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Les alchimistes du moyen âge avaient puisé leur illuminisme dans leur soif de l'or, Paracelse l'avait trouvé dans son orgueil; Van Helmont puisa l'exaltation de ses idées dans une source plus respectable, dans une piété sincère et dans son dévouement à la science. S'il fallait le distinguer par d'autres traits du chef de l'école chimiatrique, nous dirions que s'il lui ressemble par l'ardeur avec laquelle il combattit le galénisme, si, comme Paracelse, il fit des concessions à la théosophie, à l'astrologie, à la philosophie cabalistique et surnaturelle, il en différa notamment en ce qu'au lieu de renchérir sur la doctrine du maître, il ne chercha qu'à en affermir les bases, à spécialiser ses applications. Si la pente de son esprit le porta, comme lui, à exagérer ses opinions, à émettre des vues excentriques, il le surpassa hautement par un savoir positif, par une érudition étendue, par la patience, par la logique, mais surtout par la noblesse et l'élévation des sentiments. Il tient à la fois de l'illuminé et du savant consciencieux, mais l'honnêteté de l'âme forme avant tout son principal caractère. Tantôt penseur vigoureux, au raisonnement sévère, au langage prophétique, tantôt humble et modeste, crédule et superstitieux, il se montre partout d'une candeur et d'une sincérité irréprochables. C'est un des savants qui honorent le plus l'histoire de la science; c'est un des hommes qui ont mêlé le plus de vues profondes et hardies aux erreurs et aux caprices d'une imagination enthousiaste, l'un de ceux qui, à travers les bizarreries et les conceptions d'un cerveau fantasque, ont laissé dans la science le plus d'idées neuves et de vérités positives.

Le style de Van Helmont, bien que poétique et fécond

en images, manque souvent de clarté et ne laisse pas de causer quelque fatigue au lecteur. Son obscurité vient de l'emploi qu'il fait très-fréquemment des formes de la dialectique du moyen âge, de l'allégorie si familière aux alchimistes, et des métaphores empruntées au mysticisme. On y trouve néanmoins des fragments remarquables par l'élégance ou par une simplicité toute biblique. Son système des archées est une sorte d'épopée dont le sujet est la physiologie du corps humain. Dans ses écrits contre le galénisme et la scolastique, il fit preuve d'une vigueur et d'une logique qui l'élèvent parfois à la hauteur de Bacon, de Descartes ou de Galilée. Malgré toute son horreur pour la faconde des théosophes, il fut plus d'une fois obligé d'employer leur langage pour exprimer des opinions aussi ingénieuses que fondées. « C'est sur la voie de l'erreur, dit Cabanis, qu'il fit d'heureuses découvertes, et c'est dans la langue des charlatans qu'il annonça de brillantes vérités. »

La majeure partie des écrits de Van Helmont ne fut publiée qu'après sa mort par son fils, François-Mercure, né en 1618 (C). Ce fils qui avait étudié la médecine, esprit singulier, vif et original, se piquait d'érudition et s'adonna également à la chimie. Son existence fut assez désordonnée; il se joignit plus d'une fois à des caravanes de bohémiens pour connaître leurs mœurs, leurs habitudes et pour surprendre quelques-uns de leurs secrets relatifs aux arts. Arrêté en Italie, par l'inquisition, pour quelques propos indiscrets, il s'échappa et se retira en Allemagne. Il annonça plus tard qu'il avait retrouvé la langue primitive, universelle, car elle pouvait être comprise par les sourds-muets. Leibnitz avait été frappé de

cette idée et il y ajoutait quelque foi. La variété de ses talents et de ses connaissances lui avait donné une certaine réputation, et comme il faisait de grandes dépenses, on le fit passer pour avoir découvert la pierre philosophale.

Qu'on nous pardonne ces détails en faveur de l'intérêt qui s'attache au nom célèbre de Van Helmont. C'est à ce nom, en effet, que s'arrête la liste des savants du moyen âge auxquels l'histoire scientifique rapporte les premières notions positives que nous possédons sur la chimie. A ce titre, qui déjà commanderait notre respect, les écrits de ces savants méritent, plus qu'on ne croit peut-être, une étude attentive. A côté des faits importants et avérés qu'ils nous léguèrent, se trouve encore plus d'une brillante intuition de leur génie qui gagnerait sans doute à être dégagée de la gangue un peu abrupte qui la recèle. Plusieurs de ces pensées, développées et mûries par temps, par le concours des fous et des sages, des hommes à théorie comme des expérimentateurs sérieux, sont les éléments d'où sortirent et sur lesquels se fondent la plupart de nos connaissances actuelles. Ne soyons donc ni injustes, ni dédaigneux à leur égard, et peut-être leur examen nous inspirera-t-il quelque réserve au sujet des théories qui nous semblent aujourd'hui l'expression réelle et définitive de la vérité. .

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NOTES

(A) Je dois à l'obligeance d'un savant et digne membre de cette dernière famille, M. le baron de Stassart, quelques détails biographiques que je suis heureux d'avoir pu recueillir. J. B. Van Helmont, qui possédait le titre de seigneur de Royenborch, Mérode, Oorschot, Pellines, etc., avait épousé Marguerite Van Ranst, qui se montra constamment la plus dévouée des épouses. Il en eut plusieurs enfants, dont quatre moururent à la fleur de l'âge. L'un de ses fils François-Mercure, baron Van Helmont, fut l'éditeur des œuvres de son père et écrivit lui-même quelques ouvrages assez bizarres, entre autres un travail sur la linguistique, dans lequel il s'appliqua à rechercher les éléments de la langue primitive, et où l'on trouve le germe de la méthode suivie par l'abbé de l'Épée. Une de ses petitesfilles fut chanoinesse de Sainte-Gertrude, à Nivelles. Parmi les huit quartiers de noblesse paternelle qu'elle eut à produire, figuraient les noms de Van Helmont, de Stassart, de Renialme, de Van Ranst, de Vilain et de Mérode. Ce sont les armes de ces ancêtres que l'on voit, avec les portraits de J. B. et de Fr. Mercure, en tête des trois éditions des œuvres de Van Helmont données par son fils, à Amsterdam.

(B) Après Cabanis, G. Cuvier, Gmelin et le docteur Hoefer, qui ont découvert dans ses écrits des aperçus qui avaient échappé à plus d'un biographe, la mémoire du chimiste de Vilvorde doit beaucoup aux études que M. Chevreul a récemment consignées dans le Journal des Savants (février et mars 1850). Nous devons encore citer, parmi ceux qui ont exploré ce sujet intéressant, le docteur Marinus (Bulletin de l'Académie de médecine de Bruxelles, t. X), le docteur Michéa (Gazette médicale, 1846), M. Bordes Pagès (Revue indépendante, juillet 1847), le docteur Guislain (La nature considérée comme force instinctive des organes, Gand, 1844), et M. Melsens, qui a fait de Van Helmont le sujet d'une excellente leçon à l'École de médecine vétérinaire et d'agriculture de Bruxelles, en 1848).

(C) Van Helmont, dans sa jeunesse, avait composé des commentaires sur plusieurs livres d'Hippocrate. Le manuscrit s'étant trouvé parmi les papiers saisis par l'official de la cour ecclésiastique de Malines, lors des poursuites que l'auteur éprouva en 1634, il ne fut pas connu de son fils et ne figure point dans la collection de ses œuvres. M. le docteur Bræckx étant parvenu à se procurer ce manuscrit, en a déjà publié plusieurs fragments, qui font attendre avec impatience la suite de cet intéressant travail.

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