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dier, il se livra lui-même à ce travail rempli de dégoûts; il essaya un certain nombre de réactifs et, par une suite de raisonnements ingénieux, il fut conduit à l'emploi de l'eau de Javelle, qui lui parut remplir assez bien son objet. Il fit part de ces premiers résultats à Cadet-Gassicourt, qui avait soulevé la question dans le sein du conseil de salubrité et qui l'excita à poursuivre ses recherches. Labarraque le lui promit ; mais il hésitait encore, lorsque Cadet vint à mourir. Notre confrère regarda dès lors son honneur comme engagé dans une promesse que la mort rendait irrévocable, et il se livra au travail avec une activité, une ardeur qui ne se ralentit pas un instant. En moins de quarante jours, les expériences furent terminées, le mémoire fut écrit et remis à la commission.

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Labarraque obtint le prix; et, sans se réserver le secret de sa découverte, il en publia aussitôt les détails sans aucune restriction, bien qu'il n'y fût pas obligé par les conditions du programme. L'année suivante (1823), l'Académie des sciences lui accorda le prix Montyon pour l'assainissement des arts insalubres. Plus tard, en 1826, l'Académie de Marseille lui décerna une médaille pour l'application des chlorures à l'hygiène et à la thérapeutique. Nommé chevalier de la Légion d'honneur en 1827, élu successivement membre du conseil de salubrité et de l'Académie de médecine, un grand nombre de Sociétés savantes étrangères s'empressèrent également de l'admettre dans leur sein. Ajoutons qu'il ne tarda pas à trouver dans sa découverte, devenue une nouvelle industrie, la source d'une honorable fortune, et d'une considération personnelle à laquelle il n'attachait pas moins de prix.

On le voit; la société n'est pas aussi ingrate qu'on le

proclame sans cesse. Elle tient assez de compte à ceux qui se dévouent pour elle, de leurs efforts, de leurs succès, et leur accorde assez largement ce qui fait l'ambition bien légitime de tout homme de cœur et d'intelligence. Mais c'est que les conséquences de la découverte de Labarraque ne s'étaient pas bornées à la solution du problème proposé par la Société d'encouragement. Les applications de ses chlorures se multipliaient chaque jour. Après la désinfection des ateliers de boyauderie, ils avaient servi à l'assainissement des halles, des abattoirs, des amphithéâtres anatomiques. On en avait fait usage avec succès dans les hôpitaux, les lazarets, les prisons, les infirmeries de la marine, dans les magnaneries, les étables, dans une foule d'ateliers insalubres. L'assainissement d'un égout venait d'épargner à la ville de Paris une dépense évaluée à un demi-million; celle des équipages militaires avait sauvé des sommes considérables à l'administration de la guerre. Les chlorures rendaient les plus grands services dans l'exhumation des cadavres, les recherches de médecine légale, les embaumements, les solennités funéraires; enfin, lors de la première invasion du choléra, ils avaient rendu presque populaires les mesures relatives à l'assainissement des habitations, et fait faire à l'hygiène publique ainsi qu'à l'hygiène privée, un pas important désormais acquis à la science comme à la société.

C'est surtout la poursuite infatigable de ces résultats qui caractérise la découverte de Labarraque. Notre confrère en effet, ne s'est jamais posé comme l'inventeur du chlore, ni des chlorures. Les propriétés désinfectantes du chlore gazeux avaient été mises en lumière par Guyton-Morveau, celles des chlorures, comme décolo

rants, avaient été l'objet des travaux de Berthollet, l'eau de Javelle était un produit placé dans toutes les mains. Labarraque n'a pas imaginé davantage leur composition, leur fabrication, leur théorie. Aussi, s'il fallait défendre sa modestie bien réelle contre des insinuations plus d'une fois émises avec peu de bienveillance, il nous suffirait de transcrire le paragraphe suivant de son premier mémoire : l'Art du boyaudier (p. 71).

