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CHAPITRE V

Mésintelligence entre le duc et la duchesse de Norfolk.
Conduite de lord Surrey envers sa mère.

Durant le temps que lord Surrey avait passé hors de sa famille, à Windsor d'abord, puis en France, il s'était produit entre ses parents des démêlés graves qui avaient amené avaient amené plusieurs esclandres. Nous avons dit que le duc et la duchesse de Norfolk n'avaient jamais formé un ménage bien uni; toutefois dans les premières années du mariage les rapports entre les époux avaient été convenables'; les absences fréquentes du Duc l'aidaient, en effet, à supporter l'humeur difficile de sa femme.

Nous ne croyons pas aux scènes de brutalité dont la Duchesse prétendit plus tard avoir été victime de la part de son mari en 1520 lorsqu'elle venait d'accoucher de sa dernière fille. She hath untrewly

slandered me in writing and saying that, when she had ben in chyld-bed of my doghter of Richmond II nyghts and a day, I shuld draw her out of her bed by the here of the hed about the house and with my dager geve her a wonde in the hed. » (Le duc de Norfolk à lord Cromwell, en 1537. British Museum, Cotton ms. Titus B. I, fol. 585.) La Duchesse prenait volontiers ses imaginations pour la réalité; d'ailleurs, le Duc était trop avisé pour être brutal sans motif. Il explique en ces termes la cicatrice qu'avait sa femme « She had the scar in her hed XV moneths before she was delyverd of my seid doghter, and the same was cutt by a surgeon of London for a swellyng she had in her hed of drawyng of II teth. »

La situation devint plus délicate quand il fut appelé à prendre part à l'administration intérieure du Royaume; à partir de 1525, il dut presque continuellement vivre à proximité de la Duchesse, et la diversité de leurs caractères fit dès lors prévoir une scission.

Jusque vers le milieu de l'année 1530, grâce à la souplesse du Duc, les apparences furent sauves; à cette époque, un triste événement de famille amena un éclat. La comtesse de Derby, seconde fille du Duc et de la Duchesse, était morte au mois de mars de ladite année'; vite l'époux veuf il n'avait été marié qu'un an s'occupa de convoler en secondes noces; ce que voyant, son beau-père, qui ne désirait pas perdre l'alliance d'un grand seigneur aussi riche et influent, songea à lui donner sa dernière fille, lady Mary Howard. La Duchesse, de son côté, était favorable à ce projet. Mais Anne Boleyn, nous l'avons dit, avait d'autres visées pour lady Mary; elle la réservait au bâtard de son royal amant, au duc de Richmond. Elle fit entendre sa volonté au duc de Norfolk, et celui-ci, qui ne voulait pas mécontenter a favorite,

1 Chapuis à l'Empereur, 16 mars 1550 (Vienne, Archives de la Burg, Rep. P., fasc. c. 226, no 20) : « Sa fille aysnée (lady Mounteagle était déjà morte), femme du seigneur Dalby, mourut hier de la peste en une mayson de son mary près d'icy; que luy sera (au duc de Norfolk) l'ung des plus grans regrectz que luy sceust advenyr. » Edward Stanley, 3 comte de Derby, avait succédé à son père en 1522; il est l'ancètre direct du comte de Derby actuel et de lord Stanley of Preston.

D'après Chapuis (lettre à l'Empereur du 9 décembre 1529), lord Derby était le plus grand seigneur plus puyssant de pays et de gens qu'il y eust dans tout le royaulme ».

5 Lady Mary Howard n'était pas encore nubile; elle devait être née à la fin de 1519 ou au commencement de 1520.

s'empressa de renoncer à sa première idée; au lieu de sa fille, il proposa à lord Derby, qui accepta la substitution, sa sœur lady Dorothy Howard'. Ce dénouement n'était pas pour plaire à la duchesse de Norfolk; elle avait travaillé de toutes ses forces à l'empêcher; vaincue, elle conçut un violent dépit, et comme elle ne savait pas garder pour elle seule ses sentiments, elle se soulagea en disant à Anne « de très grosses parolles, dont elle fust en dangier de vuyder la Court ». Le Duc, cela va de soi, eut aussi sa part des invectives auxquelles se laissa emporter sa femme; mais pour l'émouvoir, il fallait plus que des paroles; la Duchesse eut le tort d'en venir aux actes et à des actes qui auraient gravement compromis son mari, si celui-ci n'avait pris le soin de les condamner manifeste

ment.

