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séduisirent, électrisèrent ses auditeurs, à ce point qu'au sortir d'une de ses leçons, ils jetèrent au feu, dans la cour même de l'université, les écrits d'Hippocrate, de Galien, d'Avicenne et d'Averrhoës. Cette scène était le pendant de l'auto-da-fé de Wittemberg (1520), où Luther avait livré aux flammes les bulles du saint-siége.

Cette époque est l'apogée de la gloire de Paracelse ou plutôt de l'enthousiasme qu'il inspira. La nouveauté de ses idées, la véhémence de sa parole, l'usage qu'il adopta de professer en langue vulgaire, ses cures merveilleuses, tout avait contribué à lui faire de fanatiques partisans. Les princes l'appelaient auprès de leur personne et le comblaient de présents et de faveurs; les savants le consultaient et correspondaient avec lui. Un pareil succès ne se soutint pas longtemps. Paracelse porta la fureur de l'innovation au delà de toutes les bornes et jusqu'à l'extravagance. Avant l'âge de vingt-cinq ans, il avait été sobre et n'avait bu que de l'eau, mais dès lors il contracta des habitudes d'intempérance, des penchants ignobles; il se livra à une société indigne de lui. Il s'enivrait habituellement, se couchait tout habillé, dormait peu et s'éveillait au milieu de la nuit, comme transporté d'enthousiasme et de frénésie. Son accès dissipé, il dictait quelques chapitres de science; mais on conçoit qu'écrivant sous l'inspiration d'une sorte d'ivresse et dédaignant en quelque sorte l'observation réfléchie, ses idées devaient être aussi bizarres que désordonnées.

Déjà se formait contre lui une ligue d'ennemis redoutables; quelques revers dans sa pratique avaient aussi ébranlé sa réputation. Thomas Éraste, qui devait lui succéder dans sa chaire, Oporin, son secrétaire et son ami,

qu'il avait eu la maladresse de s'aliéner, répandirent sur sa conduite des insinuations malveillantes. On ne tarda pas à le regarder comme un fou ou un charlatan. On lui fit des procès, on l'attaqua par des sarcasmes (1). Paracelse ne sut pas résister à ces outrages, il renonça à son enseignement, à sa pratique médicale, il quitta Bâle et reprit sa vie de théosophe ambulant. Cette existence nomade se prolongea pendant plusieurs années. Enfin le 24 septembre 1541, à la suite d'une partie de débauche, il fut frappé d'apoplexie, et mourut à Salzbourg, dans un hôpital, à l'âge de 48 ans.

On peut envisager Paracelse sous plusieurs points de vue; mais celui qui nous intéresse davantage, et qui fait l'objet principal de cette étude, se rapporte à l'impulsion, à la direction nouvelle qu'il donna à la chimie. Toutefois, et bien qu'il soit difficile de coordonner en une doctrine générale les travaux et les idées de ce singulier personnage, nous ne saurions nous empêcher de dire quelques mots des théories de diverses natures qui se rattachent à son nom.

Au commencement du seizième siècle, la démonologie et l'art cabalistique préoccupaient encore tous les esprits. En vain l'astrologie avait été proscrite par une bulle du pape, par la faculté de Paris, et l'alchimie par le sénat de Venise; ces prétendues sciences étaient encore enseignées sérieusement dans la plupart des écoles. Des hommes d'un vrai savoir ne se défendaient point d'en être les partisans. Georges Agricola, Jean Bodin, Jérôme Cardan, Thomas Éraste, en étaient les ardents défen

(1) Ses ennemis l'appelèrent Cacophraste (méchant parleur), par opposition avec son prénom de Théophraste (à la parole divine).

seurs; Félix Plater, Ambroise Paré, le judicieux Fernel lui-même n'étaient pas éloignés d'y ajouter foi. Dans le cours du même siècle, la peste et d'autres épidémies ayant éclaté, on s'adressa d'abord à l'astrologie, aux pratiques de la cabale, puis à tout l'arsenal de la polypharmacie arabe. Ces moyens épuisés, on eut recours à l'alchimie, qui en offrit de tout nouveaux, dont quelquesuns se montrèrent plus efficaces et attirèrent vivement l'attention des observateurs.

