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pèce de puissant personnage, qui, semblable à ce Jupiter d'Homère brouillé avec les autres dieux, se tient à l'écart, loin de tous les autres, ne voulant des mortels ni crainte ni amour. Comme un de ces rois fainéans qui dormaient sur le trône, il semble qu'il ne surveille plus ce monde, et qu'aussi toutes les créatures sont laissées à l'abandon. Ce n'est point de Dieu que ces hommes occupent leurs pensées; Dieu n'est rien pour eux. Dans le commerce de leur vie, dans leurs voyages, dans leurs dangers, dans leurs maladies, ce n'est pas à Dieu qu'ils s'adressent. Aussi nulle attention à sa présence, nul honneur rendu à

son nom.

Voyez ce Savant a fait une infinité de découvertes; il est venu à bout de lire toutes les langues; mais il ne voit plus, il n'entend plus la langue de Dieu. Jadis les peuples reconnaissaient les grandes catastrophes de la nature pour une des voix de Dieu; attentifs à ces terribles paroles, ils cherchaient souvent dans une vaine science l'interprétation de cette langue qu'ils ne comprenaient pas. Nos pères encore regardaient le tonnerre comme un des accens de sa bouche puissante, et certes ils avaient bien au moins autant de courage que leurs fils ! Ces guerriers, qui ne comptaient jamais les ennemis avant le combat, ces preux, qui se vantaient de relever le gant au diable lui-même, s'il ́ fût venu à sortir des enfers, à la voix du tonnerre, allumaient pourtant dévotement le cierge bénit, et leurs lèvres sincères récitaient la simple prière avec le paysan grossier, leur épouse ingénue et leur vieille nourrice. Mais aujourd'hui le Chimiste, debout et tremblant, se rassure par des raisonnemens coutre sa faible machine qui chancelle; tandis que toute la nature frémit, il s'obstine à ne pas frémir en son âme. Il ne voit là ni Dieu, ni avertissement, ni menace. Il pense froidement à son fourneau chimique, et suppute la quantité de gaz, de sels et de matières premières, qui produisent de si terribles résultats. Il ne craint plus rien durant la tempête, comme si son paratonnerre pouvait lui servir contre Dieu, ou que cette menace de Dieu ne dît plus rien depuis qu'il peut en décomposer les lettres!

Voyez encore ce fils de la civilisation: il se pique d'être renommé par sa courtoisie dans les salons et dans les cercles, et veut en rendre avec usure à tous les hommes; mais, dans le raffinement de sa politesse, il ne trouve pas convenable d'accorder un salut au nom de son

Dieu. Il viendra dans nos églises pour remplir ce qu'il appelle les devoirs attachés à son état ; il y viendra pour compatir à la pusillanimité d'âme d'une famille ou d'une épouse crédules; mais qu'on ne lui dise pas que Dieu l'y appelle, car dès lors il n'y viendrait pas. Et là encore, il semble jeter un œil de dédain, et sur le peuple prosterné, et sur le prêtre qui offre le sacrifice, et sur le sacrifice lui-même. Debout, il veut y être seul; seul il veut faire sa prière; seul il veut régler ce qu'il doit rendre ou demander à Dieu; seul, il veut lui exposer ce qu'il en espère ou ce qu'il en craint... Et si quelquefois un de ceux qui ont été envoyés de Dieu, monte sur cette chaire où il lui est ordonné d'annoncer la bonne nouvelle du salut, alors l'homme du siècle s'indigne. Il méprisera et le prêtre, et son simple langage, et sa bonne nouvelle. Car il ne veut pas qu'on l'exhorte à bénir Dieu, qu'on le convertisse à lui rendre l'honneur qui lui est dû, qu'on lui apprenne ce que Dieu désire de lui; il regarde cela comme une preuve d'humiliation et de dépendance, et sort, le sein tout ému, de cet essai de puissance qu'on a voulu faire sur lui.

