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Cette exigence imprévue et les accès de colère qui, sans aucun doute, transportèrent alors la Duchesse, amenèrent une révolte dans le personnel du château; le Duc prévenu, peut-être par son fils, accourut en hâte, et à son arrivée il donna raison à ses serviteurs contre sa femme. Les scènes de violence dont, à en croire ses lettres, la Duchesse aurait été victime à ce moment de la part de ses domestiques, ne se sont très probablement jamais passées que dans son imagination', ou tout au moins, s'il y a dans ses récits une part de vérité, elle est assez restreinte. Quoi qu'il en soit, le fait certain est que, le 25 mars 15545, la Duchesse fut chassée de Kenninghall par son mari et que reléguée par lui à Redbourn, dans le Hertfordshire, elle Ꭹ vécut dorénavant loin des siens avec une modeste pension.

Le comte de Surrey et sa sœur la duchesse de Richmond, présents à ces tristes incidents, prirent tous deux le parti de leur père et res

La duchesse à lord Cromwell, 24 octobre 1537) (loco citato) << They bound me and pynnaculled me and satt on my brest tyll I spitt blod, which I have ben worse for ever syns; and all for speking against the woman in the Courte, Bess Holand. Therefore he put me out at the doors and kepys the bawd and the harlots styll in his house. » La même au même, 26 juin 1538: «He sett hys women to bynde me, tyll blod came out att my fingars endes, and (they) pynnacullyt me and satt on my brest tyll I spett blod and he never ponyshed them, and all thys was done for Besse Holond's sake. »

Il ne serait pas impossible, après tout, qu'on ait lié la Duchesse pour l'empêcher de tout briser.

5 Dans ses premières lettres, la Duchesse précise le jour : « I have ben fro my Lord my husband, come the tuesday in the Passion weche, ш yeres. » (30 décembre 1536.) — « Yt ys IV yeres come the tewesday in the Passyon weke, that he came rydyng all nyght and lockyt me up in a chamber and toke away all my joells and all my apparel. » (24 octobre 1557.) Dans ses lettres postérieures la Duchesse, parlant d'une manière moins définie, indique Pâques comme la date de la séparation.

tèrent avec lui à Kenninghall après le départ de la duchesse de Norfolk; faut-il les en blâmer? Il semble que non, puisque leur mère, quoique réellement à plaindre, put à peine trouver quelque sympathie dans sa propre famille, chez les Staffords'. Mais, incapable de se rendre compte de l'alternative où s'étaient trouvés son fils aîné et sa fille, elle les condamna sans ménagement pour ne l'avoir pas soutenue contre son mari et les traita d'enfants ingrats et dénaturés.

Plus tard, les reproches que la Duchesse formula contre lord Surrey furent malheureusement mieux fondés. La mort de Jane Seymour au mois d'octobre 1557 avait amené la dissolution de la maison de la Reine; libre désormais de ses fonctions de cour, Élizabeth Holland vint alors habiter Kenninghall sous couleur de servir de dame de compagnie à la duchesse de Richmond devenue récemment veuve en réalité elle venait pour être la

1 Nous avons déjà cité Henry Stafford comme blâmant sa sœur. La comtesse de Huntingdon, tante de la Duchesse, lui fit aussi des remon— trances (voir la lettre de la duchesse du 30 décembre 1536, loco citato). Seul le comte de Westmoreland, l'ancien fiancé de la Duchesse, semble avoir pris son parti contre son mari. (La Duchesse au comte de Westmoreland, 11 avril 1541, lettre publiée par miss Ev. Wood, Letters of royal and illustrious ladies, vol. III, no 74.)

La Duchesse dans ses lettres ne parle pas une fois nommément de son second fils lord Thomas Howard; celui-ci devait avoir quitté la maison paternelle au moment de son mariage et, riche par sa femme, il eut toujours une existence indépendante de son père.

3 La Duchesse à Cromwell, 30 décembre 1556 : << I was bourne in an unhappy howr to be matched with such a ungracius husband and so ungracious a sonne and a doughter. » - Au même, 29 janvier 1540 :

« There was never woman, that bare so ungracyus a eldyst sonne or so ungracyus a dawter and unnaturall as I have done. >>

Jusqu'à la fin de l'année 1557, la Duchesse désigne miss Holland comme « the woman in the Courte ».

