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A LA SOCIÉTÉ DE TOPOGRAPHIE DE FRANCE1

DISCOURS DE M. L'AMIRAL JURIEN DE LA GRAVIÈRE, PRÉSIDENT DE LA SECTION DE GÉOGRAPHIE HISTORIQUE ET DESCRIPTIVE, AU COMITÉ DES SOCIÉTÉS SAVANTES.

Messieurs,

Vous cherchez des yeux, j'en suis sûr, l'illustre Français qui préside d'habitude à vos séances. Un deuil cruel ne lui a pas permis de se rendre à votre appel. J'ai dû accepter le très grand honneur de le remplacer.

Il y a quelques années à peine, un marin n'aurait eu aucun titre pour vous parler de topographie. La topographie, c'est la description du sol et de ses accidents. Les marins jusqu'ici étaient tous un peu de l'avis du vieux matelot de Cooper.

« Je n'ai jamais pu comprendre à quoi sert la terre, disait Tom Coffin, si ce n'est une petite île, çà et là, pour y avoir quelques légumes et y faire sécher du poisson. Il me suffit de la voir pour me trouver mal à l'aise, à moins qu'il ne souffle un bon vent de terre. »

Tout cela aujourd'hui, comme beaucoup d'autres choses, est changé. Les marins ont compris qu'ils pouvaient, en mainte circonstance, être appelés à servir sur cet élément qu'ils tenaient jadis pour plus perfide que l'eau et dont ils s'éloignèrent toujours avec un secret effroi. Ils ont aussi rendu quelques services sur terre vous ne pouvez l'avoir oublié, au lendemain surtout de ce jour qui nous a ravi un officier dont le nom revivra un jour dans l'histoire,

-le brave amiral Jauréguiberry.

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La marine d'aujourd'hui n'est plus celle d'hier. La vapeur a doublé ses moyens d'action. Nul ne s'étonnerait, si jamais nous marchions en bataille de l'ouest à l'est ce qu'à Dieu ne plaise de la voir former l'aile gauche de l'armée. La topographie a donc le droit de l'intéresser, et elle l'intéresse, en effet. Vous en aurez la preuve, si vous jetez jamais les yeux sur nos nouvelles cartes marines. Vous y verrez les moindres accidents de terrain, les routes, les sentiers, les pentes des montagnes marquées avec un soin particulier, et je me permettrai de l'affirmer, nos cartes, sous ce rapport, sont souvent plus claires que les autres.

Je ne dirai pas, avec bien des gens, que si nous avions moins dédaigné la science géographique, le sort de la dernière guerre eût été différent. J'appuierai néanmoins sur le grand intérêt que la vulgarisation des procédés à

1. Assemblée générale dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, le 6 novembre 1887. M. le ministre de la guerre était représenté par M. le commandant Villa.

l'aide desquels on est parvenu à faire ressortir le relief du sol, peut offrir. Nos soldats combattent rarement dans la région où ils sont nés. N'importe-t-il pas de les habituer de bonne heure à lire les cartes de détail qu'on met entre leurs mains?

Votre présence dans cette enceinte témoigne, Messieurs, de l'appui que la France entend prêter à nos efforts. Au nom de la Société de topographie, je vous en remercie. Quand il s'agit de rendre plus efficaces nos moyens de défense, nous n'avons tous qu'une àme. Rendre inviolable le sol de la patrie est notre premier devoir. En restant bien unis, n'en doutez pas, nous y parviendrons.

Je donne la parole à M. le contrôleur général Martinie.

ALLOCUTION DE M. MARTINIE, CONTROLEUR GÉNÉRAL DE L'ARMÉE
PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi tout d'abord d'adresser mes remerciements personnels et ceux de tout le conseil de la Société de topographie de France à l'illustre amiral qui a bien voulu nous présider aujourd'hui.

En acceptant cette présidence, Amiral, vous avez donné à notre Société une marque d'estime et de considération qu'elle n'oubliera pas et un encouragement qui lui sera précieux.

