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Cette objection n'avait pas été prévue par François I; mais peu importait; Gontier avait le moyen de démontrer que son maître était plus près de déclarer la guerre à l'Empereur que de s'unir avec lui par un mariage. Les explications données satisfirent Henry, et la discussion des diverses conditions posées par François commença aussitôt. La déclaration que demandait ce dernier Prince concernant les droits d'Élizabeth, ne pouvait susciter aucunes difficultés; Henry accepta encore le chiffre de la dot fixé d'autorité par François Ier et le mode de payement stipulé par lui; mais il ne put admettre que le restant des pensions dues à l'Angleterre fût supprimé d'un trait de plume, et il menaçait de rompre toute la négociation si cette prétention n'était pas abandonnée'.

Or Gontier n'avait pas l'autorisation de relâcher quoi que ce fût dans ses instructions; il aurait donc été obligé de retourner en France en laissant les choses en l'état, si à ce moment même il ne s'était produit dans les affections de Henry un changement qui le fit départir de son obstination. Après une domination d'environ quatre mois, la « demoiselle »>, amie de Catherine d'Aragon, dont le Roi s'était épris, cessa de lui plaire, et il la congédia. Ce ne fut pas, il est vrai, pour se rapprocher d'Anne Boleyn; mais la maîtresse qu'il prit était la cousine germaine de cette dernière, Margaret Shelton, fille de cette gouvernante de la princesse Mary dont nous avons eu l'occasion de parler plus haut'. La nouvelle favo

1 Réponse remise à Gontier vers le commencement de février. (State Papers, vol. VII, n° 422.)

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Chapuis à l'Empereur, 25 février 1555 (Archives de la Burg)

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rite, en bonne parente et surtout en vue d'assurer son avenir personnel, chercha aussitôt à raffermir la position ébranlée de sa famille. Ayant ce but devant les yeux, comment aurait-elle laissé échapper le mariage de sa petite-cousine Élizabeth avec un fils de France? Elle dut évidemment presser son royal amant de consentir quelques concessions; et, de fait, nous voyons qu'au bout de peu de jours Henry se montra plus conciliant; il n'opposa plus de refus catégorique à la suppression des pensions et réclama seulement, en termes généraux, un examen contradictoire des demandes que, de part et d'autre, on avait à s'adresser au sujet du mariage d'Élizabeth; à cet effet, François I et lui-même pourraient désigner des commissaires qui se réuniraient à Calais, à mi-route entre les deux capitales', et qui achèveraient le plus vite possible la discussion des points litigieux3.

Outre cette propósition, Gontier fut chargé d'emporter en France, pour la faire signer par François Ier, une déclaration attestant que des deux mariages contractés par Henry VIII, celui avec Anne Boleyn était le seul valide et que, par conséquent, la fille née

« La demoiselle qu'estoit naguières en faveur de ce Roy ne l'est plus, et a succédé en son lieu une cousine germaine de la concubine, qu'est fille de la moderne gouvernante de la Princesse. »

1 D'après Mr Friedmann (Anne Boleyn, chap. x1), ce seraient les Boleyns qui auraient mis Margaret Shelton devant les yeux du Roi, avec l'espoir qu'elle le séduirait. Cette hypothèse n'est pas improbable; toutefois aucun document contemporain ne mentionne cette intrigue.

François Ier passa à Paris tout l'hiver de 1535

5 Henry VIII à Chabot, fin février ou mars 1535. (State Papers, vol. VII, n° 418.) — Les pièces publiées dans ce recueil touchant les négociations du mariage sont mal classées; l'ordre chronologique n'a pas été suffisamment observé.

de cette union était pour le moment le seul enfant légitime de ce Prince'. Cette déclaration, rédigée d'après les ordres de Henry VIII dans le but d'éta

blir d'une manière incontestable aux yeux de l'étranger les droits d'Élizabeth à sa succession, n'indiquait pas un retour en faveur d'Anne Boleyn. Au contraire, la répugnance qu'elle inspirait à son époux n'avait pas diminué, malgré l'influence conciliante de Margaret Shelton; et il ne craignait pas de donner sans cesse la preuve de ses sentiments.

