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CONGRÈS DES SOCIÉTÉS SAVANTES A LA SORBONNE

31 MAI-4 JUIN 1887

(SECTION GÉOGRAPHIQUE)'

Le mardi 31 mai 1887, à midi et demi, le Congrès s'est ouvert à la Sorbonne, dans le grand amphithéâtre, sous la présidence de M. Léopold Delisle (de l'Institut). Nous avons remarqué à côté de lui MM. Gréard, Levasseur et Xavier Charmes, de l'Institut. La section de géographie était représentée par MM. l'amiral Jurien de la Gravière, Alexandre Bertrand, Himly, Bouquet de la Grye (de l'Institut), Maunoir, Drapeyron, Duveyrier, Cheysson, Gauthiot, Castonnet des Fosses, etc., etc.

Au début des travaux, M. l'amiral Jurien de la Gravière, de l'Académie des sciences, président, constate que, pour la deuxième fois, la section de géographie se réunit dans les conditions où elle est actuellement constituée. Il donne lecture des questions de programme; il cite les noms des personnes qui sc sont fait inscrire pour répondre à certaines questions ou pour prendre la parole sur divers sujets. Il rappelle que naguère, quand un savant de Paris arrivait en province, on disait : « Laissez parler le savant qui vient de Paris. » C'est aux délégués des sociétés savantes des départements que Paris donne la parole. Lorsque le savant russe Perowski partit pour l'Asie, notre Académie des sciences lui donna, entre autres instructions, celle d'étudier la célèbre ville de Samarcande. Cette ville est aujourd'hui presque européenne. La section de géographie a pour mission non seulement de constater l'état actuel des choses, mais encore de faire un retour sur le passé.

Il est fàcheux qu'aucun des délégués extra muros, auxquels s'adressait cette charmante allocution, n'ait été là pour l'entendre, et la séance a dû s'ouvrir sans assesseurs provinciaux.

M. Bazin, de la Société de Topographie de France, demande que les manuscrits des travaux lus au Congrès ne restent pas enfermés dans les cartons, qu'une suite soit donnée aux propositions faites durant la session et que les comptes rendus envoyés au Journal officiel reproduisent le plus exactement possible l'aspect de la séance.

M. Gauthiot, de la Société commerciale de Paris, de son côté, désire que l'on rétablisse sur le programme un certain nombre de questions éliminées. Qu'il soit permis à la Revue de Géographie de remercier le président, M. l'amiral Jurien de la Gravière, pour la constante et bienveillante attention qu'il

1. Nous suivrons ici les comptes rendus du Journal officiel (1-5 juin 1887), en y introduisant les rectifications demandées ultérieurement par les auteurs des communications.

2. Nous regrettons que les seules Sociétés de géographie provinciales effectivement représentées au Congrès aient été celles de Lille, de Nancy et de Tours.

a accordée à toutes les lectures, et M. Maunoir, secrétaire, pour son exactitude à tout enregistrer et, au besoin, à tout rectifier.

Adopter, dans notre compte rendu, l'ordre des séances, nous exposerait à une fâcheuse confusion. Nous grouperons donc les communications d'après les genres auxquels elles se refèrent.

L'ENSEIGNEMENT DE LA GÉOGRAPHIE.

Les travaux de la section ont commencé par la lecture de M. Drapeyron, secrétaire général de la Société de Topographic de France, — par droit de présence; la journée lui a été entièrement consacrée. L'Education géographique de trois princes français au XVIIIe siècle devant être ici reproduite in extenso, avec documents inédits à l'appui, nous ne dirons rien de cette étude qui, par son intérêt et sa nouveauté, a mérité les plus vifs éloges de M. l'amiral Jurien de la Gravière et de M. Himly, doyen de la Faculté des lettres.

