Page images
PDF
EPUB

trop fleuri, mais je ne suis point de cet avis, et quand il y aurait de l'excès dans ce genre, il faudrait le louer, car lorsqu'il n'y a point de luxe à votre âge, c'est un signe de pauvreté pour l'âge mûr. Vous avez su vous écarter avec beaucoup de sagesse de certains préjugés du jour (p. e. sur le chapitre des scolastiques). J'admire et je chéris même le courage qui vous a fait élever la tête au dessus de votre siècle, mais, soit dit avec la même franchise, votre pied est encore enfoncé assez profondément dans cette fange tenace. Croyez-moi, faites un grand saut dans l'âge de la vigueur et tirez-vous tout-à-fait de là, autrement vous ne serez aimé ni des Exégètes ni de nous. Vous êtes placé Vous êtes placé comme Hercule in Bivio; décidez-vous et marchez à droite. A ne considérer que l'intérêt très secondaire de la gloire, comparez les réputations du XVIIème siècle avec celles du suivant: le choix n'est pas difficile.

Je voulais terminer ici, mais je ne sais comment je n'ai pas la force de dire «non» à ma plume qui veut encore vous dire un mot sur l'Asie.

L'Asie, qui est la terre de l'enthousiasme parce qu'elle fut toujours celle des prodiges, exhale je ne sais quelle vapeur enthousiastique qui s'empare non seulement des têtes du pays, mais plus ou moins même des têtes européennes les plus calmes, et même encore de celles qui n'ont contemplé l'Asie que de loin. Vous, qui appelez les dogmes chrétiens des opinions que nous révérons (p. 35), expression que je recommande instamment à vos réflexions, vous n'êtes pas si froid à beaucoup près lorsqu'il s'agit de Zoroastre dont vous parlez sans le moindre balancement comme de Cicéron ou de Virgile, et tout comme si vous saviez si et quand Zoroastre a existé. Il y a cent systèmes sur ce point, et l'incertitude sur son époque est surtout plaisante, puisque les uns la font antérieure à Abraham, et que d'autres la recu

lent jusqu'à Darius fils d'Hystaspe (pas davantage). Mais ne parlons que du mérite intrinsèque du Zend-Avesta que vous croyez devoir exalter en termes si pompeux (p. 5), voulezvous un témoignage catholique? je vous citerai l'abbé de la Chapelle. Après avoir rapporté les témoignages les plus incontestables sur la conduite de M. Anquetil aux Indes, sur ses études et ses connaissances, il conclut avec la réserve qui convient à son état: «il ne faut point acheter les ouvrages de M. Anquetil, ni même les lire.» (Défense de l'histoire véritable etc. 1770 8' p. 325). Préférez-vous des témoignages protestants? - lisez la lettre terrible écrite à M. Anquetil par le Chev. Jones; lisez la dissertation luc le 18 septembre 1780, à l'académie de Goettingue par le docte Meiners. Vous y lirez: «qu'il n'y a pas a pas la moindre apparence que les Per« sans possèdent une seule ligne de Zoroastre; que le Zend«Avesta actuel est un livre fabriqué; qu'on y trouve des «traces évidentes de Judaïsme, de Christianisme, et des mots « arabes introduits dans le Persan depuis le VII siècle; que «M. Anquetil, qui fit preuve dans l'Inde de légèreté et d'é«tourderie, fut le jouet de deux prêtres du dernier rang, et «qu'il n'entendait pas un mot de langues antiques etc. etc.» Aimez-vous mieux vous en tenir au jugement de Voltaire? je vous en fournis de tous les genres, comme vous voyez. «Le Zend-Avesta, dit-il, est un fatras abominable dont on ne «peut lire deux pages sans avoir pitié de la nature humaine. «L'auteur est un fou dangereux. Nostradamus et le médecin «des urines sont des gens raisonnables en comparaison de cet «énergumène.» En voilà assez, j'espère; il faut dire du ZendAvesta et de tous les livres indiens ce que M. de Fontanes a dit avec tant d'esprit de l'Alcoran: «que c'est la Bible passée aux mille et une nuits. » Rendons à l'Asie ce que lui est dù; mais, je vous en prie. Monsieur, ne perdons pas notre place. Lorsque vous parlez d'un parallèle très-curieux entre

la cosmogonie de Monou (Menu) et celle de Moïse, que vous nommez le second (31), je crois entendre parler d'un parallèle très-curieux entre la vie d'Agricola et Cendrillon. Les savants anglais, que vous citez souvent, n'ont jamais écrit dans la supposition d'une égalité que vous semblez trop supposer. Jones, surtout Wilford et Maurice en Angleterre, n'ont exprimé les livres et les traditions indiennes que pour en faire jaillir quelques éléments mosaïques délayés et perdus dans un bain d'extravagances. Qui sait, au reste, si le temps n'est pas venu où Japhet doit habiter dans les tentes de Sem? On a observé, il y a longtemps, en Angleterre, que cette prophétie semble marcher rapidement à son accomplissement. Nous sommes, nous autres Européens, ce que nous avons toujours été: audax Japeti genus. Allons en avant! Vivons en bons cousins avec les enfants de Sem, travaillons ensemble au grand édifice de la science; mettons toutes nos forces en commun. Je vous exhorte de tout mon coeur, Monsieur, à vous mettre au nombre des ouvriers: n'épargnez pas vos peines;

Vous me verrez, au moins, dans ce champ glorieux
Vous animer toujours de la voix et des yeux.

J'attends beaucoup de vous pour votre pays, Monsieur, et c'est parce que j'en attends beaucoup que je vous ai montré naïvement mes desiderata. Le plus vif est celui de votre amitié. La mienne est à vos ordres; joignez y, je vous en prie, l'assurance des sentiments les plus distingués d'estime et de considération que je vous ai voués pour la vie.

MAISTRE.

[blocks in formation]
« PreviousContinue »