Page images
PDF
EPUB

direction du Platonisme (dont toutes nos idées actuelles sont encore plus ou moins imprégnées), doivent nous décider à reporter sur l'antiquité la masse des lumières répandues maintenant avec profusion sur l'Europe. Ce serait à la fois donner un sage emploi à l'agitation des esprits, et rendre à la civilisation européenne l'important service de déterminer les bases de sa généalogie. Et quel autre objet de curiosité peut valoir à cet égard l'étude de l'Asie? - Lorsque l'on aura propagé davantage la connaissance de ce vaste et merveilleux pays, peut-être trouvera-t-on un fil dans le labyrinthe de l'esprit humain; peut-être découvrira-t-on des sources anciennes, oubliées, ensevelies sous des décombres, mais qui pourront lui redonner une force et une fraîcheur nouvelles, présages assures de ces grandes époques qu'immortalisent la présence et les productions du génie.

(1) Toutes les connaissances humaines, y compris les notions religieuses, ont été imbues de Platonisme. Les premiers pères de l'église en sont pleins. St.-Augustin, qui dit avoir vu le mystère de la Trinité dans les livres des Platoniciens, avoue qu'il est lui-même frappé de la conformité de leurs principes avec certains dogmes de la religion chrétienne. Ce fut par la lecture des livres des Platoniciens qu'il fut conduit à la méditation des écritures, comme on le voit dans ses Confessions chap. XIX. XX. On ne contestera pas à Origène, à St.-Clément d'Alexandrie, et à plusieurs autres pères de l'église leur penchant aux idées platoniciennes. Le témoignage de St-Augustin est si positif que l'on ne peut rien y opposer. Il dit que si les anciens Platoniciens revenaient au monde, ils se feraient Chrétiens, en changeant peu de choses à leurs expressions et à leurs sentiments, «paucis mutatis verbis atque sententiis.» Lib. de vera relig. Cap. IV. VI. L'ecclectisme des Chrétiens d'Alexandrie prouve d'ailleurs évidemment les efforts faits, dans les premiers siècles de l'église, pour concilier les préceptes alors nouveaux de la religion chrétienne, et les anciennes notions de la philosophie grecque. Dans le XIème et XIIème siècle, Platon, rarement nommé

dans l'école, devint l'étude favorite des philosophes. A cette époque, où la passion de s'instruire s'était emparée de tous les esprits, Platon parût avoir été inspiré par la lecture des livres-sacrés. Le savant A bailard écrivait alors que la doctrine de ce philosophe s'accordait avec la foi de l'église. Les fugitifs de Constantinople furent les premiers à mettre Platon à côté d'Aristote, et cette opposition fut en partie cause du mouvement qui s'opéra alors dans les idées et qui se prolongea jusqu'à Bâcon, Descartes et Leibnitz. La belle traduction de Platon que publie le professeur Schleiermacher, doit faciliter désormais l'étude de ses écrits.

SECONDE PARTIE.

1.

LL ne s'agit point pour le moment de tracer les réglements d'une Académie Asiatique. Ce travail, d'ailleurs aisé, ne pourra avoir lieu que lorsqu'on aura déterminé letendue que l'on voudra accorder à un pareil établissement, et les moyens que le Gouvernement mettra à sa disposition.

Nous nous contenterons de donner un aperçu général d'un cours de langues et de littérature asiatiques.

La première observation qui se presente et qui doit servir de base à tout établissement de ce genre, c'est que la philologie (') se subdivise en plusieurs branches, telles que l'etimologie, la grammaire et la critique.

Il est des hommes qui peuvent reunir les qualites opposées du critique et du grammairien, mais une institution ne

pourra prospérer que lorsque ces deux classes seront entièrement distinctes l'une de l'autre. Une Académie Asiatique comprendrait donc 1) un cours de langues, 2) un cours de litterature, et chacun de ces cours devrait être fait séparément, et même par des maîtres différents (2).

Ce qui appuiera encore davantage ce système, c'est l'expérience de la société asiatique de Calcutta qui, de son propre aveu (3), s'est trop tôt livrée aux discussions philosophiques, à l'examen partial de quelques vérités isolées. Il faut creuser avant de bâtir; et nous n'aurons de grands résultats à espérer qu'en approfondissant la connaissance technique de l'Orient.

