Page images
PDF
EPUB

variés de taille et de couleur dont parle Hérodote? et ceux de ces ma meluks femelles que l'on connaît sous le nom d'Amazones? et ces innombrables chevaux que la Chine avait, de si bonne heure, distribués en autant de races ou de castes, que les Indous, les Arabes, les Egyp* tiens, les Ibères, avaient partagé leurs populations? D'un autre côté, quoi de plus explicite? Le géographe Strabon écrivait sous Auguste, trente ans avant Jésus-Christ. En traitant de l'Arabie, il dit ces propres paroles: On trouve, en Arabie, des animaux de toute espèce, excepté le cheval. Remarque déjà faite par d'autres géographes, et dont s'étonnait, il y a quatre-vingts ans, le voyageur danois Niebuhr. J'ajoute que deux siècles après Strabon, Oppien, en énumérant les races les plus distinguées parmi les chevaux, en cite quatorze avant de citer la dernière, celle des Erimbes. Et les Erimbes, que sont-ils? Arabes? On en doute. Il y a quelque apparence que ces Erimbes étaient des Troglodytes, voisins du Sennaar; de ce Sennaar où Bruce, il y a soixante-dix ans, admirait des chevaux supérieurs en taille, en force, en beauté aux chevaux mêmes d'Arabie. Du temps d'Arrien, les Arabes n'étaient encore que des pasteurs de brebis et de chameaux. Enfin, ce qui serait sans réplique, c'est que, dans les premières guerres allumées en Arabie par l'islamisme, on ne voyait de cavalerie ni dans l'armée du prophète, ni dans l'armée de ses ennemis, et que, dans les riches dépouilles qu'il recueillit après la victoire, il n'y eut pas un seul cheval.

D'où viennent donc à l'Arabie ces chevaux que le monde entier lui envie de nos jours? Du temps d'Arrien, et sans doute depuis des siècles, au nombre des objets qu'on exportait d'Égypte en Arabie pour le commerce, se trouvaient des chevaux que l'on offrait aux princes arabes, avec des vases d'or et d'argent et des métaux monnayés. Ces tributs étaient acquittés sur différents points de la Péninsule. Plus tard, pour se concilier l'amitié de ces mêmes princes, des empereurs grecs firent passer en Arabie quelques centaines de chevaux de Cappadoce, lesquels, avec les chevaux nyséens, ont été les plus célèbres de l'antiquité. C'est à ces faibles commencements que l'Arabie doit ces chevaux superbes qui sont aujourd'hui pour elle un titre d'orgueil et une source de richesses plus féconde que ses aromates. Au huitième siècle, elle n'en avait encore qu'un petit nombre et de peu de valeur; mais en 1272, le Vénitien Marco-Polo, étant à Aden, voyait embarquer une infinité de chevaux arabes que l'on transportait dans toutes les parties de l'Inde, où l'on en donnait des prix très-élevés. Or, Aden touche au

Nedjd, dont je parlerai tout à l'heure; et du reste ne vous étonnez pas d'une propagation si rapide; on sait avec quelle vitesse va la multiplication des animaux. Ces chevaux, devenus sauvages, qui courent par millions dans les vastes plaines de l'Amérique, entre la rivière de la Plata et la Patagonie, d'où viennent-ils ? d'un petit nombre de juments et de chevaux abandonnés, il y a trois siècles, dans ces déserts, par quelques aventuriers espagnols.

Ainsi donc, loin d'avoir été le berceau primitif du cheval, l'Arabie serait, au contraire, la dernière partie de l'ancien monde, où le cheval s'est naturalisé. Voilà pourquoi ces fastueuses généalogies que l'on faisait remonter jusqu'à Salomon et même jusqu'à Ismaël n'ont quelque authenticité que depuis une époque très-rapprochée. L'Arabie n'a donc pas donné le cheval, elle l'a reçu; mais elle l'a perfectionné; elle a rempli, sans y songer peut-être, le plus noble rôle que l'homme puisse jouer sur la terre, qui serait, à commencer par lui-même, de rendre accomplies les œuvres du Créateur. En Arabie, tout conspire pour le cheval. Ce sont les soins qu'il reçoit qui forment son paisible et généreux caractère, et qui l'identifient avec l'homme: c'est le lait de chamelle et la chair cuite dont il est si souvent nourri qui concourent, avec la sécheresse et la chaleur du climat et du sol, à donner à ses solides cette fermeté, cette fixité de composition qui le rapproche du chameau et le rend comme lui sobre, agile, rapide, patient, infatigable. Au rapport de d'Obsonville, un régime analogue est suivi dans les Indes; il l'était depuis longtemps dans les villes barbaresques que visitait, du temps de Léon X, son protégé Léon l'Africain. Selon lui, le cheval élevé pour la chasse ne prend du lait de chamelle que deux fois par jour; il est maigre, svelte, élégant, et si rapide, qu'il passe à la course les plus vites des animaux. Le cheval destiné à la guerre est nourri autrement : il a plus de corps et d'apparence; mais il n'a ni la même légèreté, ni la même vitesse.

