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d'un volcan ou un tremblement de terre qui puissent être embrassés par nos regards et saisis par notre attention. La Terre est pour nous comme si elle était immuable.

L'Humanité.

L'humanité, au contraire, est en perpétuel mouvement; elle est pour ellemême un spectacle toujours changeant. La marche de l'histoire ne connaît pas de repos, et les vicissitudes de la vie des hommes se déroulent sans relàche. Il y a dans l'océan humain des courants, des remous, des retraits, des débordements, des marées et des tempêtes qui ressemblent à ceux des fleuves et des mers. Les peuples nous apparaissent ainsi comme des masses mobiles dont le lit est le relief de la planète. Ils ont leur bassin d'où ils sortent parfois en larges nappes d'inondation, pour y rentrer bientôt, souvent s'y dessécher et y périr, comme ces lacs de l'Asie centrale lentement atrophiés et transformés peu à peu en déserts de sel. Ils s'alimentent d'affluents divers qui leur viennent d'ordinaire des hautes terres voisines. Ils communiquent les uns avec les autres par les dépressions des vallées et des plaines. Ils émigrent, ils s'écoulent, ils circulent et se mélangent sur la rondeur du globe comme les courants équatoriaux ou polaires, comme le Gulf-Stream, le Kouro-Siwo ou le courant de Humboldt.

Origines et développement de la civilisation.

La Géographie contribue à éclairer l'étude de ces mouvements des masses humaines. Elle constate l'établissement et la fondation des États dans les différents pays; elle montre aux yeux, le doigt sur la carte du globe, ce qu'il y a de matériel et de tangible en quelque sorte dans la vie de l'humanité. Elle explique en grande partie par le climat et le relief du sol l'évolution des races, les révolutions des empires, les perpétuels changements des frontières. Cependant elle ne prétend pas trouver seule des raisons à tout. Il y a dans chaque nation une sorte d'âme collective, un génie propre qui, peu à peu, se dégage des fatalités géographiques, qui tend à agir progressivement avec plus d'indépendance et de force, qui se raidit même contre les choses et s'efforce à son tour de les modifier, bien qu'elle ne puisse jamais entièrement les vaincre. Ainsi naît et se développe la civilisation, dont l'histoire aura chaque jour des rapports de moins en moins étroits avec la géographie. Mais au début des sociétés humaines surtout, l'homme est par mille liens comme le prisonnier de la nature; la Géographie et l'Histoire sont inséparables.

La préhistoire.

L'histoire proprement dite ne commence qu'à l'époque où les hommes ayant inventé l'écriture nous ont laissé un récit des événements. L'histoire des faits préhistoriques, c'est-à-dire antérieurs à l'histoire, c'est la préhistoire.

Les débris authentiques les plus anciens qui révèlent la présence de l'homme à la surface de notre planète remontent à la période que les géologues nomment quaternaire. Une grande partie de notre hémisphère boréal était alors cou

verte de vastes glaciers qui s'avançaient en Europe jusqu'aux monts Sudètes, à Canstadt sur les bords du Rhin et au sud de la Tamise; en Amérique jusqu'aux rivages méridionaux des grands lacs canadiens. Ces glaciers, qu'une lente modification du climat a fait fondre peu à peu et rétrograder vers le Nord, ont déposé sur leur ancien front méridional des blocs erratiques dont la ligne est facile à suivre. Elle correspond presque exactement à la série des principales stations occupées alors par les hommes dont la race a été appelée race de Canstadt. Cette coïncidence qu'en l'état actuel de la science il est malaisé d'expliquer n'en est pas moins remarquable.

On conçoit mieux pourquoi une race postérieure dite de Cro-Magnon habitait des cavernes sur les flancs des vallées de la Vézère, de l'Aveyron et des autres cours d'eau de l'Europe occidentale. Les hommes de ce temps cherchaient des demeures toutes faites d'avance, à l'abri des vents, à l'écart des grands bois hantés par les fauves, à proximité des eaux salubres, au bord de chemins naturels, sur des pentes qui, sans être inaccessibles, étaient pourtant aisées à défendre.