Si au lieu de se rendre lui-même à Calais pour s'y rencontrer au mois d'avril avec François I", ainsi qu'il avait été convenu, il proposait maintenant d'y envoyer des commissaires, c'est qu'il voulait éviter une entrevue où il serait obligé de paraître avec Anne et de lui témoigner en public des égards et une déférence qu'il avait pris l'habitude de lui refuser. De même, la répugnance qu'il éprouvait pour son épouse le dirigea dans le choix des commissaires à envoyer à Calais; lord Rochford avait tous les titres pour être désigné; mais sa proche parenté avec Anne le fit exclure, et les commissaires dont Henry soumit les noms à François Ier furent le Secrétaire d'État Cromwell, le duc de Norfolk et sir William Fitzwilliam3.

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1 State Papers, vol. VII, no 424. François 1er ne signa pas ce texte; il ne lui plaisait pas qu'un Prince étranger lui dictât les termes dont il devait se servir; mais il fit dresser en latin une déclaration analogue, qui a été publiée par Pocock. (Burnet's History of the Reformation, part. 3rd, book II.)

Le duc de Norfolk était bien l'oncle d'Anne; mais, voyant la défaveur où elle tombait, il avait jugé bon de la délaisser.

3 Henry VIII à Chabot, fin février ou commencement de mars 1535. State Papers, loco citato.)

Gontier quitta l'Angleterre au commencement de mars et se rendit directement à Paris auprès de François qui accepta volontiers la procédure proposée par le roi d'Angleterre'. Si Gontier avait tardé quelques jours de plus à Londres, il Ꭹ aurait été témoin d'un nouveau changement chez Henry VIII, et il aurait pu, à son arrivée en France, annoncer à son maître que, malgré tout, lord Rochford serait un des commissaires anglais envoyés à Calais. En effet, Cromwell ayant été atteint, durant le courant de mars, d'une fluxion de poitrine assez grave, il avait fallu songer à le remplacer; et, grâce à Margaret Shelton qui ne ralentissait pas ses efforts auprès du Roi pour relever le crédit de sa famille, son cousin germain lord Rochford fut à la fin désigné2.

Gontier arriva à Paris le 11 mars. Le Nonce du Pape en France au Secrétaire d'État pontifical, 11 mars 1535. (British Museum, Addit. ms. 8715, fol. 28.)

2 John Hussey à lord Lisle, 4 mai 1535. (Letters and Papers, vol. VIII, n° 665.) Chapuis à l'Empereur, 8 mai 1555 (Archives de la Burg): « Les députez du Roy pour la diète de Callais doibvent partir à XI de ce mois, où, en lieu de Monsieur Cremuel, ira le seigneur de Rochefort, frère de la dame. >>

CHAPITRE VIII

Mission de lord Rochford à Calais.

Quoique Henry VIII désirât hâter l'échange de vues convenu entre lui et François Ier, leurs délégués ne furent en mesure de se rendre à Calais qu'au milieu de mai; et ce délai fut cause qu'avant son départ de Londres lord Rochford, complètement rentré en faveur, dut y remplir, sur l'ordre du maître, de tristes fonctions.

Henry VIII, nous l'avons dit, s'était fait proclamer par son Parlement «< Chef suprême de l'Église d'Angleterre »; puis, comme il entendait que cette déclaration ne restât pas lettre morte, il exigea que le clergé de son Royaume le reconnût officiellement en sa nouvelle qualité. Quelques résistances se manifestèrent, surtout dans le clergé régulier; pour les briser, Cromwell qui venait d'être nommé Vicaire Général du roi dans les questions ecclésiastiques (Vicar General of the King in all matters ecclesiastical), résolut de frapper un grand coup; il choisit quatre des plus importants parmi les réfractaires, à savoir trois prieurs de couvents de Chartreux et un moine

1 John Houghton, prieur de la Chartreuse de Middlesex à Londres; Augustin Webster, prieur de celle d'Axholme en Lincolnshire; et Robert Lawrence, prieur de celle de Beauvale en Nottinghamshire.

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