« Pour donner un intérêt chimique à cette note, dit-il, « on devrait faire encore plusieurs expériences, entre << autres celle de déterminer si, dans le moment où la « putréfaction se détruit, il se forme une combinaison, << quelle est la nature du ou des gaz qui se dégagent, etc.? « mais il y aurait de la témérité à moi, qui peut-être n'ai « jamais possédé assez d'aptitude pour me livrer avec « succès à des recherches, et qui, depuis quinze ans me « suis presque uniquement occupé d'une partie de la <«< chimie qui ne demande que la rigoureuse exactitude « des procédés reconnus bons, pour en faire l'application « à l'art de guérir; il y aurait de la témérité, dis-je, à me << livrer à des travaux sur un sujet qui a été étudié par les << premiers chimistes de l'Europe. Si même je me suis per« mis quelques détails, on ne doit l'attribuer qu'au désir << naturel à tout homme de se rendre compte, autant que << ses facultés le lui permettent, des faits qu'il observe, « en se les expliquant d'une manière satisfaisante pour « lui, et en attendant que les habiles en fixent la « théorie. »

Mais ce qui lui appartient bien réellement, c'est l'idée de l'application des chlorures à la désinfection des matières animales, c'est leur substitution à l'emploi du chlore

gazeux dans une multitude de circonstances où l'action de ce gaz ne pouvait pas atteindre les causes d'infection; c'est la pensée que les chlorures liquides, en cédant leur alcali aux matières grasses, laisseraient dégager le chlore à l'état naissant et d'une manière continue, enfin, c'est surtout la persévérance, le courage, l'abnégation qu'il mit à propager ses convictions, en multipliant les expériences. Quel que soit l'amour des hommes pour la nouveauté, on sait les efforts qu'exige le triomphe d'une vérité nouvelle, lors même qu'elle porte tous les caractères d'un bienfait public. On ne saurait dire tout que ce Labarraque eut à faire pour rendre bien évidents les résultats de sa découverte et pour en populariser les applications. Souvent obligé d'opérer de ses propres mains, de surmonter d'horribles dégoûts, de s'exposer à des dangers réels, il eut encore à lutter contre la prévention, la routine, le mauvais vouloir et même la mauvaise foi. Le rapport de Robiquet à la Société d'encouragement, rappelle ce fait remarquable qu'après la désinfection complète d'une boyauderie, les ouvriers se plaignirent qu'on avait empoisonné leur atelier, parce qu'il restait dans l'atmosphère quelques traces de chlore qui n'étaient pas même sensibles à l'odorat des experts.

Dans le cours de ses premières recherches, M. Labarraque avait remarqué un fait qui jusqu'alors avait échappé aux anatomistes : c'est que les intestins des carnivores ont une membrane péritonéale très-épaisse et la muqueuse mince, tandis que chez les herbivores, la membrane externe est mince comme une pelure d'oignon et l'intérieure très-épaisse. Il attribua cette différence à la nature des aliments qui, pour les herbivores, étant plus

durs, obligent les intestins à se contracter plus violernment et plus longtemps, tandis que chez les carnivores, ils sont d'une assimilation plus facile.

Étienne Geoffroy Saint-Hilaire a fait remarquer l'importance de cette découverte anatomique dont il laisse tout l'honneur à Labarraque; elle suffisait assurément pour rendre incontestable son talent d'observation.

Outre l'Art du boyaudier, qui parut en 1822, M. Labarraque a publié en 1823, une brochure intitulée : De l'emploi des chlorures de sodium et de chaux; une Note sur une asphyxie produite par les émanations d'une fosse d'aisance (1825); une Note sur la préparation des chlorures désinfectants (1826); enfin plusieurs Rapports présentés au conseil de salubrité de Paris, entre autres, sur l'exhumation des cadavres déposés en juillet 1820, dans les caveaux de l'église Saint-Eustache,

Labarraque avait un caractère généreux, plein de bienveillance, un cœur affectueux, une âme sincère et expansive. Il était d'un commerce aimable, d'un abord franc et ouvert. Quel que soit le succès personnel que ses travaux lui méritèrent, on peut affirmer qu'il fut encore plus fier de leurs résultats immenses en faveur de la salubrité publique. Sa découverte lui avait valu de hautes relations et de précieuses amitiés. « Honneur à << vos chlorures! lui écrivait, de Syrie, l'éloquent Pa« riset, allant essayer l'emploi de ses produits contre « la peste d'Orient. Si je vous représentais en hié«roglyphe, je vous mettrais à la main la clef de vie... « Je vous assure que mes amis et moi ne respirons que << le bien; j'ai l'âme nette et blanche de tout autre sen« timent. Dans ma jeunesse, quand j'allais à la bataille,

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