Suivons-le dans l'intérieur de sa maison: ici il veut bien — et, au besoin, il exigeraque son fils et que sa fille apprennent quelque prière, et qu'ils aient une religion; il souffrira que son épouse en pratique quelques actes. Mais pour lui, il rougirait de les imiter ou de leur en donner l'exemple. Ainsi donc, la prière se fait bien encore quelquefois dans la famille; mais presque toujours le chef de la prière est absent; ou, s'il s'y trouve, il est là, comme un de ces dieux de pierre, habitans d'un temple païen, témoins impassibles des prières des mortels. Ni image sacrée, ni crucifix, ni aucun de ces signes extérieurs qui distinguent le chrétien, ne brillent jamais entre ses mains; jamais il ne leur adresse une marque de respect en présence de sa famille. Aussi, ses enfans lui demandent quelquefois s'il ne fait pas sa prière : et il faut qu'il leur réponde qu'il prie seul et en secret. En effet, comme un prêtre sacrilége, qui prostitue son encens à une idole inconnue, il s'enfonce dans le lieu le plus caché de sa maison, choisit l'heure la plus obscure, et là, loin de tous les yeux, le cœur rempli d'une espèce de crainte, et comme essayant d'une mauvaise action, il fait à Dieu une prière courte, rapide, impertinente, que sa mère ne lui a pas apprise, et que son fils ne répètera pas après lui. Il fait les œuvres de la loi,

comme un roi qui, loin de ses serviteurs et de sa cour, enveloppé de ténèbres, se livre à un plaisir honteux ou à une faiblesse avilissante : plus lâche que le pharisien superbe, il n'ose même faire retentir sa voix pour annoncer qu'il prie; dans sa fuite loin de Dieu, il a perdu jusqu'à son orgueil.

Cependant, après avoir vécu plus ou moins de tems dans ce commerce clandestin avec son Dieu, survient une maladie, un accident, un rien qu'il ne connaît pas, mais qui lui annonce qu'il va être tiré sans son consentement du milieu de ce monde qu'il habite; pourquoi alors tout s'empresse, tout s'agite-t-il autour de lui? pourquoi sa famille est-elle toute en alarmes et en mouvement? pourquoi une mère prépare-t-elle sa tendresse, une épouse son amour, les hommes leurs plus fort raisonnemens, les femmes leurs plus douces, leurs plus touchantes paroles? pourquoi cherche-t-on une personne qui ait autorité sur son esprit, et une bouche qui sache faire passer la persuasion dans son âme?... Le grand homme nous l'a dit assez souvent pendant sa vie... Tout ce qui est noble, généreux, élevé, tout ce qui est bon, il s'y porte de lui-même et de sa toute volonté... Il faut donc que ce soit une action injuste, une démarche avilissante, qu'on veut lui faire faire, ou une humiliation honteuse qu'on veut lui faire subir; car on a préparé tous les moyens de séduction et de corruption. En effet, on veut décider le bon fils, le bon époux, le bon père à reconnaître le Dieu de l'univers, à croire ce qu'il a dit, à faire ce qu'il a ordonné: on veut le décider à recevoir le testament de grâce, dans lequel Dieu l'avait inscrit. Voilà ce que veulent tant de personnes conjurées. Mais non, comme un preux chevalier qui veut garder son honneur et sa foi jusqu'à la fin, il a tout préparé pour un combat à outrance. Long-tems il s'est essayé pour cette heure, il a fait tous les préparatifs, a disposé toutes les défenses, a prévu tous les pièges, s'est endurci contre toutes les propositions de paix; il a juré de ne jamais se rendre à Dieu, et il meurt, se complaisant dans ses désirs, s'absolvant de ses péchés, espérant dans ses espérances, et ne craignant que ce qu'il a résolu de craindre.