La Duchesse jusqu'alors avait été fort hostile à Catherine d'Aragon; elle en voulait à cette malheureuse Reine de lui avoir strictement appliqué les règles de la préséance anglaise et d'avoir déclaré que dans toutes les fêtes de Cour elle devait céder le pas à sa belle-mère la Duchesse douairière de

1 Elle n'était que la sœur consanguine du Duc; elle était née du second mariage du premier Duc avec Agnès Tilney.

2 Chapuis à l'Empereur. 15 octobre 1530 (Vienne, Archives de la Burg, Rep. P, fasc. c. 226, no 42) : « Le duc de Norphocq a prié le Nonce luy faire avoer une dispensation pour donner à famme une sienne seur au comte Dalbi qu'a eu eppouse sa fille. Et n'a garde ledict Duc de laisser couller telle alliance; car il n'y en a point en ce Royaume dont il se puisse mieux fortiffier. Et croyent plusieurs que, quant il n'eust eu seur pour luy baillier à famme, qu'il luy eust baillié son autre fille qu'est promise au duc de Richmont. Et dit-lon que la duchesse de Norphoc en vouloit ainsy à toute force; et pour ce que dane Anne tenant pour ledict duc de Richemont y contrarioit ladicte duchesse, luy dit de très grosses parolles dont elle fust en dangier de vuyder la Court. »

Norfolk. L'esprit étroit de la jeune femme avail pris cette décision pour une injure grave; elle, fille de Duc, s'effacer devant la fille d'un simple chevalier! Et elle n'avait pas cessé, par la suite, de se montrer très acrimonieuse à l'égard de la Reine'. Après son altercation avec Anne, elle oublia tout d'un coup sa rancune, et sans transition, elle adressa à Catherine de bruyantes protestations de dévoûment'. Dans l'exubérance de sa passion, elle s'exprimait si hautement et si outrageusement sur le compte de la favorite qu'à la fin, au mois de mai 1551, elle fut tout de bon bannie de la Cour. Certainement le duc de Norfolk approuva cette mesure; on peut même supposer qu'il en fut l'instigateur; car étant, par raison d'intérêt, partisan d'Anne, il ne voulait pas s'exposer à lui devenir suspect en laissant la Duchesse embrasser impunément la cause de Catherine d'Aragon. Un autre motif le poussait aussi à désirer l'éloignement de sa femme; fatigué du caractère acariâtre de celle-ci, il avait trouvé un délassement auprès

Chapuis à l'Empereur, 15 décembre 1529 (Vienne, Archives de la Burg. Rep. P, fasc. c. 257, n° 50) : «Il (le duc de Norfolk) pense qu'elle (la reine Catherine) luy veuille mal à cause de quelques grosses parolles que luy et sa famme dirent à ladicte Royne pour ce qu'elle ne voulsist jamais permestre que la famme dudict Duc marchast devant sa belle-mère. De quoy ils se sentent fort injuriés et aggravés, spéciallement la famme qui tient de condition et de race l'ancienneté. »

2 Le même au même, 31 janvier 1531 (Ibidem, Rep. P, fasc. c. 227, n° 7) : << Hyer la duchesse de Norphoc envoya dire à la Royne que ceulx de la partie adverse la praticquoient pour la convertir en leur partie, mays que quant tout le monde s'y mettroit, qu'elle seroit tousjours de son cousté; et davantage avertisssoit ladicte Royne qu'elle print bon cueur. »

3 Le même au même, 14 mai 1531 (Ibidem, Rep. P, fasc. c. 227, n° 23): « A l'appetit aussi de ladicte dame (Anne Boleyn) la duchesse de Norphoc a esté envoyée en sa mayson, pour ce qu'elle parloit tropt libérallement et se desclayroit plus qu'ils ne voulloien pour la Royne. »

d'une certaine Élizabeth Holland qui n'était autre que la gouvernante de ses filles', et comme les marques d'attachement qu'il prodiguait à cette dernière avaient bientôt révélé la nature de leur liaison2, la Duchesse, blessée dans sa dignité d'épouse, ne cessait plus de le quereller et de faire un esclandre fâcheux.

Le Duc avait espéré que dans la solitude, n'ayant plus devant les yeux ni Anne Boleyn ni Élizabeth Holland, sa femme se calmerait; il n'en fut rien. A la campagne de même qu'à la ville, elle continua à se poser, aussi bruyamment qu'elle le pouvait, en épouse outragée et à faire à tout venant le récit très exagéré des torts de son mari. Il est peu probable que le mariage de lord Surrey, qui se célébra sur ces entrefaites, ait amené la Duchesse à faire trêve; une union imposée par Anne Boleyn ne pouvait lui agréer; elle dut donc s'abstenir de paraître à la cérémonie et même d'envoyer à son fils le moindre compliment affectueux. La fin du délai pendant lequel il lui était enjoint de rester à la campagne ne fut pas davantage pour la

1 A en croire la Duchesse (lettre à lord Cromwell, 30 décembre 1536, British Museum, Cotton ms, Titus B. I, fol. 334), Élizabeth Holland n'aurait été qu'une simple bonne d'enfants, faisant la lessive et les gros ouvrages dans le nursery : « She was butt washer of my nursery VIII yeres. »Dans une autre lettre (à lord Cromwell, 26 juin 1538, Ibidem, fol. 383), la Duchesse se contente de dire qu'Elizabeth Holland était de sang roturier: « Sche ys but a churles dogter and off no gentyll blod, but that my lorde my husbande hath sett hym (her father) up for hyr sake. » Élizabeth Holland était parente de lord Hussey; mais celui-ci était un Lord de création toute récente, que la duchesse de Norfolk considérait comme un intrus dans la noblesse.

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D'après la Duchesse (lettre à lord Cromwell, 26 juin 1538, loco citato), cette liaison aurait pris naissance dès l'année 1527 : « Ytt ys a XI vere sins my lorde my husbande fell in love wyth hyr. »

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