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La Phénicie.

Le rôle des Phéniciens fut autre. Placés au débouché des passages qui mènent de la vallée de l'Euphrate à la Méditerranée et à proximité de l'Égypte, adossés au riche Liban qui leur fournissait à la fois de nombreux produits d'exportation et des bois pour la construction de leurs vaisseaux, regardant la mer, ils se creusèrent ou se bâtirent des ports, ils inventèrent la grande navigation, ils reconnurent tous les bords de la Méditerranée, allèrent même au delà. Ils portaient partout avec eux le commerce qui rapproche les hommes, l'alphabet qui leur permet de comparer les sons de leur voix et bientôt de se comprendre. Ils propagèrent au loin la civilisation orientale, furent au dehors les interprètes de l'Égypte et de la Chaldée. Mais ce n'étaient que des marchands et des commissionnaires et à proprement parler ils n'inventèrent rien.

La Grèce, intermédiaire entre l'Asie et l'Europe.

La Phénicie n'est qu'un rivage, seuil des portes asiatiques ouvertes sur la Méditerranée. La Grèce est un archipel méditerranéen, touchant d'une part à l'Asie, tenant de l'autre à l'Europe. Pour en voir clairement la structure, et par là s'expliquer le rôle incomparable qu'elle a joué dans l'histoire, il faut l'envisager dans son ensemble. Le vrai centre en est bien à Délos où la fable a fait naître Apollon. Autour de l'antique sanctuaire se groupent en cercle d'abord les Cyclades, puis la Crète, le Péloponèse, la Hellade, les rivages et les îles de l'Æolide, de l'Ionie et de la Doride. Sur le continent européen une triple rangée de montagnes parallèles, presque infranchissables, protègent la Grèce contre les invasions; aux temps antiques ils l'isolaient des Barbares. En Asie-Mineure, les montagnes bordières de la côte occidentale ménagent entre leurs flancs un petit nombre de passages, sortes d'escaliers naturels qui descendent des plateaux vers la mer, mais qu'on pouvait aisément d'en bas entr'ouvrir ou fermer à volonté. Ainsi le flot brutal des grandes migrations côtoya la Grèce sans la submerger; les foules humaines arrivant par l'Euphrate du fond de l'Asie allaient tout droit chercher un passage en Europe, aux détroits les plus resserrés des mers, au Bosphore ou aux Dardanelles et de là par la Thrace, elles se répandaient vers le Danube. Sur les rivages charmants, sur les vallées riantes de Milet, d'Ephèse, de Phocée, par des chemins dérivés de la grande route des plateaux n'arrivaient que des voyageurs isolés; mais ils apportaient avec eux les marchandises, les arts, les idées de la Chaldée, de la Syrie, de la Perse, de l'Égypte, de l'Inde. Ces Grecs d'Asie combinèrent tous ces éléments divers, puis ils s'affranchirent peu à peu de l'imitation orientale; en même temps ils furent les éducateurs de leurs frères européens et le génie hellénique s'épanouit dans toute sa fleur.

Les cités grecques.

Dans chacun des compartiments qu'entourent sans les séparer entièrement les arêtes montagneuses de la Hellade et du Péloponèse, étaient nées des

cités ayant chacune un tempérament, une organisation, une physionomie particulières. Elles grandirent par la liberté, la concurrence et l'émulation. Trop heureuses, si elles n'avaient pas connu aussi les luttes fratricides.

Ce n'est pas tout. La mer qui fait l'unité de la Grèce, cette mer bleue qui l'enlace et la pénètre de toutes parts fut un grand chemin ouvert aux proscrits, aux voyageurs et aux négociants hellènes. Des colonies grecques essaimèrent en Italie, en Thrace, sur les rives du Pont-Euxin, jusqu'en Afrique, en Gaule et en Espagne. Tandis que les Phéniciens n'avaient guère fondé que des comptoirs, les Grecs, supérieurs en organisation politique, fondèrent des villes.

Lorsque les Perses qui avaient englobé toute l'Asie occidentale et l'Égypte dans leur vaste empire, s'attaquèrent à la Grèce; elle était déjà robuste, elle les repoussa, elle prit contre eux l'offensive et les conquit avec Alexandre; elle étendit son influence à tout l'Orient. Vaincue à son tour par les Romains, elle exerça sur eux un ascendant moral irrésistible par la supériorité de sa civilisation et quand enfin la religion chrétienne fut née en Palestine, ce sont les Grecs qui, en l'adoptant, assurèrent son triomphe.

