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EXAMEN CRITIQUE

DE

LA FABLE D'HERCULE

COMMENTÉE PAR DUPUIS.

1818.

Non me cuiquam mancipavi; nullius nomen fero.

Senec. Epist. XLV.

(Extrait du tome VII. des Mémoires de l'Académie Impériale des Sciences.)

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EXAMEN CRITIQUE

DE LA FABLE D'HERCULE.

DEPUIS longtemps, on avait essayé de trouver dans l'astronomie la solution de la plupart des difficultés qu'offre le système religieux des anciens; mais ces tentatives isolées n'avaient présenté aucun résultat satisfaisant. A l'exemple de plusieurs mythographes, Court de Gébelin, pour ne parler que de ceux qui ont écrit en France, plaça les travaux d'Hercule dans le passage du soleil par le zodiaque, en les appliquant plus particulièrement à l'agriculture; mais Dupuis, en marchant sur ses traces, réduisit ces hypothèses en un système complet, dans lequel il fit refluer toutes les connaissances religieuses et philosophiques des homines. Ce système, fruit d'un long travail et d'une érudition peu commune, est un phénomène assez singulier dans l'histoire des lettres, pour mériter une grande attention.

Nous laissons aux habiles l'examen de l'ouvrage entier de Dupuis; nous ne nous engageons point à le suivre dans

l'immense labyrinthe qu'il s'est tracé; mais tout système repose sur quelques bases principales. Nous examinerons l'une de ces bases, celle peut-être qu'il croyait la plus solide.

Qu'il nous soit permis d'écarter de cette dissertation tout ce qui a rapport aux opinions personnelles de l'auteur. Les principes qu'il s'était faits et les conséquences qu'il en tire, pourraient devenir le sujet d'un autre écrit, dont les résultats ne tourneraient pas à la gloire de l'esprit humain. Ici, nous ne considérons dans Dupuis que le mythographe.

Hercule est le soleil; voilà la proposition de Court de Gébelin, voilà l'axiome de Dupuis. Les douze travaux d'Hercule correspondent aux douze signes du zodiaque.

La principale assise du système de Dupuis est de supposer, dans l'histoire de la Grèce, une époque qu'il transporte à 1600 ans avant Homère: époque qu'il appelle l'àge d'or de la poésie. Là, il place les chants du soleil, l'Héracléide, ou le poème sacré sur le calendrier dont il ne reste plus que le canevas, et dont les debris forment l'amas confus des ruines mythologiques. De là, il suppose une époque d'ignorance et de barbarie jusqu'à Homère et Hésiode, et il ajoute « Le fil sacré une fois rompu, ne fut plus re« noué par les Grecs et nous-mêmes, dit-il, ne l'avons re« trouvé que dans les sanctuaires de l'Égypte.»

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On voit bien que jusqu'à présent il n'y a pas encore matière à discussion. Un raisonnement que l'on croit historique et qui est appuyé sur une supposition de faits, est un cercle vicieux dans lequel on tourne sans succès. Il faut seulement observer qu'il était assez adroit de révoquer en doute l'autorité d'Homère, d'Hésiode, et des anciens poètes, en disant que le fil de l'allégorie ne s'était retrouvé que chez les Égyptiens. En admettant ce principe une fois, on donne gain de cause aux autorités postérieures des Pythagoriciens, des Platoniciens et de tous ceux qui voulurent régulariser

a posteriori le grand amas des traditions mythologiques. Voilà précisément le côté faible de tout l'échafaudage de Dupuis.

La discussion de la partie astronomique n'est pas de notre ressort. En tout cas elle influe peu sur les objections que nous avons à présenter. Nous nous bornerons à observer que l'embarras du commentateur est visible en plus d'un endroit, notamment dans l'explication du premier travail, où il est obligé de distinguer le premier Hercule, ou le DieuSoleil, des deux autres Hercules placés dans les constellations, mais d'un ordre inférieur au grand Dieu-Soleil (1). Pour appuyer cette assertion, l'auteur fait violence à un passage d'Hérodote dans lequel celui-ci loue les Grecs d'avoir établi de la différence entre le culte qu'ils rendaient à HerculeOlympien, dieu immortel, et celui qu'ils rendaient à un autre Hercule qui n'était que dans la classe des héros; certes, Hérodote ne faisait point ici allusion au Dieu-Soleil, ni à l'Hercule Ingeniculus, mais bien à cette double nature d'un héros déifié qu'Homère a distingué le premier, comme nous le verrons par la suite (2).

Plusieurs autres endroits du calendrier comparé ne sont pas non plus à l'abri de tout reproche. Dans le quatrième travail, Dupuis a été obligé de se servir des sphères arabes pour y trouver une biche qui put correspondre à celle que prend Hercule. Dans le sixième travail, il n'est guères possible de comprendre l'analogie qu'il veut établir entre l'entrée du soleil dans le signe du Capricorne et Hercule nettoyant les étables d'Augias.

Enfin l'esprit de parti a tellement aveuglé Dupuis dans son commentaire astronomique, que le Dieu des Chrétiens (ce sont ses expressions) n'est lui-même à ses yeux que le soleil, excepté qu'au lieu des douze travaux, ce sont les douze apòtres qui font l'office des douze grands Dieux.

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