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elle observait la plus extrême réserve et affectait d'éviter tout ce qui pouvait lui nuire. Cette différence de conduite envers les deux principaux accusés acheva de confirmer la conjecture formée par beaucoup de personnes, que l'opiniâtre silence de Mm Manzon avait pour cause le devoir sacré de la reconnaissance envers un des meurtriers de Fualdes, qui, sans doute, avait empêché qu'elle ne partageât le sort de cet infortuné.Quoi qu'il en soit, l'instant était arrivé où elle devait cesser de se taire. Interpellée avec violence par Bastide, qui la sommait de s'expliquer, soit que l'émotion que lui causa cette audace lui fit perdre un instant de vue le système qu'elle s'était prescrit, soit qu'elle crût, pour son propre intérêt, devoir renoncer à ce système, qui l'avait déjà fortement compromise, elle s'avança vers l'imprudent interpellateur, et, avec un accent qui fit sur les juges et sur les spectateurs l'impression la plus profonde et la plus terrible, elle lui reprocha d'avoir voulu l'assassiner! Dès ce moment, on put prévoir le sort des accusés, et les détails qu'elle donna depuis achevèrent de le rendre inévitable. Cet hommage tardif rendu à la vérité n'en a pas moins laissé peser sur Mme Manzon la rigueur de l'opinion publique. Ceux même qui s'étaient le plus interesses à elle n'ont pu lui pardonner la ténacité de ses déné gations antérieures, écrites et verbales, à l'égard d'un fait dont elle a fini par proclamer la certitude. On s'est indigné surtout du parjure qu'elle n'avait pas craint de commettre dans un écrit signé d'elle, et remis au préfet de l'Aveyron, en prenant la divinité à témoin de son ignorance relativement à l'accusation qui faisait l'objet de la procédure. Les uns ont attribué cette conduite aux écarts d'une vanité monstrueuse qui ne cherchait, par tant d'incohérences et par cette affectation de mystère, qu'à occuper plus long-temps l'attention générale; d'autres ont persisté à croire qu'un motif peu honorable pour Mme Manzon avait nécessité ses ménagemens pour l'un des accusés; d'autres enfin, plus indulgens, ou plus convaincus de cette vérité, que le cœur humain est inexplicable, ont attribué ses inconséquences à la bizarrerie de sa position, à la difficulté de justifier sa présence dans la maison où le crime fut commis, et à l'épouvante que lui inspirait la certitude d'at

tirer sur elle l'implacable ressentiment des assassins ou de leurs complices. Au surplus, la solution de ce problême est devenue à-peu-près indifférente, aujourd'hui que Mme Manzon a entièrementcessé d'être l'objet de la curiosité du public. Dans l'espoir de ressaisir cette vogue fugitive, elle s'est rendue à Paris, où les journaux viennent d'annoncer qu'elle débite, en ce moment, de nouveaux mémoires en forme de lettres, dont le dépôt est établi chez elle-même, ce qui facilite aux curieux le moyen de faire connaissance avec l'auteur en même-temps qu'avec l'ouvrage : mais jusqu'à présent cette spéculation parait avoir eu peu de succès; et tout porte à croire que sous ce rapport Mme Manzon a moins bien saisi l'occasion que ne l'avait fait celle qui partagea quelque temps avec elle l'honneur d'occuper les cent bouches de la renommée (voy. PIERRET). L'héroïne de Rhodez joint à l'espèce de talent que prouvent les détails qui précèdent, un esprit assez cultivé, et de la grâce dans les manières; sa conversation décèle une imagination vive et beaucoup d'originalité. On lui attribue un ouvrage intitulé Veillées d'une captive, lequel a paru au commencement de la présente année (1819); ce recueil de Nouvelles prouve, comme l'annonçaient déjà ses lettres et ses mémoires, que l'art d'écrire ne lui est point étranger.

MARAT (JEAN-PAUL ), né en 1744, de parens calvinistes, à Beaudry, pays de Neufchâtel, étudia la médecine des sa jeunesse ; acquit diverses conuaissances en physique et en chymie; apprit l'anglais, qu'il écrivait même avec une sorte de correction; et vint ensuite chercher fortune à Paris, où il resta long-temps dans la misère, s'occupant d'anatomie faisant le métier de charlatan, et vendant des simples et un spécifique qui guérissait de tous les maux. Un assez mauvais ouvrage politique, écrit en anglais et intitulé: the Chains of slavery (les Chaines de l'esclavage), fit connaître son nom, ignoré jusques-là; il en publia bientôt un autre beaucoup plus considérable, intitulé de l'Homme, ou des principes et des loix; de l'influence de l'ame sur le corps et du corps sur l'ame, et parvint à se faire quelques protecteurs, qui obtinrent pour lui le titre de médecin des écuries du comte d'Artois. Il vécut quelques an nées des faibles emolumens de cette place,

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