Trois causes principales, toutes les trois géographiques, semblent avoir empêché les Grecs de devenir les maîtres du monde ancien, c'est-à-dire de la Méditerranée. La dispersion infinie des îles, des presqu'iles, des cantons montagneux qu'ils habitaient étaient favorable à leur essor, mais elle s'opposait à leur cohésion, et malgré quelques ébauches de ligues, ils ne purent jamais former une République fédérative régulièrement et solidement organisée. En second lieu, s'ils étaient bien défendus par la nature contre les invasions terrestres, ils étaient très vulnérables du côté de la mer par l'immense développement de leurs rivages; le jour où parut dans la Méditerranée une grande marine militaire, celle des Romains, ils étaient perdus. Enfin la Grèce était bien située pour dominer le bassin oriental de la Méditerranée et les pays qui en dépendent, mais non pour étendre sa prépondérance à la Méditerranée tout entière, d'Alexandrie à Gadès. Sa place à une extrémité de l'Europe lui interdisait d'avance de prétendre à l'empire matériel du monde ancien.

Les Grecs n'en sont pas moins nos vrais ancêtres intellectuels. Alors que le génie de l'Orient s'immobilisait dans un lourd sommeil, ils furent des rénovateurs et des créateurs. Poésie, théâtre, éloquence, sculpture, architecture, en tout art ils ont été nos maîtres, comme en toute science, ils ont été nos précurseurs.

(A suivre.)

P. FONCIN.

CORRESPONDANCE ET COMPTES RENDUS CRITIQUES

DES SOCIÉTÉS DE GÉOGRAPHIE ET DES PUBLICATIONS RÉCENTES

PLAIDOYER POUR LA RÉPUBLIQUE DE LA GUYANE INDÉPENDANTE.

Le Brésil, comme empire indépendant, n'existe que depuis 1822, époque à laquelle il se détacha de la couronne de Portugal, dont il était la plus riche colonie dans l'Amérique du Sud.

Il a hérité des prétentions que le Portugal pourrait avoir lui-même sur cette portion de territoire désignée: Territoires contestés.

Ils sont dits contestés, parce que la France élève également des prétentions à leur possession.

Ces prétentions contradictoires viennent de ce que ce territoire est situé entre les limites bien déterminées de la Guyane française et de l'empire du Brésil.

Mais, dans le pays même, il s'appelle : la Guyane indépendante.

D'où il suit que, à priori, il pourrait être considéré comme une partie, ou une dépendance de la Guyane française, dont il est limitrophe, plutôt que de l'immense empire du Brésil, dont l'étendue est presque celle de l'Europe, et dont il formerait une des provinces les plus éloignées.

Quoi qu'il en soit, c'est un territoire contesté entre la France et le Brésil. Il n'appartient à aucune de ces deux puissances, et aucune d'elles n'y a fait acte de souveraineté.

Il appartient à lui-même, à ses habitants.

Le Brésil n'a d'autres droits de propriété que ceux qu'avait le Portugal, qui n'en avait aucun.

Lors du traité d'Utrecht, en 1713, qui mit fin aux longues guerres de la succession d'Espagne, ce territoire fut laissé libre, et ni la France ni le Portugal ne se l'attribuèrent.

Il est douteux, même, qu'ils le connussent bien.

Et il y a un siècle et trois quarts de siècle que dure cet état d'incertitude, d'abandon, de liberté !

C'est en vain que les habitants se sont adressés souvent à la France, pour vivre sous un gouvernement; leurs demandes ont toujours été rejetées; elles n'ont produit qu'une sorte de convention, ou de modus vivendi entre les deux puissances, stipulant que les choses resteraient en l'état.

Jusques à quand?

N'est-ce pas le cas de rappeler le :

Quousque tandem abutere patientiâ nostrâ ?

Ce territoire, comme nous l'avons déjà dit, n'appartient donc ni à la France, ni au Brésil.

Il s'appartient à lui-même.

Ses habitants sont libres.

Aucune de ces deux puissances n'a juridiction sur eux.

Ils ont droit de disposer d'eux-mêmes comme ils l'entendent.

Ils ont droit de se constituer en société, en collectivité, en communauté, de sortir de la confusion, dans l'intérêt de tous, de se donner un gouvernement. C'est ce qu'ils ont fait.

Ils se sont constitués en République, en choisissant leur président, un Français, à l'unanimité.

C'est une application du suffrage universel.

