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déine, car il annonçait avec une certaine assurance que la morphine n'était pas le seul alcaloïde contenu dans l'opium.

Courtois est mort le 27 septembre 1838 sans laisser à sa veuve et à son fils autre chose qu'un nom devenu justement célèbre. Mais il ne faut pas croire que la science ait été ingrate envers l'auteur d'une aussi belle découverte. Des cotisations spontanées, des secours obtenus de l'administration, sont venus en aide à cette touchante infortune, et tout récemment encore, la Société d'encouragement vient d'assurer dignement l'existence de l'unique héritière de ce nom, désormais cher à la science comme aux arts et à l'industrie.

ALPHONSE DUPASQUIER

(1793-1848)

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Qu'est-ce que la vocation ?... Si l'on entend par ce mot une aptitude spéciale, mais exclusive, à un art, à une science, à une profession, peut-être ne faut-il pas trop ambitionner ce rare privilége. Sans doute ceux qui en sont doués, si le sort les favorise, peuvent prétendre à la renommée, à la fortune, à des succès exceptionnels ; mais aussi, lorsqu'ils sont détournés de leur unique voie, ils n'ont guère que la chance de rester toute leur vie médiocres ou malheureux. D'autres, pourvus d'une organisation moins éminente, mais plus générale, sont appelés à comprendre, à sentir, à s'approprier tout ce qui est du domaine de l'intelligence et de l'âme; ils savourent à leur gré tous les fruits de ce vaste champ, ils ne sont étrangers à rien de ce qui touche l'humaine nature, et si, dans une sphère de labeur et de modestie, la gloire et la fortune leur font parfois défaut, ils ont du moins soulevé peu de rivalités, soutenu des luttes moins pénibles, et à coup sûr ils ont vécu plus heureux.

L'homme éminent, l'excellent ami auquel nous consaerons ces lignes, fut au nombre de ces derniers. Gaspard Alphonse Dupasquier naquit le 27 août 1793, à Chessy,

petite ville du département du Rhône, célèbre par ses mi nes de cuivre. Des circonstances cruelles entourèrent sa naissance. Son père habitait Lyon, alors assiégé par l’armée révolutionnaire. Sa mère, obligée de fuir, rejoignait péniblement et à pied la demeure de sa famille. A peine arrivée, elle mettait au monde ce fils qui devait un jour tenir dans les sciences médicales un rang si honorable et si distingué.

Une intelligence précoce, un goût décidé pour les sciences et surtout pour l'histoire naturelle signalèrent son enfance. Son père, qu'il eut le malheur de perdre avant d'avoir atteint l'âge de douze ans, avait du moins indiqué la direction qu'il aurait à suivre; il le destinait à l'une des professions médicales. A peine Alphonse avait-il achevé le cours assez incomplet de ses études classiques, qu'il entra dans une pharmacie de Lyon. Là, ses goûts et ses aptitudes se trouvaient réunis. Après un stage de quelques années, on l'envoya à Paris. Il y suivit les cours des grandes écoles et, tout en recueillant les connaissances qui intéressent particulièrement la pharmacie, il reprit en sous-œuvre ses études littéraires et ne laissa pas de s'occuper de toutes les sciences qui se rapportent à la médecine, prévoyant sans doute qu'il s'élèverait jusqu'aux plus hauts degrés de cette belle profession. De retour dans sa famille, il suivit les cours et la clinique de l'Hôtel-Dieu de Lyon. Deux ans après, il se faisait recevoir à l'École de pharmacie de Paris, ce qui lui valut, la même année, le titre de membre adjoint du jury médical du Rhône. Néanmoins, il revint à Paris une troisième fois, avec l'intention d'obtenir le grade de docteur en médecine, projet qu'il ne tarda pas à réaliser.

Sa thèse inaugurale avait pour titre: De l'imagination et de son influence sur l'homme, dans l'état de santé et de maladie, sujet à la fois médical et philosophique qu'il développa avec une méthode et une habileté remarquables. Une érudition choisie, un style correct et élégant distinguent ce travail de ces dissertations où l'affectation du langage scientifique le dispute à l'aridité des formes de l'école. La thèse de Dupasquier révélait en même temps un observateur, un philosophe et un écrivain.

Pourvu de ses titres et de nombreuses connaissances puisées à toutes les sources, il revint s'établir à Lyon, bien décidé à se livrer à la pratique de la médecine. Toutefois, il faut le dire, il lui manquait quelque chose pour que ce fût là sa véritable vocation. Je me trompe, il lui eût fallu, pour réussir, restreindre ses facultés, ses aptitudes, trop nombreuses peut-être et trop variées. On sait que la pratique médicale est exclusive et s'accommode difficilement avec un goût prononcé pour des connaissances qui semblent étrangères à sa nature. Si la médecine, la plus vaste, la plus générale de toutes les sciences, a des points de contact avec toutes les branches de l'arbre encyclopédique, le médecin praticien doit souvent résister à certaines tendances qui, en fractionnant ses préoccupations, l'éloigneraient malgré lui de ses devoirs obligés. Cette concentration sur un seul ordre de pensées, Alph. Dupasquier en était presque incapable. Un fait nouveau, important appelait son attention, s'emparait de lui vivement, et comme son intérêt s'attachait à tout ce qui est du ressort de l'intelligence, il avait bien de la peine à revenir ensuite aux faits ordinaires de la pratique médicale. Et cependant, bien qu'entraîné perpétuellement

hors du cercle de ses études professionnelles, il s'y voua avec résolution pendant plus de douze années. Nommé 'médecin de l'Hôtel-Dieu de Lyon, après un concours dans lequel il se plaça au premier rang, il en exerça assidûment les fonctions pendant une période de dix années. Membre et doyen du jury médical, secrétaire général de la Société de médecine, membre et président de l'Académie, du conseil de salubrité et toutes les Sociétés savantes de la même ville, fondateur du Journal clinique des hôpitaux de Lyon, il paya largement sa dette aux sciences médicales, et accomplit avec autant de zèle que de dévouement les devoirs impérieux de sa profession.

Cependant des excursions fréquentes hors de ces limites accusaient toujours ses tendances instinctives. Il écrivait de nombreux articles dans les journaux quotidiens; dans l'un d'eux, il dirigeait à la fois la partie scientifique, artistique et littéraire. Fondateur et secrétaire de la Société linnéenne, de la Société de lecture, de la Société des amis des arts, il donnait à toutes ces réunions l'impulsion et la vie. Dans une ville où les beaux-arts et les lettres n'ont que d'assez rares sectateurs, il savait en rassembler les éléments, en ranimer le culte, en exciter les progrès, et prouvait en même temps, par son exemple, que leur étude est loin d'être incompatible avec celle des sciences les plus ardues et les plus relevées.

En 1833, une maladie grave l'éloigna pendant près d'une année de la pratique médicale. Après cette interruption il se décida à y renoncer, et se résolut à suivre exclusivement la carrière scientifique. Nommé en 1834 professeur de chimie à l'École de la Martinière (1), et

(1) La ville de Lyon doit aux libéralités de l'un de ses enfants, le

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