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tans, ont été indiqués et démontrés dans ma Grammaire romane; je me borne à observer que l'une et l'autre forme a long-temps existé dans la langue française, parce qu'elle a eu la même origine que la langue italienne et la langue espagnole.

Dans la cinquième règle qu'il donne pour l'explication des ellipses, M. Anaya dit: « Un verbe, régi par deux ou plusieurs substantifs, » suppose l'ellipse de te verbe devant le second et le troisième subs» tantifs, s'il y en a plus de deux. Cette expression, amore e la natura » m'inspira, est abrégée de celle-ci, amore M'INSPIRA e la natura » m'inspira.»

Je ne crois pas que cet exemple soit heureusement choisi; on peut supposer l'ellipse d'un verbe qui a précédé, mais non l'ellipse d'un verbe qui suit. Pour expliquer cette licence grammaticale, on doit préférer l'opinion des grammairiens qui regardent les divers substantifs sujets d'un même verbe comme ne formant qu'un tout, qu'un objet en masse et commun qui permet de s'affranchir de la règle des pluriels. Cette forme est notamment dans toutes les langues dérivées de la langue latine, qui s'en servoit très-fréquemment.

M. Anaya regarde aussi comme elliptique l'emploi des infinitifs, quand ils tiennent la place d'un substantif, et il suppose que, dans l'italien l'andare et dans l'espagnol el cantar, les mots atto di, acto de, sont sous-entendus.

Cette assertion me paroît une erreur : les langues dérivées de la latine ont adopté et conservé l'usage d'employer substantivement les infinitifs; et ces infinitifs latins employés au présent ne permettent pas d'imaginer une ellipse qui auroit exigé un autre temps que le présent: comment M. Anaya trouveroit-il une ellipse à cette sentence, SCIRE TUUM nihil est nisi te scire hoc sciat alter!

L'ouvrage de M. Anaya présente souvent des idées justes et utiles; mais elles ne sont pas assez généralisées: le titre avoit promis une théorie grammaticale plus élevée, et fondée sur des principes communs à un plus grand nombre de langues. Je dois avouer toutefois que cet ouvrage, tel qu'il est, peut être d'un grand secours aux personnes qui ont déjà étudié la langue espagnole et la langue italienne, et sur-tout cette dernière.

RAYNOUARD.

Histoire des révolutions de NorwÉge, suivie du Tableau de l'état actuel de ce pays et de ses rapports avec la Suède; par J. P. G. Catteau-Calleville, membre de l'académie de Stockholm, &c. Paris, Pillet, 1818, 2 vol. in-8.°, vj, 375 et 416 pages, avec une carte.

LES destinées des Norwégiens se sont si souvent confondues avec celles des Suédois, et sur-tout des Danois, qu'il est difficile de les raconter separément. Snorro toutefois a composé, au X111.° siècle, une chronique des rois de Norwége (1); au commencement du XVIII., un grand corps d'annales norwégiennes, jusqu'à l'année 1397, a été publié par Thermod Torfæus (2); d'autres écrivains ont traité le même sujet en langue danoise (3): mais nous n'avions, dans notre langue, aucune histoire particulière de ce peuple; et l'ouvrage français où on la pouvoit le mieux étudier, étoit encore l'Histoire du Danemarck de Mallet. Il y avoit donc lieu d'offrir aux lecteurs français un travail plus complet et plus spécial, où l'histoire norwégienne se présentât toute entière, et dégagée, autant que la nature des faits peut le permettre, des récits qui concernent les pays voisins; où fussent méthodiquement recueillis tous les résultats véritablement historiques fournis par les anciens monumens, par les relations originales et par les recherches des écrivains modernes. Personne en France n'étoit mieux préparé à cette entreprise que l'auteur du Tableau de la Suède, du Tableau de la mer Baltique, de l'Histoire de Christine et de quelques autres ouvrages qui tous annoncent une connoissance profonde des antiquités, des langues et de la littérature du Nord. M. Catteau-Calleville a visité les contrées dont il écrit l'histoire; il a examiné, comparé les mémoires originaux, les livres, les traditions populaires, les opinions des habitans les plus instruits. On a donc droit de s'attendre à ne trouver, dans les deux volumes qu'il vient de publier, que des détails puisés aux sources les plus pures ou les plus dignes de confiance.