En si petit nombre qu'aient été les votants, tous ceux qui pouvaient voter ont voté, et ils ont voté à l'unanimité.

Ce vote, par la République naissante, est l'exercice d'un droit, et d'un droit primordial.

Car, si l'hérédité monarchique constitue encore un droit, il ne peut être nié que le suffrage universel ne constitue aussi un droit, et un droit au moins aussi certain.

D'où il sait que M. Jules Gros peut se considérer aussi légitimement président de la République de la Guyane indépendante, que tel autre chef d'État grand ou petit.

Qui pourrait s'opposer au résultat de ce vote?

La France? Ce serait mentir au principe de son gouvernement. Et, d'ailleurs, il faut que nous le répétions encore, ce territoire ne lui appartient pas; elle n'a aucun droit sur ses habitants.

Le Brésil? Il n'a pas plus de droits que la France. Et s'il objectait, lui, monarchie héréditaire, qu'il ne reconnaît pas les décisions d'un suffrage universel, on pourrait lui répondre que c'est la volonté nationale, qui est bien une sorte de suffrage universel, qui a décrété le Brésil empire indépendant en le détachant du Portugal, après avoir renvoyé Jean VI à Lisbonne, et qu'ainsi, c'est au suffrage universel que Dom Pedro II doit sa couronne du Brésil.

Il n'y a donc pas de droits contre cet embryon de nation.

Reste l'intérêt, s'il venait à troubler le modus vivendi convenu entre ces deux puissances.

D'abord, il est de leur intérêt qu'il y ait, à côté d'elles, une administration régulière.

Il est de leur intérêt que les richesses en soient exploitées; que des échanges puissent se faire; qu'il y ait là, enfin, un groupe d'habitants, ayant un état civil, et vivant sous l'empire de lois.

Car en l'état, il n'y a absolument aucune autorité; ils vivent comme ils veulent.

La France ni le Brésil n'ont aucun droit de perpétuer cet état.

Ce que la France et le Brésil peuvent demander, et ce qui doit leur être promis, c'est que ce nouvel État ne deviendra pas le refuge des malfaiteurs, et qu'il soit fermé à tous les condamnés pour crimes ou délits de droit commun.

Cette garantie donnée, ils n'ont plus rien à demander.

Ils n'ont qu'à reconnaître le nouvel état de choses, en abandonnant des prétentions, ou des réserves absolument illusoires, et que ce long temps a rendues caduques.

Ce serait de toute justice, et de bonne politique.

Nous estimons donc que le président élu doit se rendre au vœu des habitants de la Guyane indépendante; qu'il doit se transporter à Counani, et constituer son gouvernement avec des hommes de choix, aussi simplement et aussi économiquement que possible.

Et, lorsque ce sera fait, revenir en France; rassurer notre gouvernement; dissiper ses craintes, et obtenir l'abandon de tous ses droits éventuels sur le territoire de ce nouvel État.

Ce sera, sans doute, l'objet de négociations avec le Brésil; mais, il faut penser qu'elles auront le meilleur résultat.

Ainsi sera consommée la constitution de cet État, dont on s'est bien un peu amusé, mais qui a plus d'un semblable dans notre vieille Europe.

Septembre 1887.

ED. DESFOSSÉS.

L'UNION INDO-CHINOISE

Pour réaliser l'union indo-chinoise, le gouvernement français a porté deux décrets.

Le premier décret est ainsi libellé :

Art. 1. Le protectorat de l'Annam et du Tonkin est distrait du ministère des affaires étrangères et rattaché au département de la marine et des colonies.

Art. 2. Des arrêtés concertés entre les ministres compétents règleront les dates à partir desquelles ces disposititons entreront en vigueur.

Le second décret organise l'administration de l'Indo-Chine. En voici les principales dispositions :

Art. 1er. L'administration supérieure de la colonie de la Cochinchine et des protectorats du Tonkin, de l'Annam et du Cambodge est confiée à un gouverneur général de l'Indo-Chine.

Art. 2. Les services indo-chinois sont répartis entre cinq chefs de service, à savoir:

Le commandant supérieur des troupes;
Le commandant supérieur de la marine;
Le secrétaire général;

Le chef du service judiciaire;

Le directeur des douanes et régies.

Un trésorier-payeur est chargé, sous les ordres immédiats du gouverneur général, de la direction du Trésor pour les services indo-chinois. Il peut être chargé du Trésor pour la Cochinchine et les pays de protectorat.

Art. 3. Un lieutenant-gouverneur en Cochinchine, un résident général au

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