Ages successifs des peuples.

On admet généralement que les diverses sociétés actuellement civilisées ont passé par trois états ou âges successifs: la vie sauvage, la vie pastorale ou nomade, la vie agricole. Certains peuples, s'arrêtant dans leur croissance, pour une raison ou pour une autre, sont restés jusqu'à maintenant sauvages ou nomades. Enfin de nos jours, à la suite de grandes découvertes scientifiques, l'âge agricole est devenu aussi l'âge industriel.

Vie sauvage.

Les forêts et les marécages couvraient d'immenses espaces, beaucoup plus vastes que maintenant, car on n'avait encore ni pratiqué des clairières et défriché le sol, ni creusé des canaux d'écoulement. La pêche et la chasse étaient les seuls moyens de subsistance possibles. Nos ancêtres lointains erraient donc sur le bord des eaux douces, le long des rivages marins, ou sur lisière des bois, à la recherche des coquillages, des poissons ou du gibier. Ils disputaient leur proie aux grands carnassiers, ils combattaient ces ennemis féroces avec des armes grossières, terminées par des pointes en silex, d'où le nom d'âge de pierre qui a été donné à ces temps reculés. Ils habitaient dans des cavernes ou sous des huttes de feuillage et se vêtissaient de peaux de bêtes. Cette existence misérable, cette dispersion sur des espaces très longs et très minces empêchait toute relation suivie entre les familles.

Vie pastorale ou nomade.

Lorsqu'un certain nombre d'animaux eurent été réduits en domesticité, lorsque l'usage du feu se fut répandu, la vie pastorale put commencer. Alors les vastes plateaux couverts d'herbes et les pentes gazonnées des montagnes reçurent des habitants. Le lait devint l'aliment journalier. La laine servit à fabriquer des vêtements, à tisser des tentes. Les familles agrandies se

transformèrent en tribus nomades gouvernées par des chefs héréditaires ou patriarches; elles conduisirent leurs troupeaux de pâturage en pâturage, allant suivant l'intermittence de la végétation herbacée des plaines chaudes en hiver aux plateaux frais pendant l'été. La Bible décrit, en traits d'une simplicité et d'une grandeur admirables, cette période pastorale des anciens Hébreux, dans la région du Liban. De même les chants sacrés de l'Inde, les Védas, qui font revivre avec une fraicheur pénétrante la poésie de ces jours anciens, nous montrent nos ancêtres directs, les Hindous, au moment où ils venaient de quitter les bords du haut Oxus, en traversant les passes de l'Hindou-Kouch, pour se fixer sur les rives de l'Indus. Sur l'autre revers de l'Asie, les Chinois, qui ont conservé le souvenir de l'âge de pierre, racontent aussi que leurs premiers aïeux, les Cent familles, comme ils les appellent, descendirent des plateaux du nord-ouest dans les plaines du fleuve Jaune.

Vie agricole.

L'établissement des nomades dans les vallées fertiles marque le commencement de la période ou vie agricole, et correspond à peu près aux débuts de l'Histoire. Il concorde aussi probablement avec l'usage des métaux : le premier qu'on employa, le plus facile à fabriquer, fut le bronze, alliage de cuivre et d'étain. L'homme eut dès lors des armes redoutables à opposer aux bêtes féroces ou aux peuplades pillardes et barbares. Depuis cette invention le soc de la charrue put aussi mordre le sol et en renouveler chaque année la fécondité. Enfin auprès des champs les tribus se fixèrent, temporairement d'abord, puis tout à fait. Chaque famille eut sa maison, son foyer, son autel domestique; et bientôt les maisons agglomérées formèrent des villes, les tribus confédérées devinrent des cités ou des empires. Mais cette révolution ne s'accomplit qu'insensiblement et au prix de mille efforts persévérants; elle ne réussit que là où le climat, le sol, les eaux offraient des conditions très favorables à l'éclosion d'une société unie et policée, là où une nourriture abondante et facile permettait le loisir, rendait le travail intellectuel possible à côté du travail matériel et enfantait naturellement la civilisation qui n'est que le produit d'un long travail accumulé.

