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hommage solennel, en réalisant cette heureuse fiction de la poésie antique, rappelée par Bacon (1), et que son tour ingénieux empêchera sans doute de раraître trop surannée : « A l'extrémité du fil qui repré<< sente la vie de chaque mortel, est suspendue une <«< médaille qui porte son nom. Au moment de sa « mort, le temps détache ces médailles et les jette « dans le fleuve d'oubli. Mais autour du fleuve volti<< gent quelques cygnes qui rassemblent les noms qui «< flottent à la surface, les saisissent et les portent à « l'immortalité. »

Nous avons recueilli quelques-unes de ces médailles, afin de rappeler certains noms dignes de mémoire au souvenir des amis de la science et de la vérité.

(1) De augmentis scientiarum, liv. II, c. vi.

Novembre 1856.

ÉTUDES BIOGRAPHIQUES

PARACELSE

(1493-1541.)

Il y a deux modes d'appréciation applicables aux hommes et aux choses des temps passés : l'un s'attache aux œuvres, aux résultats qui sont restés acquis à la civilisation, l'autre aux circonstances au milieu desquelles les personnages et leurs actes se sont révélés. La réaction du siècle sur les hommes célèbres, et en même temps, l'influence de ces hommes sur leur siècle, telles sont donc les bases du jugement que nous avons à porter sur les uns et sur les autres. Tout examen qui néglige l'un de ces deux éléments risque d'être entaché d'erreur ou de partialité.

Ce qui, à d'autres époques, parut une vérité brillante, peut nous sembler aujourd'hui une déplorable erreur, et la science de nos jours a le droit d'en faire bonne justice; mais l'histoire ne l'apprécie pas avec la même rigueur. Cette théorie, à sa date réelle, fut un pas important dans la recherche du vrai; elle résuma l'état des connaissances, les travaux, les prévisions de l'époque où elle se fit jour; il faut donc lui laisser son cadre naturel. L'historien

de la science ne procède point comme le professeur; ses jugements ne sauraient par conséquent avoir le même caractère. Sans différer au fond sur la valeur absolue

en

des faits, il les considère aussi d'une manière relative, ayant égard aux circonstances qui accompagnèrent leur apparition.

Voilà ce qui explique peut-être les fréquentes dissidences qui divisent les savants et les érudits : les uns n'envisageant le savoir que dans ce qu'il a d'actuel, bornant parfois la science à ce qu'ils savent eux-mêmes et faisant trop bon marché de ce que l'on savait avant eux ; les autres cherchant avec une heureuse obstination, dans les siècles écoulés, les traces d'une découverte dont notre âge s'enorgueillit, et signalant les écueils auxquels nous expose trop souvent la fatale ignorance du passé.

J'avais besoin d'émettre ces vues, au moment où je vais jeter les yeux sur un personnage qui a joui longtemps d'une célébrité assez étrange, et sur lequel ses contemporains, comme la postérité, ont porté des jugements fort contradictoires. Je ne m'étonne donc point de compter surtout, parmi ses contempteurs dédaigneux, les savants, c'est-à-dire les hommes de la science actuelle, contemporaine, et de trouver plus d'indulgence pour ses fautes, plus de bon vouloir pour ses doctrines, parfois même quelque admiration pour son génie, chez les historiens de la science, les explorateurs du passé, en un mot, parmi les érudits.

Philippe Auréole Théophraste Bombast (1) de Hohenheim, plus connu sous le nom de PARACELSE, naquit

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(1) Le mot Bombast est devenu, en anglais, le synonyme de pathos, d'enflure, de jactance.

en 1493, à Einsiedeln, en Suisse, bourg du canton de Schwitz, siége d'une célèbre abbaye de bénédictins, et d'où le réformateur Zwingle lança, un an avant Luther, les premières attaques contre la cour de Rome. Son père; qui avait exercé la médecine à Willach, en Carinthie, était proche parent d'un grand prieur de l'ordre de Malte, ce qui montre qu'il n'était point, comme on l'a dit, d'une origine très-obscure. A la vérité sa première éducation fut négligée ; sa jeunesse fut celle des scolastiques ambulants. Dans ses pérégrinations incessantes, il traitait des malades, il prédisait l'avenir, il pratiquait l'astrologie et la cabale, auxquelles il avait été initié par son père, par l'abbé Tritheim et par d'autres astrologues ou alchimistes allemands. En Saxe, il visita les mines et consulta les métallurgistes; il travailla à la recherche du grand œuvre chez les riches Fugger d'Augsbourg (1). Pendant un voyage en Pologne, il fut pris et emmené par les Tartares, chez lesquels il acquit encore quelques connaissances alchimiques. Il alla ensuite en Égypte, à Constantinople, où il se fit initier aux mystères des adeptes orientaux. Il parcourut enfin toute l'Europe, se mêlant partout aux médecins, aux astrologues, aux charlatans; ne dédaignant pas de demander des secrets et des recettes aux baigneurs, aux vieilles femmes, aux zingares, aux magiciens et même aux bourreaux. Ainsi, ce n'est point dans les écoles ni dans les livres que Paracelse acquit ses connaissances si étendues et si variées, mais à l'aide des voyages et des traditions verbales. Il lisait et écrivait peu; ses leçons et

(1) Cette célèbre famille, enrichie par le commerce, passait aussi pour avoir acquis une partie de sa fortune à l'aide de ses connaissances en alchimie.

les nombreux ouvrages qu'on lui attribue ont été recueillis et évidemment amplifiés par ses élèves et par ses sectateurs.

A cette époque, l'alchimie commençait à perdre de son crédit. Les véritables savants la regardaient comme une déception et l'abandonnaient aux charlatans. Paracelse voulut la réhabiliter dans l'estime publique. Son esprit vif et ardent, son caractère enthousiaste, une instruction cosmopolite, enfin d'heureux hasards lui en fournirent l'occasion. Il avait emprunté ses moyens aux théosophes, aux illuminés comme aux savants des contrées qu'il avait parcourues, et il s'était formé lui-même en pratiquant l'alchimie, la chirurgie et la médecine. Muni de toutes ces armes, il voulut en faire l'application; mais il ne pouvait se résigner à des succès lents et modestes. Quelques tentatives heureuses l'ayant enhardi, il se livra avec emportement à son imagination et crut bientôt à son infaillibilité. De jeunes adeptes, séduits par sa faconde et par le prestige de ses convictions, exaltèrent encore sa confiance, encouragèrent son audace et lui préparèrent ainsi de nouveaux succès.

Paracelse revint dans sa patrie en 1526. Une cure éclatante, celle du fameux imprimeur Frobénius, attira sur lui l'attention générale et lui valut la chaire de physique et de chirurgie à l'université de Bâle. Une fois en possession de cette tribune, son illusion n'eut plus de bornes; il se flatta de dominer la science. Il crut en avoir trouvé les moyens dans les remèdes minéraux qu'il empruntait à l'alchimie. Il rompit avec les traditions de l'antiquité et des Arabes; il se déclara l'égal de tous les médecins présents ou passés. Son assurance et ses mouvements d'inspiré

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