Néanmoins, M. Himly pense que M. Drapeyron a jugé sévèrement Nicolas Buache (neveu de Philippe Buache), en supposant, d'après un de ses ouvrages, publié en 1772, que ce géographe ignorait l'annexion de la Corse à la France. M. Himly n'a-t-il pas lui-même rencontré une édition de la géographie de Balbi, publiée en 1865, et dans laquelle la France était encore indiquée comme une monarchie constitutionnelle, pourvue d'une charte et gouvernée par LouisPhilippe? M. Drapeyron a pu avoir entre ses mains une ancienne édition renouvelée par un faux titre.

M. Drapeyron répond qu'il s'est mis en garde contre cette cause d'erreur, qui ne saurait être invoquée ici. Il est juste, néanmoins, de rappeler que la demande d'approbation présentée par Buache à l'Académie avait dû retarder. l'apparition du premier volume et que Nicolas Buache dans l'intervalle de 1769, date de l'annexion de la Corse, à 1772, date de la publication, put oublier de faire une si importante correction sur son manuscrit.

M. Drapeyron l'accuse donc non pas d'ignorance, mais de négligence. Il a vu, du reste, un second volume de Buache où la faute relative à la Corse était rectifiée.

Une précaution à recommander aux auteurs, ajoute M. Himly, c'est d'ajouter au bas de chaque feuille d'impression la date du jour où est donné le bon à tirer. C'est ainsi que procèdent les éditeurs de l'Almanach de Gotha.

M. Bazin, président de la Section commerciale de la Société de Topographie de France, expose une série de réformes à introduire en 1888 dans l'enseignement de la géographie. Il s'élève contre la surcharge des programmes, le surmenage intellectuel, mais demande que l'histoire du commerce, la géographie commerciale et coloniale, aient une place dans l'enseignement géographique. M. Bazin conclut en proposant à la section de prier M. le ministre de nommer une commission chargée de déterminer: 1° le nombre d'heures de classe et d'étude qui doivent être attribuées à l'enseignement des écoles supérieures muni cipales et l'enseignement secondaire spécial des lycées et collèges; 2o de voir s'il n'y a pas lieu, en première année, de faire précéder l'étude de la géographie physique par des éléments de géologie donnant la nature des terrains; 3o de combler une lacune inexplicable en introduisant, en troisième année, l'étude

indispensable de l'histoire du commerce du monde, que l'on pourrait esquisser pendant les trois années consécutives.

M. le commandant Dennery, membre du Conseil de la Société de Topographie de France, a traité de l'enseignement de la topographie dans les classes primaires et secondaires.

Après avoir montré que l'enseignement élémentaire de la topographie est la base nécessaire de l'enseignement même de la géographie, il indique les moyens pratiques de mettre les notions topographiques élémentaires à la portée de l'enfance, en passant ensuite à un enseignement plus complet, mais simple encore, pour les lycées et collèges. Cette méthode pratique est fondée principalement sur la confection de reliefs sous les yeux mêmes des élèves.

L'enseignement de la topographie à l'école primaire doit commencer par l'étude du relief de la commune ou du canton comparé à la carte d'état-major. Il doit se faire en langage vulgaire, et l'instituteur doit amuser les enfants qu'il instruit en leur faisant faire de petits reliefs sous ses yeux, par comparaison avec les mouvements de terrain de la carte.

Ce n'est que plus tard, quand l'élève aura acquis certaines notions géométriques, qu'il y aura lieu de lui parler de projections, et, par suite, de courbes et de hachures.

Ensuite, au jeune homme de quinze à seize ans on donnera des notions générales qui permettent de relier intimement tout ce qu'on lui avait appris en topographie, en géologie et en géographie.

L'expérience de l'enseignement élémentaire de la topographie par la confection du relief a été faite aux écoles régimentaires par M. Je commandant Dennery, qui y a obtenu de bons résultats. Cet enseignement peut être vulgarisé très facilement et a l'avantage de n'exiger que des dépenses insignifiantes.