L'extrême Orient, la Chine.

La plus ancienne histoire est celle des pays de l'Orient, dont on a le tort d'exclure ordinairement celle des pays de l'extrême Orient, l'Inde et la Chine. Les Chinois, il y a quarante siècles, écrivaient déjà leurs annales, et deux mille deux cents ans avant le Christ, l'empereur Yu avait fait dresser une véritable topographie des neuf provinces chinoises. Les riches plaines d'alluvions qu'arrosent le Hoang-ho et le Yang-tse-Kiang, sous un climat très rude au nord et un soleil tropical au midi, offraient aux Fils du Ciel une profusion et une variété inouïes de terres cultivables. Il n'est point surprenant que là se soit développée, ait grandi et pullulé une des plus grandes agglomé rations d'hommes de la planète, mais en même temps l'une des plus mêlées el qui, sous un même régime politique, offre le plus de diversité de types et de croyances. Les fortes barrières qui entourent la Chine expliquent d'autre part

comment elle est restée pendant des siècles presque inconnue au reste du monde. Une mer inclémente à l'est, les déserts arides de la Mongolie au nord, enfin à l'ouest les nombreuses murailles parallèles de l'Indo-Chine, entre lesquelles s'allongent de longs fossés où coulent de puissants cours d'eau, rendaient très difficile toute communication de « l'Empire du milieu » avec le dehors. La seule grande route praticable ouverte par la nature entre la Chine et l'Occident passe au nord du Tibet et par le Tarim conduit au Pamir et débouche sur le haut Oxus; elle est fort longue et traverse toute l'Asie centrale. Ainsi s'est épanouie une civilisation originale que son isolement même a rendue hostile à toute relation ou importation étrangère et qui, à l'inverse des peuples occidentaux héritiers les uns des autres en ligne collatérale, n'a été contrariée par aucun changement de milieux, a hérité en ligne directe des générations qui l'ont produite. Ce n'est qu'à partir du XVIe siècle de notre ère que la Chine est entrée en contact avec l'Europe; ce n'est que de nos jours qu'elle a consenti à étudier sérieusement les sciences et les arts de l'Occident.

L'Inde.

L'Inde s'est trouvée dans une situation assez différente. La fécondité des campagnes du haut Indus et du Gange est inépuisable. Le soleil vertical qui les brûle, les pluies torrentielles qui les inondent périodiquement y entretiennent une exubérance de végétation extraordinaire. Les phénomènes de la nature y déploient un éclat et une intensité dont nos pays tempérés ne peuvent donner l'idée. Les cimes neigeuses de l'Himalaya et une lisière de marécages isolent l'Inde au nord; mais elle se prolonge à l'est par les plaines du Brahmapoutre, elle est surtout accessible au nord-ouest par les défilés de l'IndouKouch et de l'Afghanistan; des vents périodiques dans leur alternance, les moussons, rapprochent ses côtes de celles de l'Afrique. Aussi les Hindous, presque aussi nombreux que les Chinois, formèrent-ils un peuple moins vigoureux, à la fois plus homogène et moins capable d'absorber des éléments disparates, prosterné dans l'adoration des forces terribles de la nature et assez fidèle à sa foi pour la reprendre, après l'avoir quittée, courbé sous le joug de ses maîtres indigènes, puis des envahisseurs étrangers, en relations presque suivies avec le reste du monde. Après avoir obéi aux conquérants musulmans venus par terre, puis aux Portugais, aux Français, aux Anglais, venus par mer, les adorateurs de Brahma s'appartiendront-ils jamais à eux-mêmes? Leur civilisation n'en est pas moins l'une des plus belles, des plus riches qui existent. Il y a trois mille ans, ils avaient déjà de grands poètes; sept cents ans avant notre ère leur Bouddha prêchait une doctrine d'une pureté admirable et leurs philosophes ont abordé avant les nôtres les problèmes qui font le désespoir de la pensée humaine.