Comme toutes les annales, celles de la Norwége commencent par des traditions fabuleuses, mais dont l'influence est historique, et qu'il est

(1) Historia regum Norwegia conscripta à Snorrone, Sturlæ filio, islandicè, danicè et latinè. Hauniæ, 1777, 2 vol. in-fol.

(2) Thermodi Torfæi Historia rerum Norwegicarum ( usque ad ann. 1397 ). Hauniæ, 1717, 4 vol. in-fol. Le nom islandais de Th. Torfæus est Thermodur Torfason: 'on l'appelle aussi, dans le Nord, Thormod Torvesen.

(3) Histoire de Norwége, par Gerhard Schoening, &c.

indispensable de connoître, si l'on veut remonter aux origines des institutions et des mœurs nationales. Mallet et d'autres écrivains ont tracé des tableaux plus ou moins étendus de la mythologie scandinave : M. Catteau-Calleville en donne une idée sommaire et précise, en se bornant aux détails qui tiennent spécialement à l'histoire des Norwégiens. C'est d'après ce qu'il a vu et observé lui-même, qu'il décrit la contrée qu'ils habitent, partie la plus montagneuse de la presqu'île du Nord, et théâtre des phénomènes naturels les plus propres à modifier les habitudes et les affections des hommes. Les familles qui s'y trouvoient établies aux premiers siècles de l'ère vulgaire, étoient, dit l'auteur, affiliées aux peuples germaniques, et en particulier à ceux qui ont reçu la dénomination de gothiques. Leur caractère mâle, hardi, entreprenant, s'étoit renforcé sous un ciel rigoureux, au milieu des rochers, des neiges et des glaces éternelles, des avalanches, des torrens et des précipices. Leur langue, dialecte teutonique, avoit acquis plus d'énergie. Tout les disposoit à préférer la pêche et la chasse à l'agriculture: leur penchant le plus commun étoit d'affronter les dangers de la mer pour s'enrichir, ou pour se signaler par la force et le courage. A cette première époque, tous les Scandinaves vivoient, distribués en peuplades, sur les côtes ou dans les vallées, et gouvernés par des chefs, conformément aux lois ou aux résolutions émanées d'assemblées populaires. Leur histoire se compose de leurs entreprises contre des nations voisines, et des guerres qu'ils se faisoient entre eux quand ils n'alloient pas porter ailleurs l'épouvante. Ces luttes et ces révolutions n'ont laissé que des souvenirs, incomplets et confus; mais à la fin elles amenèrent la distinction des trois états de Danemarck, de Suède et de Norwége.

Quoique cette distinction se soit établie dès le VIII. siècle, le premier nom réellement historique, que nous présentent les fastes de la Norwége, est celui d'Harald I.", dont le règne commença vers l'an 863. Ce prince confia le gouvernement des provinces ou cantons de son royaume à des lieutenans appelés Jarls (1) ou comtes, qui levoient, des tributs, en retenoient une partie, obtenoient, comme fiefs, des domaines tombés par la guerre au pouvoir de la couronne, et s'engageoient à fournir des hommes armés : ils étoient assistés par les Herses ou barons, qui avoient des obligations et des prérogatives du même genre. Il y eut ainsi, en Norwége, comme ailleurs, des vassaux et des arrière-vassaux; et ce fut le premier germe du système féodal proprement dit, « qui devint, dit l'auteur, l'un des degrés de l'échelle que les institu

(1) Earls.

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» tions politiques avoient à parcourir en Europe, degré peut-être néces»saire à des monarchies naissantes qui se fortifioient par fa guerre, et » ne pouvoient avoir aucune idée des principes administratifs que fait » connoître insensiblement le progrès de l'industrie et des lumières. » Du reste, on eut en Suède et en Norwége le bonheur d'éviter les principaux abus de ce système. Les fiefs n'y furent jamais considérés comme héréditaires, et la servitude de la glèbe ne s'y est point introduite; sans doute parce qu'il étoit difficile de soumettre à un régime humiliant et oppressif des hommes disséminés sur une vaste étendue de pays, et accoutumés à résister énergiquement aux rigueurs mêmes de la nature. « La liberté, continue l'auteur, est un ressort indispensable, lorsque le » travail ne peut réussir que par des combinaisons variées; et la propriété » devient précieuse en raison des obstacles qu'il faut surmonter pour l'acquérir. >>

