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tibilité ombrageuse la servit mal auprès d'un mari sceptique que les scrupules embarrassaient peu et qui n'était guère disposé à accorder à une épouse gênante une fidélité et des égards qui ne pouvaient plus rapporter aucun avantage. Car, il faut le dire, le Comte qui avait espéré trouver une aide dans sa compagne, n'y trouva qu'une entrave; non seulement les événements le privèrent bientôt de l'appui de son beaupère le duc de Buckingham, appui sur lequel il avait édifié en partie ses rêves d'avenir; mais, ce qui est plus grave, l'intelligence bornée, la noire ignorance, et surtout les emportements déraisonnés de sa femme, durent faire subir à cet homme raffiné plus d'une mortification'.

Tel est le ménage disparate qui donna le jour à Henry Howard le poète.

cette épitaphe a été publiée par Aubrey. (Natural history and antiquities of Surrey. Lambeth.)

1 Le Dr Nott et Alex. Dyce (The poetical works of John Skelton) ont prétendu que la comtesse de Surrey avait été une femme instruite; ils se fondent sur un vers de Skelton dans lequel celui-ci se nomme le « clerc.» de la Comtesse (Garlande of laurell, vers 777); le raisonnement paraît peu concluant. Au surplus, Skelton, qui fait en un autre endroit (ibidem, vers 836 et suivants) un long éloge d'elle, ne parle que de ses vertus domestiques et ne mentionne aucunement ses goûts littéraires. A l'appui de notre assertion, nous n'avons qu'à citer les lettres mêmes de la Comtesse; on trouvera dans le Gentleman's magazine (no de mars 1845) un spécimen correctement reproduit de son orthographe; elle défie toute imagination. Il est étonnant qu'Isaac Disraeli qui donne, lui aussi, un spécimen du style de la Comtesse (Amenities of literature Orthography and orthoepy), ait pu ensuite la proclamer « une des femmes les plus accomplies du xvre siècle » (one of the most accomplished ladies of the XVIth century).

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CHAPITRE II

Naissance et éducation de lord Henry Howard. le titre de comte de Surrey.

Il prend

Henry était le troisième des cinq enfants qu'eurent le comte et la comtesse de Surrey'. Il naquit en 1518, à une date indéterminée, mais qui ne peut avoir été antérieure au 19 janvier, ni de beaucoup postérieure au 15 février. Voici les faits sur lesquels nous fondons notre calcul.

Il existe au château d'Arundel, en la possession du duc actuel de Norfolk, un tableau représentant lord Henry Howard (devenu alors comte de Surrey) et portant peinte sur la toile même l'inscription: «Sat superest. Etatis XXIX »; ce qui signifie qu'au moment de sa mort survenue le 19 janvier 1547, le poète était encore dans sa vingt-neuvième année. D'autre part, notre récit prouvera

1 Ces cinq enfants furent lady Muriel, lady Catherine, lord Henry, lord Thomas et lady Mary. Tous apparaîtront dans le cours de notre récit. 2 Par abréviation pour : ætatis suæ anno vicesimo nono.

3 Le D Nott prétend que ce tableau fut exécuté en 1546 après l'échec du comte de Surrey devant Boulogne et il appuie son opinion sur ce pasd'une pétition adressée par un des fils du poète à la reine Élizabeth : « Sat superest, as once my father wrote upon the breach of a distressed hope.» (Lambeth Palace ms. 711, fol. 20.) Ces termes font plutôt penser

sage

qu'il fut marié aussitôt que la loi anglaise le permit, c'est-à-dire aussitôt qu'il eut accompli sa quatorzième année; or son contrat de mariage fut rédigé le 13 février 1552'. Qu'on fasse les soustractions voulues, et l'on arrivera à délimiter comme nous le laps de temps pendant lequel put se produire la naissance de lord Henry.

Il est plus difficile de déterminer l'endroit où cette naissance eut lieu. La présence du comte de Surrey dans un des châteaux de la famille à l'époque marquée serait assurément un indice sérieux; malheureusement les archives contemporaines qui d'ordinaire nous renseignent presque jour par jour sur les mouvements du Comte, restent muettes à son égard durant tout le commencement de l'année 1518. Tout ce qu'il est permis d'affirmer, c'est que lord Henry ne naquit ni à Londres, ni dans les environs immédiats de cette ville; car la suette y sévissait alors, et tous ceux qui en avaient le moyen s'étaient réfugiés au loin à la campagne*.

à une condamnation à mort qu'à un échec militaire réparable. Notre opinion a pour elle l'autorité de Strype (Ecclesiastical Memorials of King Edward VI, chap. xxx) et de llorace Walpole (Anecdotes of painting, chap. vi).

1 Statute Book 23 Henry VIII, c. 29.

Le Dr Nott affirme que ce fut Kenninghall, par la raison que dans certains documents publics lord Henry est désigné comme lord Henry Howard of Kenninghall; cette raison n'est pas valable; en anglais l'apposition d'un nom de lieu à un nom de personne n'indique pas que cette personne est née dans ce lieu, mais seulement qu'elle y a son principal établissement.

