Page images
PDF
EPUB

Quand César expira (7), plaignant notre misère,
D'un nuage sanglant tu voilas ta lumière;
Tu refusas le jour à ce siècle pervers;

Une éternelle nuit menaça l'univers.

Que dis-je ? tout sentait notre douleur profonde,

Tout annonçait nos maux; le ciel, la terre, et l'onde,
Lés hurlements des chiens, et le cri des oiseaux,
Combien de fois l'Etna (2), brisant ses arsenaux,
Parmi des rocs ardents, des flammes ondoyantes,
Vomit en bouillonnant ses entrailles brûlantes!
Des bataillons armés dans les airs se heurtaient;
Sous leurs glaçons tremblants les Alpes s'agitaient;
On vit errer, la nuit, des spectres lamentables;
Des bois muets sortaient des voix épouvantables;
L'airain même parut sensible à nos malheurs;
Sur le marbre amolli l'on vit couler des pleurs :
La terre s'entr'ouvrit, les fleuves reculèrent;
Et, pour comble d'effroi.... les animaux parlèrent,
Le superbe Éridan, le souverain des eaux,

Traîne et roule à grand bruit forêts, bergers, troupeaux;
Le prêtre, environné de victimes mourantes,
Observe avec horreur leurs fibres menaçantes;
L'onde changée en sang roule des flots impurs;

Des loups hurlant dans l'ombre épouvantent nos murs;
Même en un jour serein l'éclair luit, le ciel gronde,
Et la comète en feu vient effrayer le monde.

Aussi la Macédoine (73) a vu nos combattants
Une seconde fois s'égorger dans ses champs;
Deux fois le ciel souffrit que ces fatales plaines
S'engraissassent du sang des légions romaines.

Scilicet et tempus veniet cùm finibus illis
Agricola, incurvo terram molitus aratro,
Exesa inveniet scabrâ rubigine pila,
Aut gravibus rastris galeas pulsabit inanes,
Grandiaque effossis mirabitur ossa sepulcris.

per

orbem,

Di patriæ indigetes, et Romule, Vestaque mater Quæ Tuscum Tiberim et Romana palatia servas, Hunc saltem everso juvenem succurrere sæclo Ne prohibete! satis jampridem sanguine nostro Laomedonteæ luimus perjuria Troja. Jampridem nobis cœli te regia, Cæsar, Invidet, atque hominum queritur curare triumphos. Quippe ubi fas versum atque nefas, tot bella Tam multæ scelerum facies: non ullus aratro Dignus honos, squalent abductis arva colonis, Et curvæ rigidum falces conflantur in ensem: Hinc movet Euphrates, illinc Germania, bellum: Vicinæ, ruptis inter se legibus, urbes Arma ferunt; sævit toto Mars impius orbe : Ut, cùm carceribus sese effudere, quadriga Addunt in spatia, et frustra retinacula tendens Fertur equis auriga, neque audit currus habenas.

[ocr errors]

Un jour le laboureur (74), dans ces mêmes sillons Où dorment les débris de tant de bataillons, Heurtant avec le soc leur antique dépouille,

Trouvera, plein d'effroi, des dards rongés de rouille :
Verra de vieux tombeaux sous ses pas s'écrouler,
Et des soldats romains (75) les ossements rouler.

O père des Romains, fils du dieu des batailles !
Protectrice du Tibre, appui de nos murailles,
Vesta! dieux paternels (76), ô dieux de mon pays!
Ah! du moins que César rassemble nos débris!
Par ces revers sanglants dont elle fut la proie
Rome a bien effacé les parjures de Troie.
Hélas! le ciel, jaloux du bonheur des Romains,
César, te redemande aux profanes humains.
Que d'horreurs en effet ont souillé la nature!
Les villes sont sans lois, la terre sans culture;
En des champs de carnage on change nos guérets,
Et Mars forge ses dards des armes de Cérès.
Ici le Rhin se trouble (77), et là mugit l'Euphrate;
Partout la guerre tonne et la discorde éclate;
Des augustes traités le fer tranche les nœuds,
Et Bellone en grondant se déchaîne en cent lieux.
Ainsi, lorsqu'une fois (78) lancés dans la barrière
D'impétueux coursiers volent de la carrière
Leur guide les rappelle et se roidit en vain;
Le char n'écoute plus ni la voix ni le frein.