Je reviens à la patrie du cheval. S'il n'est pas né dans l'Arabie, où donc est-il né? Partout, le nouveau monde excepté. Serviteur de l'homme, il est comme lui cosmopolite : il l'accompagne, il le suit partout. Dans l'ancien monde, où l'Arabie n'est qu'un point, on le rencontre dans toutes les époques, chez tous les peuples, sous toutes les latitudes, avec des variétés infinies de forme, de taille, de couleur, de force et de talents naturels. Il a même précédé le monde que nous habitons, puisqu'on trouve ses débris mêlés avec ceux des animaux perdus.

Assurément ces chevaux fossiles n'étaient point venus d'Arabie. Le nord-est de l'Asie a eu des chevaux avant nous : : il en a probablement peuplé tout le nord de l'Europe; et, si malgré cette sorte de priorité nous voulions donner au cheval un autre point de départ, nous le ferions naître, non dans les environs du Caucase, mais dans l'intérieur de l'Afrique. Au nombre des animaux singuliers qu'elle nourrit, l'Afrique compte en effet, dans le genre cheval, plus d'espèces que n'en peut compter l'Asie; et s'il était vrai que le meilleur fût toujours le premier, ce qui n'est pas, nous dirions que le cheval africain est la souche, l'origine et le type de tous les autres. Né presque dans le centre de ce grand continent, avec toutes les belles qualités de l'arabe et du barbe, sans avoir un de leurs défauts, ce cheval si parfait se serait, avec le temps, répandu vers l'est en Égypte, en Syrie, dans la Mésopotamie, dans la Perse et même en Grèce, à travers la Méditerranée, comme le prouverait la fable de Neptune; puis, vers l'ouest, dans toute la Barbarie, et de là en Espagne, en Sicile, en Italie et sur le littoral de la Gaule: montant ainsi du midi vers le nord, tandis que les races du nord descendant vers le midi, ces deux grandes races se sont enfin rencontrées, selon la conjecture de Fréret, aux deux revers de l'Apennin: se modifiant de part et d'autre dans ces migrations, et recevant des climats, des localités, de la nourriture et de leurs propres mélanges, tous les changements que de semblables causes impriment toujours à la matière animale.

A l'égard des races, dont il est aisé maintenant d'entrevoir les origines, Huzard n'admettrait, comme je l'ai dit, qu'une race primordiale, celle des chevaux sauvages. Il décrit l'extérieur et les habitudes de ces animaux, par comparaison avec l'extérieur et les habitudes des chevaux domestiques. Mais sous des climats et dans des lieux divers, cette race primordiale est-elle partout la même? Comprend-elle et les chevaux sauvages de la Tartarie, l'hémionus d'Homère et de Pallas, ou le dziguettai de Gmelin; et ceux que l'on a récemment découverts sur les croupes de l'Himalaya et que l'on prendrait pour des daims; et ceux des haras de Russie et de Pologne ; ceux même de la Camargue, et ceux que l'on voit encore dans l'intérieur de l'Afrique, et dont le Maure se nourrit quelquefois; tous ces chevaux sauvages, avec ceux des pampas de l'Amérique, sont-ils tous exactement semblables? ne different-ils pas, au contraire ? Et quand elles sont bien marquées, ces différences n'indiquent-elles pas autant de races naturelles, distinctes,

[ocr errors]