(1) Philologie ist das Studium der classischen Welt in ihrem gesammten, künstlerischen und wissenschaftlichen, öffentlichen und besonderen Leben. Der Mittelpunkt dieses Studiums ist der Geist des Alterthums, der sich am reinsten in den Werken der alten Schriftsteller abspiegelt, aber auch im äusseren und besonderen Leben der classischen Völker wiederstrahlt; und die beiden Elemente dieses Mittelpunktes sind die Künste, die Wissenschaften, und das äussere Leben, als der Inhalt, - die Darstellung und Sprache, als die Form der classischen Welt.» Ast's Grundriss der Philologie. 1808.

(2) Toute académie orientale présuppose l'enseignement de la langue grecque et de la langue latine, car elles sont les deux points d'appui de toutes les connaissances possibles. Il serait urgent de replacer au premier rang, dans le système de l'éducation publique, la langue grecque, de tout temps regardée comme classique en Russie, et qui n'a point été comprise dans la nouvelle organisation des gymnases. «La Russie, disait en 1768 le célèbre Heyne (journal litt. de Göttingue) a un avantage infini sur le reste de l'Europe. Elle peut prendre la littérature grecque pour base de sa littérature nationale, et fonder une école tout-à-fait originale. Elle ne doit s'attacher à imiter ni la littérature allemande, ni l'esprit français, ni l'érudition latine. L'étude approfondie du grec ouvrira à la Russie une source intarissable d'idées neuves, d'images fécondes. Elle don

nera à l'histoire, à la philosophie, à la poésie, des formes plus pures et plus rapprochées des vrais modèles La langue grecque est d'ailleurs liée à la religion des Russes, et à la littérature slavonne, qui paraît s'être formée d'après elle. Les plus anciens écrivains de la Russie ont étudié les historiens et les géographes du Bas-Empire; et l'histoire byzantine a plus d'un motif d'intérêt pour les Russes.» Nous n'ajouterons qu'une seule observation, c'est que ce voeu exprimé par l'un des plus illustres archéologues du siècle, est malheureusement encore à exécuter. Cependant les amateurs de la belle littérature n'ignorent pas que des particuliers établis à Moscou ont réparé à l'égard des lettres grecques tous les torts de l'opinion publique. Les frères Zosime, beaucoup moins connus en Russie que dans le reste de l'Europe, ont fait publier à leurs dépens plus de quarante ouvrages grecs, qui consistent en auteurs classiques et en auteurs modernes, nécessaires à l'étude des mathématiques, de la physique et de la métaphysique. Les presses de Paris, de Vienne, de Leipzig, de Venise et de Moscou travaillent depuis longtemps pour cet objet. La plupart de ces ouvrages sont distribués gratis aux jeunes Grecs qui étudient dans les différents gymnases de la Grèce. Parmi les éditions publiées sous les auspices des frères Zosime, l'Europe littéraire a distingué celles qui paraissent à Paris, avec les notes et les commentaires du savant Coray; telles sont l'Isocrate, le Polyen, l'Elien, et le Plutarque qu'il publie à présent. On doit faire aussi une mention très honorable des ouvrages, jusqu'à présent inédits, publiés par M. Matthaei, professeur de grec à Moscou. Ils sont tirés des précieux manuscrits grecs de la bibliothèque synodale. Tels sont l'Oribasius, les fragments de Rufus, et le nouveau testament, imprimés aux dépens des frères Zosime. C'est dans la bibliothèque synodale que le professeur Matthaei a trouvé l'hymne à Cérès d'Homère, dont il a enrichi le monde littéraire. Les frères Zosime possèdent en outre la plus belle collection de médailles grecques qui existe en Europe. Le noble emploi qu'ils font de leurs richesses, et la protection qu'ils accordent non seulement à la littérature grecque, mais aussi à tous ceux qui la cultivent, doivent les rendre chers à l'Europe savante et particulièrement à la nation chez laquelle ils sont établis. Ils ont mérité à cet égard le surnom honorable de Médicis de la Grèce moderne,

« PreviousContinue »