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qu'on ne voit que trop souvent que ce qu'une personne estime est regardé comme de peu de valeur par celle qui lui succède, et que quelque prix qu'on ait tâché de donner aux choses, ceux qui viennent après nous les laissent perdre ou enlever. Arnaud fit donc faire un catalogue exact de tous les livres que possédoit son monastère, et menaça d'excommunication ceux qui par la suite seroient assez hardis pour les vendre ou les donner. Il sembleroit, après ce pompeux exorde de Clavius, que l'abbé Arnaud auroit donné à son abbaye des centaines de volumes. Tout cependant se réduisit à dix-huit. Clavius ajoute que le dixneuvième étoit sa propre Chronique, dans laquelle il avoit fait entrer ce catalogue, et que le vingtième et dernier de tous les volumes, fut un tome de la Bible, que l'abbesse de Jouare-enBrie leur avoit donné dans l'année que le monastère avoit été brûlé. Je ne rapporterai pas ici ce catalogue; mais ce que j'y aime, c'est qu'il est tout-à-fait détaillé et conforme au plan que les Anglois ont suivi dans ces derniers temps, c'est-à-dire qu'il fait une énumération de tout ce qui est contenu dans chaque volume, quoique ce soient souvent des ouvrages fort disparates, et d'une espèce toute différente. L'abbé de Pontigni, qui fit écrire sur la fin du XIe siècle le catalogue des livres de son célèbre monastère, voisin de notre ville, prit aussi un très grand soin qu'on y marquât ce qui étoit contenu dans chaque volume, et ce détail a eu son utilité. C'est par là que j'ai appris que saint Mamert, évêque de Vienne, que personne n'avoit mis jusqu'ici dans le rang des écrivains ecclésiastiques, peut fort bien y être compris. Dans le détail d'un volume qui contenoit six sermons d'Ives, de Chartres, il y a pour dernier ouvrage renfermé dans le même volume: Ordo S. Mammerti Viennensis Episcopi de his quæ ad officium missæ pertinent, et de expositione ejusdem (1). Comme ce manuscrit avoit été prêté pour

num. Multoties enim vidimus quòd hoc quod præterila persona dilexit, hoc subsequens aut parvi pendendum putavit, aut ex toto neglexit. Igitur nomina futuris designare voluit, ut omnes nomina legerent, el lecta memoriá retinerent. Tom. II. Spicil., pag. 773, 774, 775.

(1) Cet arrangement ne doit nullement surprendre ceux qui savent que les scribes ou copistes n'observoient pas l'ordre des temps dans un même

être transcrit à une abbaye de la filiation de Pontigni, nommée Hegres, dans la Hongrie, un des bibliothécaires du xe siècle avoit soigneusement mis en marge, de même qu'à d'autres, est in Ungaria, et depuis que ce manuscrit avoit été rapporté, il avoit tiré une ligne sur sa note marginale; ces précautions étoient fort simples et fort naturelles, il seroit à souhaiter qu'elles eussent toujours été observées: aujourd'hui ce volume ne se trouve plus à Pontigni, quelque recherche que j'en aie faite, et l'ouvrage de saint Mamert est peut-être perdu sans ressource, à moins que ce ne soit celui que le père Martenne a donné sous le nom de saint Germain, évêque de Paris, dans un des tomes de son nouveau Trésor d'Anecdotes. Il peut avoir été perdu dans le temps des guerres comme plusieurs autres. Je suis persuadé que si le père Mabillon l'avoit trouvé quelque part, il n'auroit pas manqué de se servir d'un ouvrage si vénérable dans son savant commentaire sur la liturgie gallicane.

Vous me permettrez encore, monsieur, d'ajouter à tout ce qui peut se dire à l'avantage du catalogue général des manuscrits du royaume, que je prévois qu'il sera d'une utilité infinie à ceux qui entreprennent de composer des bibliothèques locales, telle qu'est, par exemple, celle des écrivains chartrains, donnée par le P. Liron, Bénédict, et celle des auteurs de Bourgogne, que prépare M. Papillon, chanoine à Dijon. De même qu'en parcourant l'immense catalogue des manuscrits conservés dans toute l'Angleterre, chaque curieux peut y remarquer ses auteurs; aussi, en lisant celui qui paroîtra pour la France, on s'apercevra souvent du nom de certains écrivains qui jusqu'ici étoient demeurés inconnus ou qui étoient restés dans l'oubli; et sur les conjectures que cette lecture fera naître, on en sera quitte pour aller sur les lieux consulter les manuscrits, ou pour écrire ou faire écrire aux bibliothécaires; c'est par cette dernière voie que j'ai connu un théologien scolastique de ma patrie, que j'avois cru être le même qu'Alexandre de Halez, nommé autrement Alexander Alensis, qui fut maître de saint Bonaventure.

volume, mais qu'ils écrivoient de suite les ouvrages à mesure qu'on les leur fournissoit. Ainsi souvent Bede, Pascase, Remi, étoient au commencement d'un volume, et saint Augustin ou saint Ambroise à la fin.

J'appréhendois que les auteurs du catalogue ne se fussent trompés, et qu'il n'eussent pris Alensis pour une abréviation d'Altissiodorensis; mais M. Valker, savant anglois à qui j'avois fait communiquer mon doute sur les manuscrits intitulés: Alexander Altissiodorensis, conservés dans la salle de milord Pembrok, a levé toute la difficulté par la réponse qu'il m'a obtenue. Vous serez peut-être bien aise que je vous en fasse part.