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Le règne d'Harald est l'époque de plusieurs de ces expéditions mémorables qui donnent une place aux hommes du Nord dans les annales de la plupart des peuples européens. Fort souvent ces armées barbares, qui s'élançoient de la Scandinavie sur des contrées plus méridionales, se composoient à-la-fois de Danois, de Suédois et de Norwégiens. Néanmoins, c'étoient principalement des Danois qui envahissoient des parties de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne : les conquérans de la Russie partirent de la Suède; et la Norwége avoit vu naître ceux qui se jetèrent sur des provinces françaises. M. Catteau-Calleville rejette comme peu naturelles, c'est-à-dire, comme peu conciliables avec l'histoire positive, les conjectures, d'ailleurs ingénieuses, qui tendent à chercher l'origine et le nom des Russes dans une peuplade antique voisine du Palus Mæotis: l'opinion qu'il préfère, et qui est, dit-il, celle de la plupart des savans du Nord, consiste à dire que les Warègues qui, sous la conduite de Rurick, entrèrent dans la Moscovie, venoient de la partie de la Suède où est le canton de Roslagen, qu'on les distinguoit des autres Suédois par le surnom de Russes, et que leur origine étoit purement scandinave. Mais les conquérans dont M. Catteau-Calleville va suivre de plus près tous les pas et observer les progrès, sont les Norwégiens, qui, peu après l'an 880, profitant de la foiblesse des successeurs de Charlemagne, parvinrent à s'établir dans l'une des plus belles régions de la France. Rolf, Raoul, ou Rollon, leur chef, n'étoit point Danois, comme l'ont cru plusieurs écrivains du moyen âge et des siècles modernes : les monumens historiques conservés en Norwége montrent qu'il étoit né dans l'un des cantons les plus septentrionaux de cette contrée. Après avoir établi ce point et retracé les exploits de Rollon,

l'auteur, pour achever le tableau des excursions méridionales entreprises par des Norwégiens, anticipe sur l'ordre des temps, et nous peint ces guerriers scandinaves, transportés successivement dans les deux Siciles, en Palestine, en Grèce, cueillant des lauriers dans la patrie des Miltiades et des Thémistocles, et récitant des hymnes scaldiques sur le tombeau de Tyrtée et de Pindare.

De là pourtant l'historien nous ramène aux climats hyperboréens et aux dernières années du IX. siècle : il reprend l'histoire d'Harald. Mais bientôt des expéditions norwégiennes dans les îles Feroé et en Islande exigent des descriptions nouvelles, de nouveaux éclaircissemens sur la géographie, les mœurs, la religion et la littérature du Nord. On a quelquefois représenté la poésie scaldique comme une imitation de celle de minnesingers, des trouvères et des troubadours: M. Catteau-Calleville la croit née à une époque beaucoup plus ancienne, dès le temps où les Scandinaves commencèrent ces excursions belliqueuses qui les rendirent si formidables. Il s'est appliqué à nous les faire connoître, en saisissant, dans tout le cours de son ouvrage, les occasions de citer des chants guerriers ou funèbres. Les traductions en prose qu'il nous en donne, ne manquent assurément ni de précision ni d'élégance: mais, à notre avis, elles prouvent que, pour conserver de l'originalité, ces poésies ont besoin, comme bien d'autres, des couleurs propres à leur idiome naturel et du prestige de la versification. Une traduction non versifiée les réduit à des idées justes et nobles, mais devenues si communes dans toutes les littératures, qu'il ne nous est plus possible d'en être vivement frappés. En voici, au surplus, quelques exemples:

«Le vautour vole vers moi du fond des noires forêts; l'aigle le suit: » cet avide vautour se nourrira de mon sang; ce grand aigle aura mon » corps pour pâture. - Les arrêts du ciel s'accomplissent toujours; le » soleil éclaire maintenant l'illustre monarque (1): s'il meurt, il laissera un » fils qui vengera sa mort. Le Scalde doit raconter avec vérité les

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actions des grands princes. Pendant qu'un vent froid dominoit, le » puissant roi de Norwége, franchissant les ondes salées des mers de » l'Orient, est arrivé dans les ports asiatiques; il a jeté l'ancre, et ses » guerriers ont été reçus avec une grande alégresse. — Je dirai que le roi (2) partit pour Jérusalem, bravant les tempêtes. Connoissez-vous » un prince plus illustre sur la vaste étendue de la terre? Il est parvenu » à son but, sa volonté a été accomplie : il s'est baigné dans les eaux

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(1) Harald III, roi de Norwége, au XI. siècle.

-

(2) Sigurd, qui partit de Norwége pour la croisade en 1107.

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