Tout ce qui touche à la science géographique, à la topographie qui en est la quintessence, vous intéresse et vous attache, et nul n'a donné un essor plus grand que vous aux connaissances géographiques, soit en parcourant les mers, pendant votre longue et glorieuse carrière, soit par vos écrits: vous nous avez fait connaître la marine d'autrefois, les guerres maritimes sous la République et sous l'Empire et aussi les campagnes classiques du héros de l'antiquité, Alexandre le Grand.

Je n'ose vous louer, Amiral; je n'ai pas pour cela l'autorité nécessaire et je connais votre exquise modestie, mais je puis bien dire que vous avez montré dans vos récits attachants une érudition que nul n'a dépassée : vous avez saisi admirablement l'importance des formes du terrain et de leur rôle à la guerre, prouvé, au milieu des traditions obscures du passé, la réalité des faits militaires les plus extraordinaires qui se soient jamais déroulés.

Tous nos professeurs d'histoire ont dû comprendre, en lisant vos remarquables travaux, combien leur est nécessaire la connaissance de la topographie, et notre Société s'appuie à juste titre sur votre haute autorité pour pousser plus avant nos jeunes générations vers l'étude de ce sol de la France, dont la défense nécessitera, de leur part, tous les sacrifices, tous les renoncements, tous les dévouements.

Mesdames et Messieurs, je ne veux pas oublier, [dans cette courte allocution, l'éminent patriote, M. de Lesseps, dont l'esprit plein d'humour vous a souvent captivés dans cette enceinte et qu'un deuil récent tient éloigné de nous. Il trouve à la fois le moyen de doter le monde de voies de communications,

telles que l'imagination n'aurait pu en rêver, et d'encourager toutes les œuvres utiles au développement des forces de notre chère patrie.

Laissez-moi aussi donner un souvenir d'amitié et de reconnaissance à l'éloquent sénateur et ancien ministre de l'instruction publique, M. Bardoux, le champion autorisé de l'École de géographie dont notre secrétaire général, M. Drapeyron, poursuit l'organisation au nom de notre Société.

Encore un mot, Mesdames et messieurs, pour vous dire combien nous sommes heureux et touchés de l'empressement que vous mettez à venir encourager notre ceuvre; vous avez une large part dans nos succès et vous faites du vrai, du bon patriotisme, en témoignant ici par votre présence du prix que vous attachez aux travaux qui ont pour but de préparer des hommes en vue du jour, peut-être prochain, de nos légitimes revendications.

Mesdames et messieurs, en 1878, la Société de Topographie de France a décerné deux grandes médailles d'honneur, l'une au général russe Kokhowski; l'autre au regretté général Blondel, directeur de notre Dépôt de la guerre.

Cette année, notre Société a voulu renouveler cette alliance scientifique de deux grandes nations si bien faites pour s'entendre sur le terrain de la diplomatie et sur celui de la science, et elle accorde sa plus haute récompense à un Russe et à un Français :

A M. le général Alexis de Tillo, chef d'état-major du 1er corps d'armée à SaintPétersbourg, pour les grands travaux topographiques qu'il a exécutés tant en Europe qu'en Asie; ·

A M. Alphand, inspecteur général des ponts et des chaussées, directeur des travaux de Paris, qui, en s'inspirant du beau et des nécessités de l'hygiène, a pu transformer si heureusement la topographie de la capitale.

Je suis heureux de proclamer ici les grands services rendus à la topographie et à la science par ces deux hommes éminents et de décerner à chacun d'eux, au nom de notre Société, une grande médaille d'honneur.

En remettant à M. le baron de Freedericksz, représentant de son Excellence l'Ambassadeur de Russie,la grande médaille attribuée au général de Tillo, retenu par son service à Saint-Pétersbourg, je suis certain d'être l'interprète de tous les assistants, de tous les Français, quand j'exprime les sentiments de vive sympathie que nous ressentons pour ses compatriotes et pour le

russe.

gouvernement

RÉPONSE DE M. LE GÉNÉRAL BARON DE FREEDERICKSZ
PREMIER ATTACHÉ MILITAIRE DE L'AMBASSADE DE RUSSIE.

