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« Je

ment une aussi haute fortune pour son fils; mais Chapuis, qui ne doutait jamais du succès de ses combinaisons, saurait bien décider le Duc : lui ferai », disait-il dans son langage pittoresque, << engorger le mariage de la Princesse1. >> L'Empereur répondit-il à la suggestion de son Ambassadeur? S'il le fit, il perdit sa peine car tout d'un coup, peut-être parce qu'elle fut informée des conceptions de Chapuis, Anne changea ses batteries; au lieu de pousser encore au mariage de lord Surrey avec Mary, elle exigea que celui-ci épousât le plus tôt possible une autre femme. Le duc de Norfolk se plia à cette exigence de sa nièce, et dès le mois d'octobre 1530 il avait arrangé une union entre son fils et lady Frances de Vere, fille du comte d'Oxford, Grand Chambellan héréditaire. Certes la famille de Vere, une des plus anciennes du Royaume, était riche et puissante; pourtant n'eût été Anne Boleyn qui lui désignait impérieusement lady Frances, jamais le

1 Chapuis à l'Empereur, 13 décembre 1529 (Vienne, Archives de la Burg, Rep, P, fasc. c. 227 n° 50): « Aussy me sembloit-il que pour gaigner le duc de Norphoc (à la cause de Catherine d'Aragon), il seroit bon et propice que de moy-mesmes je lui feisse engorger le mariaige de la Princesse pour son filz; de quoy pourrès prendre occasion sur le bruyt qui en court communément par icy, et lui pourrès remonstrer les commodités qu'il en auroit plustost d'un cousté que d'autre, qui sont assez évidentes. »

2 Ce dont nous doutons; voir au chapitre Iv ce qu'il répondit à son Ambassadeur à Rome à l'occasion d'une suggestion semblable.

3 John de Vere, 15° comte d'Oxford, avait succédé à son cousin en 1526. Voici ce que disait de lui en 1531 l'Ambassadeur Vénitien Lodovico Falieri (Alberi, Relazioni degli Ambasciatori Veniti, serie prima) : «Seguita il Gran Ciamberlano, che è l'illustrissimo conte de Voofiort, capitano dell'isola (nous ne savons quelle charge Falieri indique par ces mots), uomo valoroso e di autorità, con entrata di ducati venticinque mila, solito sempre di cavalcare con dugento cavalli. »

DEUX GENTILSHOMMES-POÈTES.

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duc de Norfolk n'aurait accepté cette dernière comme bru. I nourrissait en effet des sentiments un peu amers contre le comte d'Oxford, avec lequel il avait eu jadis des difficultés assez graves'; il le savait avide et intéressé et ne pouvait s'empêcher de craindre que la dot promise par un tel homme ne fût pas régulièrement payée. En outre, lady Frances n'avait aucune intelligence'; elle était timide, nonchalante, et en somme ne répondait nullement aux aspirations du duc de Norfolk qui désirait que ses belles-filles aidassent leurs maris dans la vie. Aussi déclarait-il tout haut << qu'en d'autres circonstances il n'eût point donné pour femme à son fils lady Frances de Vere, même si elle avait eu en dot trente mille écus de plus ».

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Mais devant la volonté d'Anne il fallait s'incliner; avant un mois, on eut donc conclu des fiançailles et le mariage se célébra aussitôt que les quatorze ans du fiancé furent accomplis.

D'après les termes du contrat de mariage dressé le 15 février 1552', la dot de lady Frances était de

1 Au sujet du règlement de la situation de lady Anne Howard, sœur du duc de Norfolk et veuve du 14 comte d'Oxford, voir miss Everet Wood's Letters of royal and illustrious ladies vol. II, lettres 5 et 6.

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2 Plus tard le précepteur de ses enfants la traitait irrévérencieusement de « dinde» (alba gallina). Voir la lettre adressée par Junius Hadrianus au marquis de Dorset le 2 janvier 1546 (Junii Hadriani epistolæ. —— Marchioni Anglo) et dans laquelle il décrit l'ennui qu'il éprouve à Kenning

hall.