« J'ai consulté, lui dit son correspondant, les livres d'Alexana der Altissiodorensis dont votre ami s'informe. Ils ne sont pas « mis à faux dans le catalogue, et le nom de l'auteur n'est pas • abbrévié comme il le soupçonne; mais il est clairement de « cette façon : In isto libro continetur Allexder Altisiodor. sua per 4. sententiarum. Il y en a trois dans le catalogue et dans « la bibliothèque, quoiqu'il ne fasse mention que de deux, et les « livres sont écrits à peu près dans le même caractère que ce « titre. »

Le bibliothécaire anglois a eu la bonté de représenter ici ce caractère assez naturellement; il ressemble à nos gothiques du XIVe ou XVe siècle.

.

«Ils ont ci-devant appartenu (les uns ou presque tous) à l'abbaye de Saint-Edmond-Bury. »

Le billet du savant anglois nous apprend trois choses en peu de mots: 1° qu'il y a en Angleterre l'ouvrage d'un Alexander Allissiodorensis, qui est réputé différent d'Alexander Alensis ; 2° que son manuscrit y est trois fois; ce qui peut dénoter qu'il a enseigné en Angleterre, puisqu'on ne le trouve pas ailleurs; 3° que ces trois manuscrits aujourd'hui existant dans la bibliothèque appelée Aula Pembrokiana viennent de l'abbaye de Saint-Edmond-Bury. C'est aux différens écrivains qui raisonnent sur les auteurs ecclésiastiques à en tirer les conséquences qu'ils jugeront à propos. Si l'abbaye de Saint-Edmond-Bury a été véritablement, sous le nom de saint Edme, évêque de Cantorbéry, mort en France et inhumé à Pontigni, proche Auxerre, il a pu se faire assez naturellement qu'un théologien de l'église d'Auxerre, qui seroit devenu de ses amis, ou de l'abbé de Pontigni, ait été transplanté en Angleterre, où l'abbaye de

Pontigni avoit plusieurs biens. Cette relation de l'une et l'autre église avoit commencé dès le temps de saint Thomas de Cantorbéri presque cent ans auparavant. Mais aussi, pour une plus grande sûreté, j'aurois voulu que le docte Anglois nous eût fait part de la première et dernière période du manuscrit de son Alexander, afin de juger si ce n'est pas l'œuvre du fameux Alensis. La confrontation auroit été facile, s'il eût été prié de la faire. C'est une semblable confrontation que je puis regarder comme le principal fruit du catalogue général des manuscrits, que j'espère devoir être entrepris tôt ou tard en France. Celui que le P. Le Long, de l'Oratoire, a dressé de tous les auteurs qui ont écrit sur les livres saints, a déjà fait découvrir tant de méprises sur les véritables commentateurs de la Bible, que ce n'est point trop présumer que d'attendre infiniment davantage d'un inventaire universel de tous les ouvrages et opuscules qui ont été rédigés en France sur parchemin ou sur papier, avant la grande vogue de l'impression. Et pour peu que l'inventaire soit suivi d'un certain commerce littéraire entre les gardes des bibliothèques fameuses, qui s'entre-communiquent leurs conjectures sur les manuscrits qui leur sont confiés, on verra plus clair que jamais dans une infinité d'articles contestés sur toute sorte de matières. C'est à quoi je puis vous assurer que les personnes studieuses portent leurs vœux, convaincues par avance de l'extrême utilité dont sera un catalogue général des manuscrits, s'il est exécuté de la manière dont vous l'avez annoncé (1).

(1) On peut en juger par l'utilité qui résulte pour les travailleurs, de cet excellent catalogue analytique des mss. de la Bibliothèque royale, que donne en ce moment M. Paulin Paris, sous le titre de : Les manuscrits françois de la Bibliothèque du roi, parvenu aujourd'hui à son 4o volume, sans autre subvention, sans autre secours que l'amour de la science et le courage de l'auteur. Et, cependant, s'il est un ouvrage qui mérite les encouragemens du gouvernement et du public, c'est à coup sûr celui où les historiens, les littérateurs, les généalogistes, les antiquaires, les artistes, trouvent à chaque page de curieux renseignemens, sans se donner, même s'ils le veulent, d'autre peine ou plutôt d'autre plaisir, que de parcourir cette table analytique, si détaillée et si complète, comme nous n'étions accoutumés à en voir que dans les grands ouvrages du siècle dernier. CL. G.

Au reste, quand j'ai dit que ce sont les moines qui nous ont principalement transmis les écrits des anciens, je n'ai pas prétendu exclure les chanoines. Je sais que les réguliers en transcrivoient dans leurs commencemens. Les chanoines séculiers avoient aussi parmi eux de temps en temps des personnages laborieux qui se faisoient un plaisir de renouveler les manuscrits. Et si les religieuses ne regardoient pas cet ouvrage au dessus de leurs forces, comment les chanoines séculiers auroient-ils pu se croire incapables et hors d'état d'y coopérer ? Ce que j'ai donc voulu dire est que la plus grande partie des manuscrits qui existent de nos jours, et qui font le mérite des bibliothèques, sont un effet du travail des religieux, et qu'il est de notoriété publique que c'est dans les monastères qu'on a été encore plus soigneux à en conserver un plus grand nombre que dans la plupart des églises séculières (1).

Je suis, monsieur, etc.

(1) Je n'oublierai jamais qu'un tailleur d'habits m'a dit vingt fois qu'un archiviste, ou garde-titre d'un chapitre, lui avoit fourni pendant vingt-deux ans des cahiers de fort, beaux manuscrits de grand in-folio, qui lui ont servi à faire des bandes pour prendre la mesure des habits qu'il faisoit. Il m'en a fait voir une fois quelques restes où il étoit encore facile d'apercevoir que c'étoient des manuscrits dés ouvrages de saint Augustin, d'un caractère du ze siècle au moins. -L. B.

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