Très honoré d'avoir été admis à cette séance solennelle de votre Société, je remercie monsieur le président pour les paroles si courtoises à l'adresse d'un officier de l'armée à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir.

Je suis heureux de vous apporter les remerciements de mon collègue absent, M. le général Alexis de Tillo, de l'état-major de l'armée russe, pour la haute récompense honorifique que vous venez de lui décerner avec cette libéralité éclairée qui caractérise toutes les sociétés savantes de France.

Si l'auteur des ouvrages que vous venez de distinguer d'une façon si éclatante vous est étranger par son origine, il est des vôtres par la nature de ses REVUE DE GÉOGR.

DÉCEMBRE 1887.

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recherches qu'il a tenu à honneur de soumettre à votre bienveillante appréciation.

C'est là une nouvelle preuve du vif et sympathique intérêt que l'on porte, dans mon pays, aux travaux de la laborieuse Société de Topographie de France, qui, par son zèle ardent et son développement rapide, a déjà rendu et est appelée encore à rendre de si utiles services à la science et à votre beau pays.

RÉPONSE DE M. ALPHAND.

Mesdames et Messieurs,

Votre grande Association a sans doute voulu honorer en ce jour mes cinquante années de services comme ingénieur des ponts et chaussées. Il y a, en effet, un demi-siècle que je fais comme elle de la topographie pratique. Mais elle a surtout songé à notre beau Paris, que nous chérissons tous. Je l'en remercie de tout cœur.

CORRESPONDANCE ET COMPTES RENDUS CRITIQUES

DES SOCIÉTÉS DE GÉOGRAPHIE ET DES PUBLICATIONS RÉCENTES

A Monsieur Ludovic Drapeyron, directeur de la REVUE DE GÉOGRAPHIE.

< Monsieur.

Paraguay, le 27 septembre 1887.

» Plusieurs journaux ont publié sur mon voyage des articles où je ne sais pourquoi l'on m'a fait mourir sur les bords du rio Negro. Je vous envoie un double de mon rapport au ministre de l'instruction publique et vous prie de le publier si vous le voulez bien. Je pars demain pour la Bolivie.

» Mes sincères salutations.

> J. DE BRETTES. »

Voici le rapport de M. de Brettes, daté d'Assomption (Paraguay), le 17 septembre.

Le 26 juillet 1886, je débarquais à Buenos-Ayres accompagné d'un ingénieur, M. de Boiviers.

Grâce à l'objet de ma mission et par l'intermédiaire de M. le ministre de France, j'obtenais immédiatement du gouvernement argentin un ordre d'escorte de vingt-cinq cavaliers. Je devais trouver cette escorte à Formosa, poste militaire du Chaco central. A mon arrivée, je présentai donc l'ordre émanant du ministère de la guerre au gouverneur le général Fotheringham.

Le général répondit n'avoir point de chevaux disponibles et aptes à tenir la campagne.

M. de Boiviers, d'après mes instructions, retourna à Buenos-Ayres, tenter de nouvelles démarches auprès du gouvernement. Il obtint un nouvel ordre de cinquante hommes et de cinquante chevaux, car, au dire du gouverneur, la première escorte était insuffisante. Cette fois surgirent de nouveaux prétextes mauvaise saison, petit nombre de soldats dont disposait le poste de Formosa, etc.

Il était aisé de comprendre que notre séjour serait ainsi indéfiniment prolongé.

Le 10 novembre 1886, j'informai M. le ministre de France de ma détermination d'aller attendre à Corrientes une solution plus favorable. Sur ces entrefaites une société bolivienne, le Centro Boliviano, patronnée par son gouvernement, se proposait d'organiser une expédition pour atteindre la Bolivie en remontant le rio Pilcomayo; le commandement de cette expédition me fut offert. J'acceptai volontiers bien que l'on ne dût partir que deux mois plus tard.

Je fis l'acquisition à Corrientes d'un yacht: le Crevaux et, durant mon

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