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3 Chapuis à l'Empereur, 51 octobre 1530 (Vienne, Archives de la Burg. Rep. P. fasc. c. 226, no 44) : « Ledict Duc me dit aussy que pour esviter la suspicion du monde qui pense qu'il tasche à la Princesse pour son filz, qu'il le marriera (fiancera) avant ung moys à femme que sans ladicte occasion et considération ne luy eust voulu donner pour XXX" escus davantage qu'elle n'a. »

4 L'original de l'acte est à Londres, à Norfolk House.

quatre mille marcs (plus de 2500 livres), somme fort considérable pour l'époque et qui notamment dépassait de beaucoup le chiffre de l'apport fait naguère par la duchesse de Norfolk à son mari; mais il faut remarquer que le comte d'Oxford stipulait de longs termes pour le payement de cette dot, ce qui laissait des doutes sur sa réalité. De son côté, le duc de Norfolk donnait à son fils quelques manoirs dont le revenu fut évalué à trois cents livres et qui furent affectés au douaire de la future épouse pour le cas de prédécès du mari'.

Entre ces stipulations, celles qui avaient trait à des biens fonciers furent incontinent soumises au Parlement, nous ne savons pas exactement pour quel motif; bientôt approuvées par lui3, elles reçurent sans retard l'assentiment du Roi'. En l'espace d'un mois, toutes ces formalités furent remplies, et le mariage se célébra aussitôt après. Nous ne

1 L'usufruit seul de ces biens fut, selon l'usage d'alors, donné aux époux, qui, par suite, ne pouvaient aliéner; la nue propriété restait entre les mains de dix-sept fideicommissaires énumérés dans le contrat de mariage. Cette disposition devint caduque en 1535 par suite de la promulgation d'une loi nouvelle sur les usufruits (de usibus); ‹n vertu de cette loi, la propriété fiduciaire fut abolie et les usufruitiers acquirent ipso facto la pleine propriété (Statute Book, 27 Henry VIII, c. 10).

D'après l'inventaire dressé en 1524 à la mort du premier duc de Norfolk, les manoirs donnés à Surrey devaient rapporter davantage. 5 Statute Book, 23 Henry VIII, c. 29.

Lords' Journal, anno 23tio Henrici VIII.

5 Le 16 avril 1532, dans une lettre à l'Empereur (Archives de la Burg. Rep. P, fasc. c. 227, n° 16), Chapuis parle du mariage comme d'une chose déjà ancienne : « J'ay cy devant escript à Vostre Majesté comme le duc de Norphoc m'avoit plusieurs foys dit qu'il vouloit bientost marier son filz pour oster la sospicion du monde qu'il ne voulsist tascher à la Princesse. Il a ces jours comply la promesse; et fault bien qu'il ayt ce fait pour ladicte ou autre urgente cause; car le filz ne sera encoures habile à marriage de troys ans et la fille n'est de grands biens ne grands

savons où il eut lieu; mais il est certain qu'après la cérémonie Surrey retourna immédiatement Windsor, car il avait été convenu entre les deux pères que les époux ne se réuniraient pour mener la vie commune qu'au bout de trois années. C'est grâce à cette disposition que Surrey, resté le compagnon du duc de Richmond, fut mêlé aux événements qui allaient se dérouler en France.

alliance. Lon m'a donné à entendre que la dame Anne a esté celle qui a sollicité et contraint le dict Duc à ce fère, doubtant qu'il ne taschast à ladicte Princesse et par ce moyen et du crédit qu'il a desjà qu'il ne la déchaussast. » Se laissant aller à son penchant, Chapuis, on le voit, empire la situation de lady Frances.

CHAPITRE IV

Séjour de lord Surrey en France.

Nous avons dit, en racontant la vie de lord Rochford, que, dans le cours de l'automne de 1532, Henry VIII eut avec François Ier une entrevue de sept jours dont la première moitié se passa à Boulogne sur territoire français, et la seconde à Calais sur territoire anglais. Le duc de Richmond fut, en cette occasion, emmené par son père; et comme de raison, le comte de Surrey suivit son compagnon. Tous deux débarquèrent à Calais, en même temps que Henry, le 11 octobre; c'était la première fois que les jeunes Lords posaient le pied sur le continent.

Comme, d'après les arrangements convenus d'avance, les fils du roi de France ne devaient pas venir avec leur père à Calais, il était juste que le bâtard du roi d'Angleterre ne fût pas du voyage de Boulogne. Il demeura donc à Calais avec Anne Boleyn et les dames anglaises'. Le comte de Surrey, au con

"L'Ambassadeur vénitien auprès de Henry VIII, Carlo Capello, dit dans une de ses dépêches à la Seigneurie que le duc de Richmond suivit son père à Boulogne (Venise, Palazzo Ducale, Sanuto Diarii, vol. LVII, page 112); mais Capello ne parlait pas de visu, étant resté en Angleterre

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