[ocr errors]

NOTES

DU LIVRE PREMIER.

J'AI 'A1 déjà dit, dans le discours préliminaire, que Mécène avait engagé Virgile à composer les Géorgiques : il sut faire servir à la gloire de son ami et de son maître les talents de tous les genres; il fut aussi utile à Auguste par la finesse de sa politique qu'Agrippa par son courage. Il rassemblait les qualités les plus opposées, la plus infatigable activité et la plus excessive mollesse, les vues d'un grand homme et les faiblesses d'une femmelette.

1) Protecteur des raisins, déesse des moissons.

Quelques interprètes ont cru que par Cérès et Bacchus Virgile entendait le Soleil et la Lune. Voilà un de ces paradoxes que les commentateurs n'avancent que pour avoir un prétexte d'étaler de l'érudition. Varron, comme Virgile, invoque au commencement de son ouvrage tous les dieux qui président à l'agriculture; 1o. Jupiter et la Terre, 2o. le Soleil et la Lune, 3°. Cérès et Bacchus, 4°. Robigus et Flore, 5o. Minerve et Vénus, 6°. l'Eau, qu'il appelle Lympha, et le Succès, qu'il nomme Bonus Eventus. On voit que ces divinités sont absolument distinguées : cela doit suffire pour faire entendre le véritable sens de Virgile.

[ocr errors]

2) Pallas, dont l'olivier enrichit nos rivages.

J'ai rapproché dans ma traduction Pallas de Neptune, parce qu'ayant fait naître dans le même jour, l'une l'olivier, et l'autre le cheval, ce rapprochement m'a paru naturel.

3) Vous, jeune dieu de Cée, ami des verts bocages.

Aristée, fils d'Apollon et de Cyrène, révéré particulièrement des bergers, auxquels il enseigna l'art de recueillir le miel.

4) Vieillard qui dans ta main tiens un jeune cyprès;

Enfant qui le premier sillonnas les guérets.

Il s'agit, dans le premier vers, de Sylvain, par qui le jeune Cyparisse fut changé en cyprès; dans le second, de Triptolême selon les uns, et d'Osiris suivant les autres.

5) Qui de nos fruits heureux nourrissez les prémices.

Quelques éditions portent non nullo cette leçon me paraît fausse. Il est question ici des plantes qui viennent d'elles-mêmes, et Virgile les distingue des plantes semées, satis, dont il parle dans le vers suivant.

6) Et toi qu'attend le ciel et que la terre adore.

Rien de plus pompeux et plus bas que cette invocation à César. Deux poètes, après Virgile, se sont avilis par des invocations moins poétiques et plus basses; Lucain a prodigué les plus viles flatteries à Néron, et Stace à Domitien. Ce dernier est le plus coupable des trois. Auguste eut pour lui la fin de son règne, Néron le commencement du sien; Domitien ne fut jamais qu'un monstre. Au reste, ce n'est pas d'avoir divinisé des hommes qu'il faut accuser ces poètes, les mœurs de leur pays les y autorisaient, mais d'avoir mis au rang des dieux des scélérats qui méritaient à peine le nom d'hommes.

7) Veux-tu, le front paré du myrte maternel.....

Le myrte était consacré à Vénus, dont les Jules se croyaient issus. On sait que les Romains avaient la prétention d'être descendus des Troyens. L'ambition des généalogies a donné de tout temps des ridicules aux peuples comme aux particuliers.

8) Veux-tu sur l'océan un pouvoir souverain?

Les géographes ne s'accordent pas sur la situation de Thule: tous les auteurs et tous les poètes qui en ont fait mention, en

« PreviousContinue »