C'est dans cette situation que se trouvaient les esprits lorsque Paracelse se présenta comme l'instigateur d'une réforme absolue dans les doctrines médicales. Mais l'audace, le dédain, les attaques violentes contre les opinions admises ne pouvaient suffire, et il fallait au réformateur une doctrine nouvelle, propre à remplacer celle qu'il prétendait renverser. Il commença par émettre une sorte de théorie physiologique fondée sur l'application de l'astrologie aux fonctions du corps humain. Il plaça dans les astres l'origine de la force vitale. Le soleil, dit-il, agit sur le cœur et le bas-ventre, la lune sur le cerveau, Jupiter sur la tête et le foie, Saturne sur la rate, Mercure sur le poumon, Vénus sur les reins, etc. L'homme, suivant lui, étant composé d'un corps et d'un esprit; on ne peut agir sur la partie spirituelle qu'à l'aide de moyens pris en dehors des phénomènes ordinaires de la nature. I croit aux songes pour la révélation des moyens médicaux; il regarde la magie comme le point culminant des sciences; son étude est la première condition à remplir pour celui qui se destine à la carrière médicale. Enfin, il va jusqu'à affirmer que, par le moyen de la cabale et de la chimie, on peut rétablir la santé, conserver la vie et

même donner naissance à des êtres animés (homunculi). Quant à la doctrine chimiatrique dont il se constituait en même temps le fondateur et le chef, elle se réduisait à cette proposition: que la composition du corps de l'homme étant formée par le concours d'un sel, d'un soufre et d'un mercure sidérique, c'est-à-dire immatériels, et les maladies ayant pour cause l'altération de ce composé, on ne pouvait les combattre qu'à l'aide des moyens chimiques, combinés avec l'influence des

astres.

Pour expliquer l'action des médicaments, aux qualités élémentaires de Galien il substitua un être de raison: l'archée, qui semble remplir le rôle de la nature dans le jeu de nos organes, qui combine les éléments, choisit les matériaux propres à la nutrition, chasse les impuretés et rétablit l'équilibre des fonctions physiologiques. L'archée est pour lui l'esprit de la vie, la partie sidérale du corps de l'homme; son affaiblissement entraîne les maladies et même la mort. C'est à peu près le principe vital des modernes. Comme il avait adopté le système des génies, il en attache un à chaque objet naturel et lui donne le nom d'esprit olympique. C'est de là que part l'idée des rapports qui existent entre l'homme et tous les êtres créés et cette croyance, si longtemps admise, qui attribuait à certaines substances des propriétés fondées sur les formes naturelles qu'elles affectent.

Paracelse ouvrit, comme on voit, le premier enseignement de chimie dogmatique. A partir de ce moment, une ligne de démarcation assez tranchée s'établit entre les chimistes sérieux et les souffleurs ou alchimistes. Ceux-ci continuèrent leurs vaines recherches, et les autres pou:

suivirent l'application des faits positifs à la médecine et à l'industrie.

Il commença par attaquer vivement la doctrine des quatre éléments d'Empedocle et d'Aristote, auxquels il substitua les trois éléments de Basile Valentin, modifiés suivant les idées cabalistiques. Ainsi, le sel, le soufre et le mercure qui, selon lui, entraient dans la composition de tous les êtres naturels ainsi que dans le corps humain, et qui le mettaient en rapport avec les corps célestes, étaient la source de la consistance, de la combustibilité et de la fluidité des différentes parties de l'organisme. Ce système était aussi une modification de la doctrine d'Anaxagore, qui croyait tous les corps composés de terre, d'eau et de feu.

Malgré tout le vague et la singularité de ces théories, on ne peut nier que Paracelse ait avancé la science par des recherches propres et par la découverte de plusieurs faits dont on trouve la première mention dans les écrits qu'on lui attribue. Ainsi, il est certain qu'il fit mieux connaître les préparations antimoniales, mercurielles, salines, ferrugineuses; il émit le premier cette pensée que certains poisons peuvent, à dose modérée, être employés comme médicaments. Il préconisa l'usage des préparations de plomb dans les maladies de la peau, celles d'étain contre les affections vermineuses, les sels de mercure dans la syphilis; il se servit du cuivre et même de l'arsenic à l'extérieur comme rongeants. Il employa l'acide sulfurique dans les maladies saturnines, mode de traitement qui est resté dans la science. Il distingua l'alun des couperoses, en remarquant que le premier contient une terre, et les secondes des métaux. Il mentionna

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