vol. VII) : « Monsieur Lysot maynteigned the Facultie moche late in a certayne debate that they had, and hath many of them at his devotion. He is thowght moche papale and a mervellous greate dissembler; and therfor we doubte how to use hym, but yet we trust by a frend of his, one of our doctours, to knowe his opinion and affection in our matier. And oone of our devises that my Lorde your sonne doth now sollicite, is to have veray effectuall letter to hym as well from the French Kyng as from the admirall his promotour.» (C'était le grand amiral de France, Chabot de Brion, qui, usant de son influence auprès de François Ier, avait fait nommer son ami Lizet Premier Président du Parlement de Paris.) Stokesley à Wiltshire (Ibidem) : «Yestreday the 15th of this month, iny veray especiall Lorde your sonne in goode and prosperous helth and estate took his journey with his honorable trayne towardes the Frenche Kynge now beyng ten leeges beyond Troies in his journey towardes Digion. >>

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DEUX GENTILSHOMMES-POÈTES.

la lettre que le Roi adressa au Président Lizet' :

<«< Monsieur le Président, j'ay amplement esté adverty du mauvais office que ont dernièrement faict Beda et quelques aultres à la congrégation et assemblée des théologiens faicte en ma ville de Paris pour opiner sur le faict du divorce du roy d'Angleterre, mon bon frère et perpétuel allié, chose que j'ay trouvée et trouve si estrange qu'il ne seroit possible de plus. Et pour autant que je désire singulièrement, pour l'obligation que j'ay envers mondict bon frère, de porter et favoriser ses affaires en tous les endroictz que besoing sera comme les miennes propres, sans blesser mon honneur ni ma conscience; à ceste cause, je veulx et vous ordonne que, incontinent ces lettres receues, vous faictes venir devers vous ledict Beda pour luy faire entendre le malcontentement que à bonne et juste cause j'ay de luy, et luy déclarez ouvertement de par moy, en luy monstrant la présente affin que adjouste plus de foy à ce que vous luy direz, que s'il ne rhabille promptement la faulte et erreur qu'il a faicte et commise en ceste matière, je le feray chastier de sorte qu'il congnoistra par effect que luy ne ceulx de sa qualité ne se devront mesler si avant des affaires d'un roy de France. Et s'il vous vient à remonstrer et alléguer qu'il est question d'affaire d'importance et qui touche à la conscience, au moyen de quoy il est besoing d'en avertir nostre Sainct-Père avant que passer plus oultre, vous luy deffendrez de ma part et pareillement à tous aultres que verrez estre besoing, -sur tant qu'ils craignent à me désobéir et desplaire

L'original de cette lettre a dù ètre détruit; mais une copie en fut envoyée à Henry VIII et se trouve aujourd'hui au Record Office. (Lellers and Papers, vol. V, no 6459.)

et d'estre pugniz de sorte que ce sera exemple à tous aultres, qu'ilz n'ayent non seulement à envoyer devers notredict Sainct-Père pour cest effect, mais de tenir plus aucun propoz de ce faire d'aultant que ce seroit totallement contre les droictz, privillèges et auctoritez de mon royaume, lesquelz pour riens je ne vouldroys souffrir ne laisser aucunement diminuer, actendu mesmement que si je venoys par cy après à avoir la guerre avec mondict Sainct-Père ou ses successeurs (que Dieu ne vueille!), il n'y a chose en mondict royaume de quoy je me voulsisse myeulx deffendre, en vertu de sesdicts privilèges, que du concille gallican de la Faculté de théologie. Et que, au demeurant, sans plus de dillation, luy (Beda) et ses compagnons ayent à opiner sur tous les poinctz et articles que leur ont esté ou seront baillez par les Ambassadeurs de mondict bon frère et à mectre par escript leurs dictes oppinions pour les m'envoyer affin de les bailler après à qui bon me semblera1».

En même temps que cette lettre, lord Rochford arracha encore au Roi la promesse que Beda serait expulsé de France, s'il persistait à mettre obstacle à l'accomplissement des désirs de Henry VIII'. C'était,

1 La pièce conservée au Record Office porte la date du 17 juin 1550; mais cette date doit être celle à laquelle la copie fut envoyée de France à Henry VIII, et non celle à laquelle la lettre originale fut écrite. « Les Am bassadeurs » anglais mentionnés par François Ier sont évidemment Rochford et Stokesley, puisque, après la cessation de leur mission, Henry VIII ne fut plus représenté en France que par un seul Ambassadeur à la fois; or, on va le voir, Stokesley quitta la France en février et Rochford en mars. * Ceci ressort d'une lettre écrite trois ans plus tard, le 27 janvier 1535, par le duc de Norfolk au grand maître Montmorency (Bibliothèque nationale, Fonds français, 5040, fol. 4): «Dadvantage je m'esbahis grandement comme Beda, exprès calomniateur de la matière du Roy mon maistre, et veu que le Roy vostre maistre avoit promys à Monsieur de

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on le voit, pour le jeune Ambassadeur un succès complet, et il l'avait remporté en un très court espace de temps; dès avant le 5 février il était rentré à Paris, car il put audit jour se rendre à Saint-Denis au-devant de son père le comte de Wiltshire qui traversait la France pour aller en Italie représenter Henry VIII à une entrevue que le pape Clément VII était sur le point. d'avoir à Bologne avec l'empereur Charles-Quint'.

Revenu à Paris, lord Rochford commença à appeler de ses vœux le moment où il pourrait retourner en Angleterre; aussi bien la besogne qui lui incombait dorénavant était ingrate et peu faite pour lui. Il fallait, tout comme si rien n'eût été convenu avec François Ier, continuer la discussion avec la Sorbonne, afin que la consultation que celle-ci allait être forcée de donner pût paraître le résultat de la persuasion. Or Rochford devait soutenir seul cette discussion; son collègue Stokesley, en effet, venait d'être détaché de lui et partait pour l'Italie à la suite du comte de Wiltshire'. Nécessairement le jeune Lord, peu versé dans le droit canon, faisait triste figure dans ses entretiens avec les

Rochford que, encore qu'il n'y eust eu aultre cause sinon que iceluy Beda estoit ennemy de la juste matière, non seullement il le vouldroit banyr de Paris, mais aussy de tout son royaume, - a esté si souldainement rappellé; qui est chose fort loing de l'expectation de mondict maistre et de son conseil. >>

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1 Neufville à Montmorency, 6 février 1550 (Bibliothèque nationale, Fonds français, 2976, fol. 80): « Hier arriva en ceste ville (Paris) Monsieur le comte de Vuichir. Monsieur Boullan (lord Rochford), Monsieur de Castres et moy bien accompaignez allasmes au-devant jusques à la chappelle du Lendit. »

Dès le 21 janvier 1550, l'envoi de Stokesley en Italie était chose décidée. (Rymer's Fœdera, vol. XIV, die dicto.) Seulement il ne partit de Paris qu'au commencement de février; le 15 de ce mois il était encore à la Charité-sur-Loire. (Ghinucci à Croke, 1er mars 1530.— British Museum, Cotton ms. Vitellius, B. VIII, fol. 46.)

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