M. l'amiral Jurien de la Graviere fait observer que l'enseignement de la topographie ne doit plus s'arrêter à la lecture de la carte à 1/80000o du Dépôt de la guerre, dans laquelle les pentes sont exprimées par des hâchures formant des teintes d'autant plus foncées que les pentes sont plus raides. En effet, le Dépôt de la guerre exécute en ce moment une carte de la France à 1/200 000o, dans laquelle on a exprimé les mouvements de terrain à l'aide de la lumière oblique, du moins pour les régions accidentées.

Le Journal officiel a omis de reproduire les observations de M. le lieutenantcolonel de La Noé sur le même sujet. Simple oubli, que nous signalons.

M. R. de Gatines, membre du Conseil de la Société de Topographie, exprime le vœu que des artistes soient chargés de synthétiser la physionomie des peuples par des tableaux, peintures et dessins, représentant des types, costumes et coutumes; de rendre par des paysages des vues partielles ou générales, l'aspect, la physionomie, la couleur locale du pays, et qu'ils soient adjoints aux explorateurs envoyés en mission. Il émet le désir que les musées ethnographiques prennent des mesures pour s'enrichir de ces documents artistiques. Nos lecteurs ont été mis au courant des vues de M. de Gatines qui, le lendemain, à la section des beaux-arts du Congrès, n'a pas eu moins de succès qu'à la section de géographie. MM. Gauthiot, Maunoir, de la Noé ont bien fait quelques objections; mais l'amiral Jurien de la Gravière a su concilier avec beaucoup de tact M. de Gatines et ses adversaires d'un moment.

APPLICATIONS DE LA GÉOGRAPHIE AU POINT DE VUE ADMINISTRATIF ET POLITIQUE.

M. Dupont, délégué de la Société de Topographie de France, fait une communication sur les sous-préfectures et la topographie. Il commence par retracer l'historique de la division de la France par départements, signale les défectuosités du système actuel, sorti de la tête de Sieyès et de Thouret, qui auraient pu tirer un meilleur parti des ressources que leur offraient les accidents du sol, l'emplacement des provinces et des pays agricoles, la distribution des races et des dialectes; il indique aussi la nécessité de tenir compte aujourd'hui des progrès du commerce et de l'industrie pour remanier la carte de France, avant qu'il soit donné suite à la suppression ou à la translation de quelques sous-préfectures. M. Alexandre Bertrand a félicité M. Dupont de cette intelligente application de la topographie à l'art d'administrer.

M. Gauthiot, secrétaire général de la Société de géographie commerciale, à propos d'une carte publiée sur l'ordre du roi de Siam, rappelle la nécessité pour la France de maintenir avec soin les droits de l'Annam sur la partie du territoire de la presqu'ile indo-chinoise s'étendant entre la mer et la rivière Noire d'une part et le Mékong de l'autre; ces droits, nous sommes chargés de les défendre et de les maintenir. La carte, à laquelle fait allusion M. Gauthiot témoigne, en effet, des prétentions du Siam sur la majeure partie de ce territoire, habitée partout par des tribus qui relèvent directement de l'Annam.

GEOGRAPHIE PHYSIQUE.

M. Thoulet, professeur à la Faculté des sciences de Nancy, fait une communication relative à des expériences expliquant la disposition des dépôts marins dans leur ordre successif: galets, graviers, sables, vases bleues, vases rouges. Ces expériences se faisaient en mesurant l'angle des talus formés au sein de liquides de densités variables. Elles démontrent que cet angle, à peu près le mème dans les divers milieux, tend à devenir de plus en plus aigu par le mouvement, et concordant avec les phénomènes chimiques (décomposition des silicates ferrugineux) et avec les phénomènes physiques (solubilité dans l'eau) pour affirmer l'ordre des sédiments constaté dans les diverses expéditions.

M. Thoulet termine sa communication en exprimant le désir que ces études expérimentales sur la mer soient cultivées en France, ainsi qu'elles le sont en Allemagne à Kiel, en Angleterre et en Norvège..