Les pays de la Méditerranée.

Nous avons insisté sur ces deux grands peuples qui méritent de figurer défi snitivement dans l'histoire classique. L'histoire ancienne proprement dite ne occupe que des pays riverains de la Méditerranée.

Cette mer intérieure dont le Pont-Euxin, la mer Rotge, le golfe Persique même ne sont que des prolongements directs ou indirects, relie par une large voie, groupe harmoniquement les côtes de l'Afrique septentrionale, de l'Asie occidentale, de l'Europe méridionale; elle constitue un tout; elle explique l'unité remarquable de l'histoire ancienne.

Des forêts impénétrables au nord, d'immenses déserts à l'est et au sud, l'Atlantique à l'ouest étaient les limites géographiques de ce groupe de peuples qui a vécu l'histoire ancienne. La transparence de l'air, la limpidité du ciel, la violence soudaine des vents, la douceur perfide des hivers et l'ardeur desséchante des étés, les brusques variations de la température, des côtes abruptes et profondément dentelées, entrecoupées de plages ouvertes, de vallées et de plaines fertiles, un air de famille entre les plantes les plus variées au feuillage sombre ou métallique, chêne-vert, cyprès, vigne, olivier, figuier, oranger, myrte, palmier; une heureuse rencontre des espèces domestiques les plus utiles, chien, bœuf, mouton, porc, âne, cheval, chameau, probablement originaires, comme les espèces végétales, des plateaux de l'Asie occidentale; chez les peuples, la dureté des muscles, l'élasticité de mouvements, la vivacité d'esprit, la promptitude du geste, la sonorité du langage, tels étaient, tels sont encore les traits essentiels de la région méditerranéenne. La civilisation s'y est avancée de l'Orient à l'Occident, ou plutôt en diagonale du sud-est au nord-ouest : elle est partie des contrées les plus semblables à l'Inde et à la Chine, des rives du Nil et de l'Euphrate pour marcher à la conquête du pays le moins méditerranéen de ceux que baigne la Méditerranée, la Gaule qui par ses provinces septentrionales se confond d'un côté avec la grand plaine des Germains et de l'autre se noie dans les brumes britanniques.

L'Égypte.

L'Égypte est le carrefour de l'ancien monde, les routes terrestres ou maritimes de l'Afrique, de l'Asie, de l'Europe, s'y rencontrent et s'y croisent. Aussi fut-elle le premier berceau de la civilisation méditerranéenne. Le Nil est toute l'Egypte ; il l'a créée et il l'explique. La fertilité de son limon fit des Égyptiens un peuple d'agriculteurs. Il fut comme une grande rue entre leurs cités; il assura leur unité territoriale, politique, religieuse. Sa vallée ouverte, son large delta que rien ne défend du côté de l'isthme de Suez, les laissèrent exposés à toutes les invasions.

La Chaldée.

La vallée du Tigre et de l'Euphrate a été, par sa fécondité, par sa situation sur la seconde des grandes routes de l'Inde à la Méditerranée, un autre centre de puissante attraction pour les hommes. Les races les plus diverses descendant des plateaux et des massifs voisins (Arabie, Iran, Arménie, Taurus, Liban) s'y sont mélangées comme dans un creuset. Les Juifs y ont subi une longue captivité. Les montagnards assyriens, mèdes, perses s'y sont imprégnés tour à tour de la civilisation chaldéenne qui a eu dans le monde presque autant d'importance que celle des autres grands bassins historiques : Chine, Inde, Égypte.

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