5 Ceci ressort de la lettre de la duchesse de Norfolk en date du

maîtresse incontestée du château; elle y resta neuf ans de suite, jusqu'à la disgrâce du duc de Norfolk et pendant tout ce temps elle fut entretenue par lui dans un luxe qui faisait un contraste choquant. avec la pénurie où languissaient Surrey et sa sœur'. La Duchesse, bien instruite de ce qui se passait à Kenninghall, accusa alors son fils et sa fille d'encourager par leur attitude complaisante l'inconduite de leur père'. Il faut, hélas! reconnaître qu'aucun doute n'était possible sur le motif de la présence de miss Holland; pourtant, durant les neuf années qu'elle occupa la place de la duchesse de Norfolk, Surrey séjourna souvent à Kenninghall et il y fit résider d'une manière presque constante sa femme et ses enfants. Pressé de dettes, il était sans cesse obligé de recourir à la bourse de son père; et pour ne pas se voir refuser les subsides dont il avait besoin, il préféra tolérer le scandale en silence. La seule chose que l'on puisse dire à sa décharge

26 juin 1558 « Bysyde that, my dogter off Richemonde, and Besse Holand ys commen up wyth hyr. »

1 Rapport des commissaires envoyés à Kenninghall pour y faire une perquisition judiciaire en décembre 1546. (Henry VIII State Papers, vol. I, partie II, n° 264.)

2 La duchesse de Norfolk à lord Cromwell, 26 juin 1538 : << He (the Duke) hepys hyr (miss Holland) in hys house, and hys childer mayntane the matter. »

Le précepteur des enfants de lord Surrey rendait compte, en ces termes, le 2 janvier 1546, de la vie qu'il menait à Kenninghall: « Summo fastidio secessus iste me afficit, ubi nimirum nihil in bonos mores, nihil in exemplum trahi potest; ubi ambitio et fucosa amicitia omnem integritati vitam intercludit; adempta cum sincero amico conferendi occasio, dubia et suspecta omnia, nulla de litteris mentio, illiteratæ fabulæ, insolentium juvenum procaces et præcipites ausus (loquor de istius alba gallinæ filiis), præsente isthic Duce, cuncta seorsum deorsumque agunt; absente illo, rursus injucunda et tristis propemodum solitudo nos obsidet; ita utrinque anceps est malum, illic contagione turpitudinis permoveor, hic ab atræ bilis incursu non leve periculum est. >>

DEUX GENTILSHOMMES-POÈTES.

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sur ce triste chapitre, c'est que jamais, même dans ses moments de plus grande gêne, il ne voulut être redevable de quoi que ce fût à miss Holland'.

Lord Surrey revit-il sa mère? Nous ne le croyons pas; la Duchesse n'aurait pas admis un partage d'affection entre elle et le Duc, et Surrey, nous le savons, ne pouvait rompre avec son père. A coup sûr, quoiqu'elle protestât d'avoir gardé pour ses enfants des sentiments très tendres, la Duchesse dut avoir de la peine à se départir de la colère qu'elle avait conçue contre son fils; et si elle désarma, ce fut seulement devant la mort. Dans son testament écrit après le supplice de Surrey, elle institua comme légataires deux des cinq enfants laissés par celui-ci; faut-il voir dans ces legs la preuve qu'elle avait pardonné1?

1 Dans l'automne de 1545, Surrey, en quête d'expédients, avait consulté Thomas Hussey, le secrétaire de son père; celui-ci qui connaissait les sentiments du Comte, lui répondit : « My Lorde (the duke of Norfolk) is so straight girt that there wilbe gottyne nothing of hym, except it be by M's Holland, whome I think ye wil not trowble.» (Th. Hussey à lord Surrey, 6 novembre 1545.

Record Office, State Papers

BB 135

2 Ainsi dans sa lettre du 10 novembre 1537, elle dit : « Thogh my chyldren are unnatural to me, I have allways love unto them. »>

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A savoir le fils aîné et la seconde fille. (Wills of eminent persons proved in the Prerogative Court of Canterbury, edited by the Camden Society.)

4 La duchesse de Norfolk mourut en 1558, onze ans après son fils.

CHAPITRE VI

Malheurs qui frappent la famille Howard.

Rôle du comte de Surrey dans le Pèlerinage de Grâce.

L'année 1555 amenait la fin du délai de cinq ans qui avait été fixé par le duc de Norfolk et le comte d'Oxford comme devant s'écouler avant la réunion de Surrey avec sa femme. La vie conjugale commença donc alors pour ces derniers, et quoiqu'ils se fussent installés à Kenninghall chez le duc de Norfolk de manière à s'éviter les dépenses d'un établissement particulier, ils eurent vite épuisé les ressources de leurs revenus et furent obligés de recourir à des emprunts. Dès le mois de juin 1555, à un moment où le duc de Norfolk absent d'Angleterre ne pouvait assister son fils, nous voyons celui-ci s'adresser à deux reprises au prieur de l'abbaye voisine de Bury Saint-Edmund et lui demander d'abord trente livres, puis vingt. Ce

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1 Le Duc avait été envoyé à Calais pour négocier un mariage entre la princesse Élizabeth et le duc d'Angoulême. Les pourpariers, il est vrai, avaient été rompus le 14 juin; néanmoins à la date du 26 le Duc n'était pas encore de retour à Londres. Voir à ce sujet la vie de lord Rochford, chapitre vin.

2 Le comte de Surrey au prieur de Bury Saint-Edmund, lettre datée de Kenninghall le 29 juin 1555 (British Museum, Addit. ms. 24495, fol. 234):

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