M. Bouquet de la Grye, président, remercie M. Thoulet et lui fait observer que, dans ses expériences tout à fait originales, il n'a envisagé que le côté statique de la question. Il est à désirer qu'il les complète en formant ses talus artificiels au sein de liquides en mouvement, et en produisant ces mouvements soit par des oscillations du liquide, soit en imprimant au liquide des vitesses déterminées. Les résultats obtenus dans cet ordre d'idées se relieraient mieux aux phénomènes que l'on observe dans les dépôts marins, et dont M. Thoulet a le désir de faire la synthèse.

M. le lieutenant-colonel de la Noé fait remarquer que les expériences de M. Thoulet donnent une explication satisfaisante du mécanisme de la formation des terrains sédimentaires; mais elles supposent une agitation de l'eau au

fond de la mer, produisant sur les matériaux déposés le même effet que, dans son expérience, produisent les petites secousses données à la caisse dont se sert M. Thoulet pour déterminer la formation de ses talus. Il restera à démontrer que cette agitation existe aux plus grandes profondeurs.

MM. Bouquet de la Grye et Thoulet assurent qu'il en est ainsi.

M. Thoulet répond, en outre, que l'on a constaté la fréquence extrême des tremblements de terre au fond de la mer. Ces tremblements de terre auraient précisément pour effet de produire la trépidation nécessaire, indépendamment, d'ailleurs, des mouvements de l'eau, dus à la propagation des agitations de la surface.

M. Venukof cite l'exemple des lacs situés dans les déserts asiatiques et où on remarque un ordre inverse dans le dépôt des matières meubles, les plus grosses étant situées le plus près du centre du lac et les vases étant sur les bords.

M. Bouquet de la Grye fait remarquer que les observations de M. Thoulet sont dégagées des circonstances occasionnelles dans lesquelles se trouvent les lacs dont parle M. Venukof.

M. Thoulet répond à son tour que le fait signalé par M. Venukof résulte du faible mouvement qui se produit dans les lacs et rapproche ces dépôts de ceux qui se font dans l'air et pour lesquels les matériaux les plus volumineux descendent en effet au bas des talus.

M. Léon Teisserenc de Bort fait une communication sur l'étude de la formation et de la progression des dunes dans les déserts.

Il cite plusieurs exemples d'ensablement assez récents des oasis entre autres celle de Ghamra, près de Tuggurt, qui est envahie peu à peu par les dunes du côté de l'ouest, et l'oasis de Ghat, près de Delila, dans le Souf, dont les palmiers sont enterrés jusqu'aux deux tiers de la hauteur, soit sur 8 mètres environ. Tout récemment et dans l'intervalle de deux voyages de M. Teisserenc de Bort dans le Sahara, une dune voisine de Mraier, dans l'Oued Rhir, qui était à droite de la route de Tuggurt, s'est transportée sur la gauche. Sur la route d'Ouargla à Ghadamės, certains passages très faciles, il y a une génération, sont, occupés par des veines de dunes.

En termes généraux, il y a augmentation du volume des sables du Sahara. On cite des faits du même genre en Asie.

Pour le Sahara la formation des dunes paraît due surtout à la pulvérisation par le vent des grès friables, gris ou bruns, qui, dans certaines régions, ont recouvert le sol. On trouve des restes de cette croûte friable dans beaucoup de dépressions, surtout entre les veines des sables et dans lesquelles le sol résistant ancien persiste encore.

A l'ouest de l'Oued Rhir, le sol est peu favorable à la production des dunes, parce que le hamada calcaire prédomine; aussi ne trouve-t-on de dunes qu'en de rares points, en particulier près d'Oumach, et sur les bords de l'Oued Djedi, qui entraîne avec lui, lors de ses crues, des éléments terreux très divisés qu'entraînent ensuite les vents.

M. Teisserenc de Bort, dans un récent voyage, a recueilli des échantillons de ces sables, pour permettre de voir si la composition est analogue à celle des sables du Souf. Malgré la mobilité des éléments qui composent

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