indépendantes? Mais ces chevaux se suffisent à eux-mêmes; ils sont inutiles à l'homme; ils seraient même ses ennemis : c'est en les maîtrisant, c'est en les pliant à ses différents services, c'est en les engageant dans des alliances inaccoutumées, quel'homme fait contracter à leur économie des formes et des aptitudes toutes nouvelles, et qu'en les rendant ainsi différents d'eux-mêmes il créeles races que l'on connaît; races toutes factices et qui n'existeraient pas, selon Huzard, si l'homme n'eût existé. La nature aurait donc deux grandes races, celle du Nord et celle du Midi, comme le dit Pascual; mais l'art a aussi les siennes, plus nombreuses peut-être et plus variées; et cet art de les multiplier pour les approprier à nos besoins, cet art est d'autant plus admirable qu'on y voit une fidèle imitation de la nature, laquelle, dans ses différents ouvrages, associe constamment deux choses qui sont en effet inséparables, la diversité et l'inégalité. Or, l'inégalité, contre laquelle tant d'esprits se révoltent, l'inégalité est, après la vie, le premier de tous les biens. Considérez la famille. Si tous les êtres qui la composent étaient parfaitement égaux, comment subsisterait-elle? Transportez cette égalité parfaite dans la grande famille qui est la société, vous détruisez la société. Ce sont les besoins qui rapprochent les hommes. Quels besoins auraient l'un de l'autre deux hommes absolument égaux? Comment celui-ci demanderait-il à celui-là un secours qu'il aurait en lui-même ? En mettant l'inégalité entre les hommes, la nature a voulu les rendre nécessaires l'un à l'autre ; et c'est par cette nécessité réciproque qu'ils apprennent à s'entre-servir et à s'aimer. L'inégalité est donc le principe de la société; l'égalité en serait la négation; tandis que la justice ou plutôt l'équité en est le ciment; l'équité, c'est-à-dire l'équilibre entre les services. Il y a plus. La nature a voulu, par l'inégalité des saisons, nous former à la prévoyance et à l'économie; et, par l'inégalité des climats et des terres, nous conduire aux bienfaits du commerce et 'aux prodiges d'une civilisation universelle. Cette civilisation veut que le faible obéisse, mais elle veut que le puissant protége; ou plutôt elle ne veut qu'unir toutes les forces pour l'intérêt commun : et de même qu'un homme n'a de prix parmi ses semblables que par les services qu'il leur rend, de même aussi, parmi les animaux, une race n'a de valeur que par l'espèce et la quantité du travail qu'elle produit. Je dis l'espèce et la quantité; et c'est sur ce fond qu'à l'égard des chevaux, après les races tartare, arabe, persane, turque, barbare, viennent les races d'Europe, c'est-à-dire les races d'Espagne, d'Italie, de Suisse, de

C

France, d'Allemagne, de Hollande, de Danemark, et finalement d'Angleterre. Pour nous en tenir aux seuls chevaux européens qui nous touchent le plus, Huzard fait voir comment, en Suisse, en Hollande, en Danemark, en Prusse et surtout en Angleterre, les chevaux se soutiennent et même se perfectionnent; tandis qu'en Espagne, en Italie, en France, sous des climats plus faits pour le cheval, les races se sont appauvries et détériorées. C'est ici, messieurs, que je dois vous entretenir d'un ouvrage que Huzard fit paraître en l'an x, sous le titre d'Instruction pour l'amélioration des chevaux en France, ouvrage que le gouvernement fit imprimer. Là, Huzard met sous vos yeux les principales causes d'une si malheureuse décadence, et là, vous voyez à quel point, dans les affaires humaines, le bien et le mal sont étroitement liés. L'ancienne féodalité avait formé, pour la chasse et la guerre, des haras magnifiques. Richelieu abaissa la féodalité, et fit tomber avec elle ces harás si utiles. Colbert, sous Louis XIV, s'appliquait à les rétablir; mais il fut traversé par les embarras de la politique, par les malheurs des temps, par les épizooties: les épizooties, au nombre desquelles je rangerai la guerre, cette honteuse et cruelle maladie de notre espèce. Tant de calamités coûtèrent à la France plus de 100 millions qu'il fallut livrer à l'étranger pour le prix de cinq cent mille chevaux. Où va le sang des peuples! On prétend même que, depuis cette époque, la France a régulièrement dépensé pour le même objet près de 30 millions chaque année. Dans le dernier siècle, toutefois, on avait créé des haras; on les avait mis sous la conduite d'une administration mobile, ignorante, inappliquée et trompée, comme il arrive presque toujours, par des subalternes. En 1790, au lieu de découvrir les abus et d'y porter remède, au lieu de conserver les précieux restes qu'on avait encore et de renouer sur de meilleurs principes cette œuvre de perfectionnement, on supprima tout. Après cet acte d'étourderie, les étalons les plus rares, les juments pleines, les poulains de la plus belle apparence furent vendus, mutilés, dispersés; presque tout disparut. Enfin la guerre vint, cette guerre, que nous avons vue, et qui mit le comble à la ruine. Une réquisition violente et rapace arrachait au fermier ses meilleurs chevaux, dépouillant ainsi le présent et détruisant l'espérance de l'avenir. Tremblant pour sa propre vie, le possesseur de quelques animaux de choix avait hâte de s'en défaire à vil prix, et n'avait plus pour cultiver ses terres que des animaux de rebut, dont il était contraint de tirer, par des alliances prématurées, une progéniture sans vigueur et sans beauté,

« PreviousContinue »