3 Nous ne le retrouvons que le 23 avril à Woodstock, château royal situé dans l'Oxfordshire; il s'y était rendu pour assister au chapitre des chevaliers de la Jarretière. (Anstis's Registrum Garterii.)

✦ Polydori Virgilii Historiæ, lib. XXVII. Voir aussi les dépèches de l'ambassadeur vénitien Sebastiano Giustiniani. (Four years at the Court of Henry VIII, edited by Rawdon Brown.)

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Déjà campagnard par naissance, lord Henry le fut encore par éducation. En effet, son père n'avait pas d'établissement à Londres; à dire vrai, il n'en avait nulle part, apparemment par suite de pénurie d'argent', et il faisait habiter sa famille dans les châteaux paternels, tantôt dans celui-ci, tantôt dans celui-là. Lui-même était le plus souvent absent, ayant été, depuis la naissance de son fils aîné, employé à guerroyer pour le service de Henry VIII en France, en Irlande, puis sur la frontière d'Écosse ; et quand il revenait de ses commandements, il devait passer à la Cour la majeure partie de son temps". Au contraire, la Comtesse, bien qu'elle eût une charge dans la Maison de la reine Catherine', paraît avoir rarement quitté ses

En 1520, le comte qui était lieutenant du Roi en Irlande, ne cesse de se plaindre de sa gène. (Henry VIII State Papers, vol. II, no 5, 13, etc.) En 1525, lorsqu'il commande sur la frontière d'Écosse, mème refrain: «I am clerely decayde in my pourse », écrit-il à Wolsey. (1er octobre 1525.

Record Office, Letters and Papers, edited by S. Brewer and J. Gairdner, vol. III, no 5584.) Cependant il touchait alors comine solde cinq livres par jour.

* Bagwell (Ireland under the Tudors) prétend que le comte de Surrey emmena toute sa famille en Irlande quand il y alla prendre son commandement en 1520; cet auteur se fonde sur une lettre de Henry VIII publiée dans les State Papers (vol. II, n° 2). Mais le mot retinue, dont se sert le Roi, ne peut s'entendre que des serviteurs, non de l'épouse et des enfants. D'ailleurs, la comtesse de Surrey témoigne elle-même qu'elle ne fut pas en Irlande. My husbande», écrivit-elle plus tard à lord Cromwell, « hath ben from me more then a yere on the Kinges warrys. » (Lettre du 26 juin 1538. Cotton ms. loco citato.) Or la seule fois où le comte de Surrey resta sans interruption absent d'Angleterre pendant plus d'un an, est précisément pendant sa lieutenance en Irlande : il l'exerca pendant vingt mois.

5 Sa correspondance, très soigneusement cataloguée par MM. Brewer et Gairdner (Letters and Papers, vol. II et III), nous permet de suivre ses allées et venues.

«I was dayly waitor in the Courtt XVI yeres together. » (Lettre à lord Cromwell, du 26 juin 1538. Cotton ms. loco citato.) Ayant perdu sa charge au mois de mai 1551 elle devait l'avoir obtenue en 1515.

enfants et seulement pour de courts intervalles. Nous savons pertinemment que les choses se passèrent ainsi au moins durant l'année 1523, grâce à la chance étrange qui a fait parvenir jusqu'à nous le livre de dépenses tenu par le maître d'hôtel (butler) de la Comtesse'. Ce livre mentionne non seulement les menus servis à celle-ci et à son fils aîné lord Henry, mais indique exactement leurs mouvements. Par lui nous apprenons que la famille passa la première partie de l'année à Stoke Hall dans le Suffolk, puis que le 20 octobre elle s'en vint à Hunsdon dans le comté de Hertford3.

Ces jours d'enfance de lord Henry furent assombris par un bien lugubre événement. Son grandpère, le duc de Buckingham, fut condamné à mort, et exécuté le 21 mai 1521. Très orgueilleux de son origine royale et très accessible à la flatterie, le Duc avait prêté une oreille complaisante aux prédictions insensées d'un moine malade qui lui promettait sa prochaine élévation au trône à la place de Henry VIII; affolé par cette espérance chimérique, le pauvre Duc laissa échapper en public quelques paroles imprudentes qui furent aussitôt rapportées au Roi; or prétendre même de loin à la succession de Henry était un crime que celui-ci ne pardonna jamais, et le Duc, accusé de trahison et de lèse-majesté, fut traduit devant la juridiction extraordinaire du Grand Sénéchal (High Steward). Cette juridiction

1 Ce livre est à Cheltenham, Thirlestaine House (sir Thomas l'hilips's ms. n° 3841).

2 Stoke Hall faisait partie du patrimoine primitif des Howards.

3. Hunsdon avait été donné par lettres patentes au duc de Norfolk lors de sa promotion au titre ducal, le 1 février 1514. (Record Office, Patents 5 Henry VIII, part 2nd, memb. 15th.)

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