Pourtant quelquefois, malgré ses résolutions, malgré sa force et son courage, il s'est rendu à ces séductions, ou à ses craintes, ou à sa conscience. Il a daigné ne pas laisser inutiles les im

menses trésors de grâce que Dieu a préparés de toute éternité à sa créature, et qu'il est venu apporter aux hommes avec sueurs, fatigues, mort, les sueurs, les fatigues, la mort d'un Dieu!!! Il a daigné recevoir Dieu chez lui, et tendre son visage au baiser qu'il lui apportait. Mais pourquoi ne voit-il plus ses anciens amis? pourquoi toutes ses connaissances sont-elles éloignés? pourquoi ne laisse-t-on approcher personne, et conserve-t-on tant de mystère? Ecoutez la raison: elle est bonne, elle est généreuse!... Il ne veut pas que l'on sache qu'il a eu quelques jours de faiblesse, et que, vers la fin de sa vie, il est descendu à un acte de soumission devant Dieu.

Tels sont les seuls rapports qui existent souvent, dans les familles, entre les hommes et Dieu. Que si nous recherchons quels sont les liens qui attachent encore ceux que l'on appelle les chefs des nations, les rois des peuples, à Dieu, nous ne trouverons pas plus de foi en sa présence. Les rois les plus puissans, les plus influens sur les choses de ce monde, ceux par conséquent que Dieu a honorés de plus de faveurs, sont précisément ceux qui se sont séparés de l'Eglise et des traditions de Dieu. La loi de Dieu n'est plus dans leurs conseils une loi sacrée, divine, de laquelle il ne faut traiter qu'avec amour et respect, c'est pour la plupart, seulement un frein dont ils ont intérêt à se servir pour contenir les peuples dans l'obéissance; notre Religion même est pour eux, dans sa constitution et sa hiérarchie, une chose gênante, dangereuse, dont il faut surveiller l'influence, gêner les rapports, arrêter l'essor.

Aussi c'est ce qui nous fait penser, et c'est ce qui nous a fait dire au commencement de cet article, que, dans les circonstances actuelles, le plus ardent désir que nous puissions former, c'est que les grands et les puissans de la terre ne se mêlent plus des choses de Dieu.

Mais comment avons-nous été amenés, rois et sujets, peuples et gouvernemens, à nous séparer de Dieu, à l'oublier et à le méconnaître? Par quels moyens peut-on ramener l'auguste croyance de sa présence dans la famille, pour qu'elle vienne éclairer et vivifier une société toute malheureuse d'ignorance et de maladie? C'est ce que nous essaierons de rechercher dans un autre article '.

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Statistique religieuse de la Grande-Bretagne.

ÉTAT ACTUEL ET RICHESSES DU CLERGÉ ANGLICAN.

Vers le commencement du 16° siècle, il se fit un immense déchirement dans l'Eglise: près de la moitié des peuples catholiques se séparèrent violemment du centre d'unité, et secouèrent le joug de cette autorité, qui, seule en ce monde, soutenue par une main divine, marche divinement à la tête de l'humanité, dont seule, elle sait corriger les excès, fortifier les vertus, réaliser les bons desseins. En ce tems, et pour excuser une semblable entreprise, il y eut plusieurs mots que l'on jeta, comme une déception, aux peuples pour les entraîner dans la révolte. Le premier de ces mots, celui même qui est resté comme un grand reproche, est ce mot si magique et si solennel, la REFORME; que ne fit-on pas espérer aux peuples sous ce nom, et peut-être que n'espérait-on pas sérieusement soi-même ?

D'abord, réforme du dogme: il semblait qu'il n'y aurait plus de mystère, plus d'ambiguité, plus d'obscurités, plus de doutes. La Bible était le trésor trop long-tems dérobé au peuple, qui enfin allait y lire clairement et distinctement, et par conséquent unanimement, toute sa croyance.

Ensuite, réforme de la morale: tous les scandales de la cour de Rome allaient disparaître de l'assemblée des saints de la réforme ; plus de prêtres oisifs ou ambitieux, dévorant la substance du pauvre : le peuple allait enfin avoir les bons pasteurs, ces pasteurs qui connaissent leurs brebis et sont connus d'elles, ces pasteurs qui donnent leur vie pour leur troupeau.

Telles furent les deux idées générales qui précipitèrent des peuples entiers dans le schisme et dans l'hérésie. Ce n'est pas assez des dé

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